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Voilà bien ses vrais sentiments; et j’en suis très aise; car j’aime mieux devoir son amitié à Edmond, qu’à toute autre cause: je serais d’ailleurs charmée que Mlle Fanchette fût un jour notre sœur; je t’avouerai que je l’aimerais mieux que la défunte, et parce que c’est la sœur de Mme Parangon, et parce qu’il y avait dans l’autre quelque chose qui répugnait à la délicatesse. Ici au contraire, c’est tout honneur et profit; car Fanchette sera riche: enfin, puisque Edmond ne peut pas être le mari de la chère Mme Parangon, il faut qu’il soit son frère. En mon particulier, je ne l’oublie pas auprès de la petite Fanchette; je lui peins tout le monde en laid hors Edmond; et comme sa sœur me seconde, elle me croit autant que je puis désirer d’être crue. Ainsi, ma chère sœur, tu vois que cet attachement pour notre cher frère, dans une femme aussi vertueuse que Mme Parangon, n’aura aucune mauvaise suite, et qu’au contraire, il en aura de très bonnes pour lui et pour moi; ce qui, vu le bien que vous nous voulez tous, doit vous faire le plus grand plaisir; et ce n’est qu’à cette intention que je te le marque. L’écrit copié n’est aussi que pour te donner de bonnes preuves de ce que je dis, et te montrer l’extrême confiance que j’ai en ta discrétion; te priant, après l’avoir lu, de me le renvoyer, pour que je le garde précieusement.

À présent, il faut parler de moi. Je t’avouerai que je suis un peu curieuse; c’est ce qui fait que je sais bien des petites choses qu’on ne se doute pas que je sache. Telle est par exemple la recherche de M. H…, le conseiller: j’entendais hier Mme Parangon qui parlait de lui à sa tante, et qui lui disait qu’elle avait refusé un très joli présent qu’il voulait m’envoyer; et qu’il m’avait écrit une lettre, qu’elle avait d’abord acceptée, mais que tout considéré, il ne fallait pas que je visse; parce qu’on ne savait pas ce qui pouvait arriver; qu’un homme de cette condition-là, pouvait se retirer, ce qui donnait toujours des chagrins à une fille, et qu’elle voudrait pouvoir me les éviter tous. Mme Canon l’a bien louée de sa prudence! Et moi, tout bas, je l’ai remerciée de ses excellents sentiments à mon égard; ils marquent tant d’amitié, que j’en étais attendrie. Mme Canon a demandé à voir la lettre, et elle a cherché ses lunettes pour la lire: mais ne les trouvant pas assez vite, elle a prié sa nièce de la lire elle-même. Et voici ce que j’en ai retenu.

Lettre du Conseiller, à Ursule.

Mademoiselle,

Quoique je sois un inconnu pour vous, je viens d’obtenir de Mme Parangon la permission de vous écrire deux mots: cette respectable dame, à qui vous êtes si chère, connaît mes sentiments, et elle s’est chargée d’être mon interprète auprès de vous: si donc j’écris, c’est pour vous rendre mon hommage en personne, et vous exprimer d’une manière exempte de tout soupçon d’adulation, l’estime et le respect que vous m’avez inspirés. L’une et l’autre sont l’effet d’une impression durable, et telle que vous devez la faire sur tous ceux qui ont le bonheur de vous approcher, puisque l’absence n’a contribué qu’à la creuser davantage. C’est à l’honneur de vous obtenir pour compagne de mon sort que j’aspire.

Je vous avouerai, mademoiselle, qu’avant de m’abandonner sans réserve à mes sentiments, je me suis informé de votre famille, et que je n’y ai trouvé que des choses honorables, sous tous les points de vue possibles, soit par les ancêtres, soit par les mœurs et la bonté de vos auteurs les plus proches, comme M. votre père et Mme votre mère: c’est d’après ces informations, que j’ai suivi, avec un plaisir au-dessus des termes que je pourrais employer, le penchant que vous m’inspiriez, et que je me propose de m’honorer de votre parenté, au moins autant que de la mienne. Voilà, je crois, mademoiselle, ce qu’un honnête homme, tel que je fais profession de l’être, doit écrire à une jeune personne qu’il recherche. Aussi ne m’en permettrai-je pas davantage; me contentant d’ajouter, que je suis et serai toute ma vie, avec un dévouement parfait, mademoiselle,

Votre très humble, très obéissant serviteur, et tendre adorateur,

H**, conseiller.

