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Nous avons fait hier une partie proposée par la belle marquise. Je m’y suis préparée dès le matin. Le marquis est arrivé: «Vous allez à la campagne? – Oui, monsieur. – Peut-on savoir?… – Non. – C’est un mystère? – Oh! très mystérieux, je vous assure. – Vous êtes la maîtresse madame, et je ne vous demande plus que l’instant où je vous reverrai? – Mais vous ne me quittez pas, j’espère – Comment! – Vous êtes de ma partie.» Il est venu m’embrasser dix ou vingt fois. «Vous êtes seul dans ma confidence: nous avons lié une partie carrée, une des mes amies et moi, et je vous ai choisi pour mon chevalier. – C’est charmant! – Allez prendre un habit de, campagne et une remise.» Il est sorti avec une vivacité qui m’a plu. À son retour, nous sommes partis. J’ai nommé la porte Maillot au cocher. Le marquis était, tout en l’air: il cherchait à lire dans mes yeux; mais il n’y voyait rien. Nous sommes arrivés, et, j’ai fait arrêter. «Descendons un moment; il fait beau – je voudrais marcher un peu sous ces arbres.» je me suis appuyée sur le bras du marquis, d’un air assez tendre. Il était hors de lui-même. Ce que c’est que d’avoir un peu de rigueur!… Enfin, j’ai aperçu l’autre remise qui venait au grand trot. J’ai dirigé notre marche de ce côté: à cinquante pas environ, voyant que nous étions reconnus, j’ai fait retourner le marquis. Je causais de manière à captiver toute son attention. Cependant Edmond et la marquise étaient descendus, en donnant ordre à leur voiture d’aller joindre la nôtre. lis nous ont surpris par-derrière, en nous disant – «Ah! l’on vous y trouve!» Le marquis a tressailli. Sa femme s’est emparée de son bras, et lui a dit: «C’est moi qui fais cette partie: j’ai voulu connaître mademoiselle, et causer avec elle, tant que je voudrai; ainsi vous aurez la bonté de me la céder, et de vous amuser ensemble comme vous pourrez, M. Edmond et vous.» Et sans attendre sa réponse, elle est venue m’embrasser. Je l’avoue, sa beauté m’a éblouie; je n’ai pu cacher mon admiration; elle s’en est aperçue et m’a dit à l’oreille: «Nous éprouvons toutes deux le même sentiment. Vous êtes ce que j’ai vu de plus séduisant dans mon sexe, je ne sais quel charme accompagne vos moindres mouvements, surtout votre rire. Je n’en veux plus au marquis, ni pour ce qu’il vous a fait, ni pour sa conduite actuelle; vous êtes la seule coupable; ou plutôt, c’est Vénus elle seule qui vous a faite si belle, si jolie, si mignonne, en un mot tout ce qu’il faut être pour qu’on ne puisse vous résister.» Cinq ou six baisers ont suivi ce compliment, que j’ai rendu avec usure, mais pas si bien tourné. Nous avons voulu marcher. La marquise était en robe à l’anglaise verte, relevée de rose; j’en avais une de taffetas blanc, garnie de rose et de vert. Ces habits nous allaient comme jamais rien n’a été à jolie femme; nous étions charmantes; car non seulement nos deux hommes nous le disaient, mais tous les passants s’arrêtaient avec une sorte d’admiration. Nos voitures suivaient: elles étaient propres, mais sans armoiries, puisque c’étaient des carrosses de louage. Nous n’avions à la mienne que mon laquais, et à celle de la marquise, que le valet d’Edmond; ainsi, rien qui fît connaître les deux époux. Comme nous avancions sur la pelouse du côté de Passy, nous avons rencontré un brillant équipage, où étaient un homme décoré, un jeune homme, et deux dames. Le marquis en était connu; il s’est éclipsé adroitement, et est rentré dans une des voitures dont il a baissé les stores. Le brillant équipage s’est arrêté, pour nous considérer. On nous regardait, on regardait Edmond, que je nommais mon frère. Il donnait le bras à la marquise, et je marchais seule. Tout l’équipage s’est mis aux portières; et nous entendions derrière nous: «Voilà ce qu’il y a de plus beau. dans le monde! les connaissez-vous? – Non! – Non!» Tout le monde répondait non. Le jeune homme, qui paraissait fils de l’homme décoré, a dit: «Mais je crois avoir vu quelque part la dame en vert. – Elle est charmante! a dit une des dames: quel air noble! que de grâces! Et l’autre? a dit l’homme décoré: c’est une des grâces sans doute à sa mise! c’est une enfant; elle n’a pas quatorze ans! – Il est vrai! a répondu l’autre dame; je l’examine depuis quelques instants: je ne sais en vérité si c’est une fée, ou une mortelle. – Voilà qui est singulier!» répétaient-ils tous ensemble, «Le jeune homme est charmant! quelle taille! quel air distingué! il est trop beau. – Oui, ont dit les deux hommes, il est trop beau, surtout s’il le sait.» Nous écoutions sans souffler, quoique nous parussions causer entre nous. La marquise était comblée, et j’ai vu que mon frère ne perdait pas à ces éloges. De son côté, il s’appliquait à prendre avec la marquise l’air le plus respectueux, et avec moi, le plus tendre: de sorte qu’il a enchanté tout ce monde. (Mais nous avions entrevu un autre cavalier? ont dit les dames. – Oui, a répondu le jeune homme; il s’est retiré avant que nous descendissions, et peut-être est-ce lui qu’on attend.» D’après ce mot, nous avons marché du côté des voitures, et nous y sommes montées, la marquise dans celle de son mari, et moi avec Edmond. Nous avons ainsi échappé à la curiosité.

