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C’était lundi. Le reste du jour et la nuit suivante, il est resté tranquille. Le mardi matin, je l’ai entendu soupirer et gémir dans sa chambre, jusqu’à l’heure du déjeuner. Il m’a fait demander humblement par Marie, la permission de déjeuner avec moi. J’ai cru devoir y consentir. Il s’est fort bien comporté jusqu’à dîner. Nous nous sommes mis à table ensemble. En finissant, il m’a proposé une partie de trictrac, que j’ai acceptée. Nous avons causé ensuite. Il m’a demandé pardon de ses torts, et j’ai pensé que je pouvais l’accorder. Comme nous allions nous mettre à table pour souper, il est entré chez nous une voisine fort aimable avec son mari. Je les ai reçus poliment.

Lagouache, sans m’en demander avis, les a priés de souper avec nous. Ils ont accepté, en disant qu’ils brûlaient d’envie de faire notre connaissance. La gaieté a régné à table: les propos ont été fort libres, de la part des convives, et de Lagouache qui les aime. J’étais surprise par intervalles, d’entendre sortir certains mots des halles de la bouche d’une femme jeune, jolie, et qui paraissait assez bien élevée. En quittant la table, on s’est mis à faire des folies: la voisine a embrassé fort librement son mari; elle voulait que j’en agisse de même avec le mien: «Ah ça, madame la prude (m’a-t-elle dit), je vous avertis que je ne sors pas de chez vous, que je ne vous voie au lit avec ce cher époux; et je vous avoue tout uniment que c’est à sa prière, que nous sommes venus souper ici ce soir pour cimenter votre réconciliation. Allons, point de bégueulerie; je le veux et ça sera.» J’ai voulu parler. Elle m’a fermé la bouche. J’ai compris alors la raison de l’apparente tranquillité de Lagouache: il avait agi par les conseils de cette femme, à laquelle sans doute il avait fait une demi-confidence, en nous donnant pour mariés; j’ai cru qu’il fallait cesser de rire: j’ai pris un ton sérieux, en disant à la dame voisine que j’avais des raisons importantes. «Comment! comment! est-ce qu’il aurait… (je n’ose écrire une expression aussi libre et aussi grossière.) Ah! dans ce cas-là, c’est autre chose, et je ne dis plus rien! – Eh non, madame, a dit Lagouache en riant d’une manière qui, pour la première fois, me l’a fait paraître sot, je me porte aussi bien que vous. – Mais que veut donc dire madame? Elle m’en veut, pour un badinage qui m’est échappé le soir de notre arrivée ici; elle ne saurait me le pardonner. Je vais vous le dire à l’oreille.» Et il le lui a dit sans doute. «Quoi! ce n’est que ça! Ah! tu es une franche bégueule, madame Lagouache! si je me fâchais pour ça! – Chacun a son humeur, madame, ai-je dit fort sèchement: moi cela me fâche beaucoup! Et il faut que monsieur ait la bonté de laisser calmer mon ressentiment, avant qu’il soit question de réconciliation entre nous.» Le mari n’avait encore rien dit que de général. Il a pris mon parti, et soutenu vivement à sa femme, qu’elle serait fâchée, s’il lui avait tenu un pareil propos. Elle a assuré d’abord le contraire; mais à la elle s’est rendue, en disant que cela était vrai: mais qu’il ne fallait pas en convenir devant moi, parce que cela m’autorisait dans ma bouderie. Et elle a continué de protester qu’elle ne sortirait pas que nous ne fussions ensemble au lit, M. Lagouache et moi. Son mari, qui me parait un homme de bon sens, a voulu l’emmener elle s’est fâchée très sérieusement contre lui, et a continué de me; persécuter, jusqu’à ce que, je me sois fâchée à mon tour, et que je l’aie renvoyée très mécontente de moi. Lagouache a été obligé de sortir avec elle, et il l’a fait pour montrer sa douceur à nos voisins. Lorsqu’il a été parti, j’ai dit à Marie que je voyais, bien que cette femme était gagnée par monsieur; que je la priais d’aller aux écoutes, pour savoir s’il n’y avait pas quelque dessous de carte qu’il m’importait de connaître. Elle est montée doucement, et elle a entendu le mari et la femme qui se querellaient. «Que savez-vous, des, raisons de cette jeune dame, disait le mari: peut-être est-ce une fille de famille, car elle en a l’air, qui ne s’est laissée enlever qu’à condition d’un prompt mariage, ou d’être respectée jusqu’à ce qu’il se fasse, et que ce jeune homme-ci veut abuser de sa situation? – Ah! si je le savais, a dit la femme, je serais la première à la soutenir! – Sois-en sûre, ma femme: je sais que malgré certaines expressions libres, que tu tiens de ta mère, tu as l’âme honnête et le cœur excellent; étudie un peu ces jeunes gens-ci, avant de te décider pour ou contre lorsque tu seras sûre, je trouverai bon tout ce que tu feras, et tout ce que tu diras.» La femme a répondu à son mari qu’il avait raison, et ils se sont réconciliés.