Il me semble, ma chère sœur, que cette lettre est très bien, et qu’on ne peut écrire plus honnêtement: je l’en estime fort, et si mon bonheur veut que j’aie un aussi honnête mari, ma joie la plus vive viendra de celle qu’en ressentiront nos chers père et mère, de celle que vous en aurez tous, ma chère, surtout toi, avec qui mon inclination m’a toujours unie. Il me semble que notre digne père serait bien content, lorsqu’il nous verrait à S**, honorés par tous ces gens de justice de V*** et des environs, qui nous regardent du haut de leur grandeur, et qui se trouveraient alors bien au-dessous de nous! je t’avouerai, ma bonne amie, que cela me tente plus que le mariage, quoique le conseiller soit bel homme à mes yeux, et je crois aux yeux de tous ceux qui le voient. À présent que je t’ai dit tous mes petits secrets les plus importants, je puis bien t’en dire d’autres, qui ne m’intéressent pas autant, à beaucoup près.

Toutes les fois que je sors, pour peu que je reste en arrière, on me glisse des billets, surtout de la part d’un certain marquis, ou se disant tel, qui m’a déjà parlé. Je m’embarrasse assez peu de pareils messages; et cependant j’en suis flattée, parce que cela me rassure au sujet de M. le conseiller; je me dis, que n’étant pas le seul, il faut qu’il y ait quelque raison pour qu’on me trouve aimable. Sans prendre de vanité, ce qui serait bien sot à moi! je trouve du plaisir à tous les compliments que je reçois, de bouche, ou par écrit. Je sens pourtant qu’il ne faut pas avoir l’air de lire les billets; et voici comme je m’y suis prise. J’ai gardé le premier qu’on m’a glissé, comme si je ne m’en étais pas aperçue, et j’ai eu bien soin de le mettre dans ma poche. Une autre fois quand nous sommes sorties, j’ai été attentive si on m’en donnerait un nouveau: ça n’a pas manqué; et moi je vous ai tiré le premier billet, que je tenais exprès entre mes doigts, et je vous l’ai déchiré en mille pièces: par ce moyen, je satisfais ma curiosité, en lisant toutes les sornettes qu’on m’écrit, sans porter aucune atteinte à ma réputation. Je vais te copier quelques-uns de ces poulets, chère petite sœur, pour te donner une idée de ce qui se passe ici, et de la manière dont on y déclare ses sentiments aux filles sans les connaître; si j’osais m’informer, je serais plus instruite: mais il me semble qu’on en agit avec toutes les filles comme avec moi. Le premier qui m’ait écrit, est celui qui m’a parlé: c’est quelqu’un d’importance, et son air de distinction me le faisait respecter, mais je ris à présent de mon respect; voici de son style:

Premier billet doux.

Je ne sais, ma belle demoiselle, avec qui vous êtes; si c’est votre mère, votre tante, votre gouvernante, etc.; mais elle est inabordable: ou vous êtes à quelqu’un de puissant, comme un ministre, qui vous entretient en secret, ou à quelqu’un de riche, qui ne laisse rien à désirer à votre maman: dans ce dernier cas, je l’emporterai à coup sûr; je suis distingué autant qu’un particulier peut l’être: honorez-moi d’une réponse, que vous laisserez tomber, lorsque je vous ferai remettre un second billet; je serai exact à me conformer à vos intentions, quelque hautes qu’elles soient. Si pourtant vous étiez encore neuve, j’avouerai que vous êtes un trésor, que toute la fortune de votre serviteur ne pourrait payer.

Le M. de***.

P.-S. – Mon nom sera signé, dès que je connaîtrai vos intentions.

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