Parvenus dans le bois, nous y sommes descendus: nous avons d’abord marché tous quatre, ensuite nous nous sommes séparées, la marquise et moi. La première chose qu’elle m’a dite a été un compliment flatteur, suivi d’un baiser, que je lui ai rendu: ce qui a paru lui plaire. Elle m’a proposé un plan de vie, dont je vous entretiendrai de bouche. Il paraît qu’elle a les mêmes vues que son mari, et qu’elle se propose de foire un joli Quatuor. Elle m’a ensuite parlé de mon portrait, qu’elle tient de la main d’Edmond; du sien, que le mien lui a donné envie d’avoir sous un costume, où les draperies ne sont pas visibles. Elle m’a témoigné la plus tendre amitié; je croyais être avec Mme Parangon, et la marquise, au lieu de l’effacer, n’a fait que me faire mieux sentir tout ce que vaut cette belle prude: en vérité Mme Parangon a tout; et ce que la marquise m’a montré de mieux, elle l’a tout comme la première. C’est un hommage que je suis bien aise de rendre, en passant, à l’ancienne inclination de mon frère. Après un entretien particulier, assez long pour faire connaissance, et nous communiquer tous nos petits secrets tant au sujet d’Edmond que du marquis, nous les avons rejoints. La marquise a donné la main à mon frère, et j’ai présenté la mienne au marquis. L’heure du dîner approchait; nous avions beaucoup marché; nous, sommes revenus à La Muette, chez le Suisse. C’est à table que la gaieté a brillé; j’ai vu là tout ce que vaut une femme bien élevée, mais au-dessus du préjugé comme la marquise: car ici, elle a surpassé Mme Parangon, sans néanmoins sortir de la décence. Le marquis paraissait enchanté, autant de son épouse que de moi. En effet, le charme que cette femme aimable répandait autour d’elle agissait avec tant de force sur moi-même, que j’étais tendre pour le marquis; je l’enivrais, et je m’enivrais moi-même. Edmond, timide et modeste, était si bien ce qu’il fallait qu’il fût, que tous trois nous ne pouvions nous lasser de l’admirer; et la marquise m’a dit vingt fois à l’oreille: «Il est réellement aimable! Ce n’est pas une vaine apparence: regardez-le! pas la moindre imprudence; pas la moindre familiarité, même avec mon mari: il est modeste avec noblesse; il se prête à tout, et ne s’avance jamais: cette partie-ci lui fait bien de l’honneur dans mon esprit, et s’il ne change pas…» Elle s’est arrêtée; elle l’a regardé; puis dans un mouvement très rapide, elle a embrassé son mari, qui en a été aussi surpris que moi. Cependant il s’est comporté de la manière la plus reconnaissante; il a fait des compliments à sa femme; il a vanté la bonté de son cœur, qui égale ses grâces et sa beauté. Il nous en a fait juges. Vous imaginez comme j’ai dû répondre: mais ici Edmond nous a surpassés. Obligé de dire son sentiment, il a su mêler les choses les plus fortes et les plus flatteuses pour, la marquise, à des marques de respect, assez touchantes, pour exciter deux larmes, que nous avons laissé couler, la marquise et moi, dans le même instant. Le marquis les a recueillies à toutes deux, et dans ce moment, j’ai vu, ou cru voir, que la marquise, a pressé imperceptiblement une main d’Edmond, qui était près d’elle. Voilà comme s’est terminé notre dîner, un des plus agréables que j’aie faits en ma vie. Nous avons aussitôt quitté la table, pour aller nous promener dans les jardins. Il y a eu beaucoup plus de liberté: le marquis m’a prise sans façon, et a laissé la marquise à mon frère. Nous avons d’abord marché à quelque distance; mais ensuite nous nous sommes perdus de vue. L’envie de ménager un agréable tête-à-tête à Edmond m’a rendue très tendre: le marquis était comblé de me sentir m’appuyer mollement sur son bras; ses discours étaient de feu; il me montrait les sentiments les Plus Passionnés; il me jurait qu’il n’était heureux que de ce moment, et qu’il devait son bonheur à la marquise; qu’il voulait lui en conserver une éternelle reconnaissance. (Vous voyez que je ne brouille pas les ménages!) Quant à Edmond, il paraît que son entretien avec la marquise a été fort animé: nous les avons quelquefois entrevus, très attachés à ce qu’ils se disaient; quelquefois nous les avons entendus, parlant avec une aimable vivacité. Du reste, nous n’y avons rien compris: le marquis, dès que nous les approchions, m’obligeait à les éviter, malgré la grande envie que j’aurais eue de découvrir quelque chose. J’ai cependant usé de finesse, sous un prétexte naturel, je me suis écartée seule: la voix de la marquise s’étant fait entendre, je me suis approchée: ils étaient assis sous un berceau de jasmins et de chèvrelle, et j’ai vu Edmond tenant fort tendrement une main de la dame, dans les yeux de laquelle je n’ai rien vu de cruel. Je ne sais où les choses, seront allées: mais un baiser donné m’ayant fait craindre un dénouement trop heureux, surtout quand Edmond l’a eu rendu, j’ai rejoint le marquis pour l’éloigner.

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