Mercredi matin, Lagouache était furieux contre moi. Il a demandé à déjeuner ensemble. Je m’y suis prêtée. Il a gardé un morne silence, qui m’effrayait, et j’ai commencé à me repentir sérieusement de m’être mise à la merci d’un tel homme… Ma chère Laure, je te l’avoue, j’ai eu une faiblesse avec lui, mais dans ma position actuelle, j’aimerais mieux mourir… Il s’en est allé après le déjeuner. Nous avons dîné et soupé à la même table. Le lendemain jeudi, même conduite, si ce n’est que nous avons dîné chez nos voisins. On est veau jouer, chez nous jusqu’au souper. On a repris le jeu après avoir quitté la table, jusqu’à la messe de minuit, où j’avais des raisons de ne pas aller. Lagouache a feint de se trouver incommodé; sans doute pour se donner un prétexte de ne pas accompagner nos voisins: je n’ai eu aucun soupçon, croyant sentir ses motifs; il a demandé la permission de se retirer dans sa chambre, pour aller se mettre au lit. J’ai voulu aussitôt quitter le jeu. Il m’a priée instamment de n’en rien faire, et de continuer à m’amuser, Nos voisins ont eu la discrétion de se retirer dès que le tour a été achevée je suis rentrée dans ma chambre, et je me suis mise au lit avec, Marie. J’étais à peine endormie, que j’ai entendu quelque mouvement, qui m’a éveillée, c’était Marie, qui se remuait, se retournait. Je lui ai demandé ce qu’elle avait, et pourquoi elle m’empêchait de dormir! «Vous dormiez donc, madame? – Belle demande! Allons, tâchez de vous tenir tranquille. – Mais c’est vous qui avez commencé.» Je n’ai rien compris à cela, et nous avons tâché toutes deux de retrouver le sommeil: je n’ai pu y parvenir; et Marie, de son côté, n’y ayant pas plus réussi que moi, ou peut-être voulant s’assurer de quelque chose, elle a feint de dormir profondément: ce qu’on entendait à sa respiration forte. Au bout d’une heure environ, j’ai senti Marie, qui cherchait mes mains: elle a les trouvées toutes deux, dans une position qui lui a fait voir que je ne l’avais pas touchée. Elle s’en est assurée encore; et ne pouvant plus douter, elle m’a donné de petits coups pour m’éveiller.»Que voulez-vous, lui ai-je dit? – Madame, a-t-elle répondu fort bas, monsieur est ici: voyez ce que vous voulez faire? – Restez à côté de moi, quelque chose qui arrive. – Mais c’est, madame, qu’il me fait des choses…, J’ai compris ce qu’elle voulait dire, et je lui ai fait prendre certaines précautions, que j’ai aussi employées pour moi-même. Nous sommes restées ainsi tranquilles, sans oser nous endormir: causant ensemble, de choses indifférentes. À minuit, à l’instant, où l’on a entendu tout le monde partir pour aller à la messe, Lagouache, qui se tenait caché dans la ruelle de mon lit, est venu se jeter sur moi, repoussant Marie si rudement, qu’il l’a fait tomber à terre: surprise et sans défense, j’allais être la victime de sa brutalité, car il était parvenu à me couvrir la bouche. Marie n’osait crier; cependant, je tâchais de l’encourager à ma défense par des mots inarticulés. Elle m’a comprise, et par ses efforts, elle est parvenue à me dégager. J’ai sauté hors du lit, et prenant mes habits avec moi, je me suis enfermée dans mon cabinet, où ma première pensée a été de m’habiller promptement. Je l’étais à demi, lorsque j’ai fait attention aux cris étouffés de Marie, car auparavant, je pensais que c’était une querelle entre elle et Lagouache; cette pauvre fille était nue; elle est jeune, et assez jolie: le malheureux, qu’elle tenait embrassé, pour me donner le moyen de m’échapper, la trouvant à sa portée, parce qu’elle ne soupçonnait pas son dessein, a tourné sa rage contre elle… et elle a été la victime de son zèle pour sa maîtresse… Je suis accourue à son secours. Mais… il n’était plus temps. J’ai vu M. Lagouache, fier de son indignité, se retirer, en disant qu’elle venait de payer pour moi. Ce trait est infâme, et je ne saurais dire combien je suis peinée d’avoir pris à mon service cette pauvre fille, déjà trompée par les hommes, pour lui causer un second embarras, qui achèvera peut-être de la perdre. Car ne nous flattons pas, ma cousine; quand les filles ont éprouvé ce cruel affront, elles n’ont plus la même délicatesse, ni la même vertu, si elles en conservent encore. J’ai tâché de, consoler Marie. Mais, elle est au désespoir, et depuis ce moment je ne puis parvenir à la calmer. Lagouache a osé paraître devant moi. Je l’ai traité comme il le méritait. Il s’est mis à ricaner. Je l’aurais souffleté, s’il avait été à portée de ma main, ou que je n’eusse pas craint de me donner l’air d’être sa femme, en lui sautant au visage. J’ai pris ma résolution de le quitter ce soir: il est moins sur nos pas depuis son infamie; je prépare nos paquets, et je n’attends que ta réponse. Je t’envoie Marie, tandis qu’il est sorti, à la brune, enveloppé dans son manteau. Tâche qu’il ne me retrouve pas ici.

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