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La faute que je commis, fut de ne pas faire sortir Zaïde, dès qu’il fût endormi. Je m’étais assoupie moi-même, et nous avions oublié ce point dans les instructions que nous avions données à cette pauvre fille. Je m’éveillai cependant la première: je quittai bien vite le lit, et j’allai pincer Zaïde de toute ma force. Mais en vain; elle dormait comme si elle eût été morte: j’allai chercher Trémoussée, pour l’emporter ainsi toute endormie. Elle entra fort heureusement: il dormait encore; elle prit la jeune Négresse, et la tira du lit: mais cette petite malheureuse retint machinalement les draps, de sorte qu’elle entraîna le vieux singe avec elle, et qu’il tomba; ainsi que Trémoussée, dont les pieds s’embarrassèrent dans la couverture. Parfaitement éveillé par sa chute l’Italien vit Zaïde et Trémoussée. Ma femme de chambre ne trouva pas qu’il y eût grand mal à cela. Elle revint auprès de moi. Il n’y avait pas trois minutes qu’elle était rentrée, que nous entendîmes un cri aigu. Nous accourûmes: nous vîmes le vieux monstre qui sortait, et Zaïde poignardée, qui perdait son sang. Trémoussée s’empressa de la secourir; moi, je donnais mes ordres pour faire chasser de chez moi l’infâme Italien mais ses gens l’entouraient; il regagna lentement sa voiture. Je revins auprès de Zaïde; elle était expirante. Elle avait dit à Trémoussée que le vieillard, après s’être assuré que c’était elle qu’il avait eue…, l’avait poignardée, en lui disant: «Voilà pour toi: mais ta maîtresse aura son tour.».

P.-S. – Si Négret revient, car c’est un effronté sapajou! il faut que je m’amuse à ses dépens, d’une manière qui marque tout le mépris que je fais de lui.

Lettre 120. Ursule, à Gaudet.

[Elle montre comment elle s’est corrompu le jugement, pour être sans remords.].

11 août.

Je t’écrivis hier; je t’écris encore aujourd’hui. Qu’ai-je donc tant à te dire? je ne sais, mais je me meurs d’envie de m’occuper, pour me tenir hors de moi-même; et je crois sentir qu’en t’exposant mes sentiments et ma conduite, je me justifie les premiers et la dernière. Me voilà dans une situation qui m’aurait fait horreur, si on me l’avait prédite lorsque j’étais à mon village, ou bien à Au**, même à Paris, dans les premiers temps. Mais je ne tardai pas à entendre dans cette grande ville des propos, qui m’ouvrirent les yeux, Dès Au**, on en avait tenu quelques-uns devant moi; mais je ne les comprenais pas. Il serait bien étonnant, que la façon de penser des gens de ville, presque tous éclairés, fût mauvaise et fausse, et qu’il n’y eût de vraie que celle des automates de village, telle que j’étais; telle qu’est encore toute ma famille!

Dans les villes, les femmes ont des amants, tant qu’elles sont jeunes et jolies: je suis fille, je suis moins coupable qu’elles, si elles le sont; je tiens une conduite louable, si elles ne le sont pas. Voilà ce que je me dis. J’observe tout le monde, même ceux qui croient la religion: ils la croient comme s’ils n’y croyaient pas; même intérêt, même sensualité, même ambition, même jalousie, même dureté, même indifférence pour les devoirs et les pratiques de cette même religion, que s’ils n’y croyaient pas. Ils rient de la mort des autres, comme si le paradis ou l’enfer ne devaient pas suivre. C’est qu’ils n’y croient pas. Et c’est tout le monde qui agit ainsi: car les exceptions sont si rares! Tout le monde se trompe-t-il? Voilà ce que je me dis? je crois que non, et cela me tranquillise sur le crime.

Reste l’honneur. Mes sentiments là-dessus ont encore cherché à s’appuyer sur ce qui existe dans le monde. J’y ai vu que l’honneur accompagnait toujours les richesses, bien ou mal acquises: j’ai bien examiné cela; je ne me suis pas trompé. J’en ai conclu qu’il n’y avait qu’un véritable honneur, celui des richesses. En effet, les personnes de ma connaissance, en hommes et en femmes qui sont les plus honorées, sont les plus riches. Le marquis n’a pas de mœurs, mais il est riche et de plus il a la noblesse: il est respecté, pas un grain de mérite personnel; il tient tout de ses aïeux, gloire et fortune. La marquise est une prostituée, depuis quelque temps: elle a commencé par aimer mon frère, parce qu’il est bel homme; elle n’avait pas d’autre motif; son cœur n’était intéressé par rien de louable, ensuite, elle l’a aimé pour le plaisir des sens. Malheureusement elle était insatiable, et Edmond n’était qu’un homme; elle a voulu essayer des autres hommes: elle a trouvé que c’était la même chose que son amant; et elle a fait des amants de tous les hommes. Enfin, considérant que j’étais entretenue; que je nageais dans l’abondance et les plaisirs, elle a pensé qu’étant aussi belle que moi, elle pouvait être payée aussi cher: elle s’est affichée; les richards libertins ont été enchantés de cette découverte! mais elle n’a pas tardé à leur montrer qu’une femme de qualité entretenue, qui prostitue ses aïeules, les fait payer cher! Elle les a traités avec une hauteur, une impudence!… Elle ne daignait pas cacher le rival au rival; elle les croyait trop heureux de la partager. Le marquis, comme c’est l’ordinaire, n’a su tout cela que le dernier: il l’a souffert, parce qu’il m’aimait, et qu’il trouvait le plaisir dans ma maison: mais lorsqu’il a été rebuté de ma conduite, il a fait attention à celle de sa femme: il a voulu se plaindre, tout le monde lui a donné tort; et la marquise l’emporte: d’où je conclus que tout le monde pense comme elle et comme nous sur l’honneur; sans quoi, elle n’en aurait plus. Qui est plus honoré que mon vieux Italien? Et cependant, qui est plus méprisable? Le financier Montdor est reçu partout, on se l’arrache, on s’honore de sa société: c’est qu’il a le véritable honneur; il est riche. Mme S***, après avoir été au public, a trouvé un mari qui l’adore; elle a un nom, un titre, et de l’honneur: parce que ayant eu de l’économie, elle avait, en se mariant, soixante ou cent mille livres de rentes, avec quoi elle a fait la fortune d’un pauvre et bon gentilhomme: on l’élève aux nues; on la regarde comme une femme généreuse, qui a relevé une ancienne maison; elle a de l’honneur à revendre; car elle en a cédé à un auteur qui lui a dédié un gros livre.

À l’appui de tout cela, viennent tes leçons: mais sans les exemples, je doute qu’elles m’eussent persuadée; tu aurais perdu toute ta logique avec moi, si j’étais restée au village.

Je m’enfonce dans le raisonnement, je m’y plais aujourd’hui; je ne sais pourquoi. C’est que mon serin est mort, et qu’une belle Angola blanche que j’aimais beaucoup, m’a été volée: cela me rend philosophe.

Il suit de ce que j’ai dit, de la façon de voir générale, que je suis revenue de mes préjugés: je n’ai plus les mêmes idées du vice, de la vertu, de l’honneur, de la religion. Le vice, je le regarde aujourd’hui comme un écart de la routine, une licence hardie, telle que celles que font les grands poètes. La vertu, je la compare à mon rouge; cela donne de l’éclat, mais il faut que la couche soit superficielle; je compte m’en parer quelquefois: par exemple, tu sais que j’ai réalisé ton conseil, pour le vieux militaire: j’en ai un très respectable dont je prends soin; je ne me montre à ses yeux que sous le masque Parangon; il me croit bonne, franche, et plus inconsidérée que coquette. L’honneur, ah! il faut en avoir! Mais selon les gens! par exemple, avec le marquis, le financier, l’Italien, mon page, etc., quelle espèce d’honneur puis-je avoir? pas d’autre, avec le premier, que celui de l’écouter seul: avec les autres, que celui d’exceller dans la volupté, de varier leurs plaisirs; avec toi, quel sera mon honneur? de fouler tout aux pieds; mais assez adroitement pour ne pas me compromettre: d’être humaine, cependant, mais par égoïsme, ou plutôt par sensualité, pour me procurer le contentement intérieur, l’estime de moi-même, un certain orgueil très agréable à sentir. Quant à la religion, mes idées sont absolument changées sur cet article: c’est le frein du peuple; mais les gens éclairés comme nous, en ont-ils besoin? Au reste, je ne désapprouve pas que celles qui ne peuvent avoir mes plaisirs, tâchent de goûter ceux que procure la dévotion: l’amour est toujours l’amour; car j’ai connu autrefois ce genre de jouissance-là. Voilà mes sentiments, d’après lesquels je règle toute ma conduite.

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