Ce ne sont pas les seuls acteurs du théâtre par excellence, qui ont droit à la reconnaissance des citoyens, dont ils font les délices. Ne dirai-je rien de Larrivée, cet acteur des grâces et de la belle expression? ce Lekain de l’Opéra? De Legros, qui réunit à l’expression heureuse, la plus belle voix de l’univers! Que de doux moments ne m’a pas donnés cette belle actrice, la reine de la scène lyrique pendant plus de dix ans! Arnoult, qui ne t’a pas adorée, n’avait ni âme, ni sensibilité; il n’avait rien d’homme; c’était une huître à figure humaine. Et toi, charmante Rosalie, dont j’ai deviné les talents avant que tu les eusses montrés, toi, digne de Gluck, Gluck seul et J. – J. sont dignes de toi. Où trouvera-t-on une femme qui fasse tes rôles, majestueuse Duplant! Combien de fois Beauménil m’a-t-elle fait désirer d’être l’heureux berger qui sert d’écho à sa voix touchante!… Mais que dirai-je de ces nymphes enchanteresses, de ces magiciennes aimables, de ces fées qui réalisent les contes de Mme D’Aunoi! Halard, tu chassais la mélancolie de mon cœur, et malgré le chagrin, qui en gardait l’entrée, tu introduisais la gaieté. Ainsi disposé par toi, ta douce et voluptueuse compagne, Guimard, y faisait glisser la volupté. D’Hauberval accourait alors, et repoussait la réflexion; il m’amenait un chœur de jeunes nymphes, Théodore, Cécile, Dorival, Heinel… D’autres fois, il conduisait l’épouvante et l’horreur: suivi des furies, Peslin, Hidoux, il portait dans mon âme un effroi que j’aimais à sentir… Mais quittons les enfers, quittons ce gouffre immonde, et revoyons à la céleste lumière, l’élégant Vestris, le sage et savant Gardel étaler la majesté, les grâces et toute la magie de leur art…
Où es-tu, Philomèle? qu’es-tu devenue, voix enchanteresse, qui eût désespéré le rossignol? Laruette, actrice adorable, je n’entendrai plus tes divins accents! je ne verrai plus ton jeu noble et vrai? Mais Mandeville me reste encore; et puisse-t-elle ne pas quitter la scène, tant que j’aurai des yeux pour la voir, et des oreilles pour l’entendre! Où est Cailleau? devait-il se montrer, pour me rendre insensible à jamais aux talents de ceux qui l’ont remplacé? Aimable et sensible Clerval, tu me consoles de son absence: vous jouiez ensemble; en te voyant, je crois vous voir tous deux… Mais qu’aperçois-je avec toi, au lieu de Laruette? quelle est cette actrice maniérée, qui ne songe qu’à sa beauté, qui ne s’occupe qu’à la faire admirer, qui développe bien mieux ses mouvements que sa voix, qui ne songe qu’à se montrer avantageusement, sans s’occuper du personnage? Et cette autre qui, le masque du comique sur le visage, vient grimacer la sensibilité? Actrice charmante sur les tréteaux de la foire, pour y seconder Vadé, peut-être même y jouer le chef-d’œuvre de Favart, cette Chercheuse d’esprit toujours fraîche, et qui jamais ne vieillira; mais incapable de doubler Laruette, ni Mandeville! Ah! fuyons ce théâtre! il faut y renoncer; il n’est plus que le spectacle des Cataugans… Cependant j’y vois encore Carlin! Carlin, qui fit le charme de mes jeunes années te souviens-tu! ô Carlin! quand tu soufflais l’allumette que tenait Coraline, fraîche alors, brillante des fleurs de la jeunesse? Eh bien, je vous admirais tous deux, et je sentais quelque chose de plus pour elle, où le talent n’entrait pour rien. Te souviens-tu, ô Carlin, quand, dans le Maître de musique, tu jouais avec la sémillante Favart? et que tu vins à l’amphithéâtre nous chanter encore, Je suis sorti? Il y a longtemps! Rochart était parmi vous; on n’a pas joué la Bohémienne depuis lui, depuis Favart; votre Suin fait mal au cœur dans ce rôle: nous avions Champville; mais il ne valait pas Trial…
Pardon belle URSULE! je viens de m’oublier, en vérité! mais je suis si enthousiaste du théâtre, qu’en me rappelant les plaisirs qu’il m’a donnés par ses grands, ses inimitables Colons, l’illusion m’a emporté; j’ai cru les voir et converser avec eux. Cependant tout ne convient pas à tous; et le théâtre n’est bon ni pour vous, ni pour Laure; encore moins pour Edmond, si jamais le caprice lui en prenait. Ce que je ne crains guère cependant: c’est, à certains égards, un faible courage, il n’est pas de ces âmes dégagées qui, s’élançant au-delà des préjugés, bravent les erreurs communes: ainsi rien à redouter de ce côté-là, du moins quant à présent. Je me rappelle, à ce sujet, qu’un jour il lisait dans Suidas, historien moine grec et compilateur du XIème siècle, que les farceurs du triumvir Antoine, étaient les mêmes à qui le roi Attale avait donné la ville de Myonnèse: «Lorsqu’ils eurent cet établissement, ajoute l’historien, ils prétendirent s’y fortifier, et y former une république histrions: mais les habitants de Theïos (aujourd’hui Suzar), indignés d’un pareil voisinage, envoyèrent à Rome, pour se plaindre au Sénat, de ce que ces farceurs érigeaient une forteresse sous les yeux de leurs anciens maîtres; et par un reste de justice, le Sénat de Rome corrompue, transporta la colonie comique à Lébédos, aujourd’hui Lacéréa», Edmond, dis-je, en achevant de lire ce trait, courut à moi l’indignation dans les yeux: «- Ah, ciel! quelle République! et quelles mœurs elle aurait eues!» s’écria-t-il. Je souris. Mais il me regarda d’un air si grand, si majestueux, que je l’embrassai. «J’aime cette indignation, lui dis-je; conserve-la, elle te sera nécessaire j’aime cet air surtout; il montre la noblesse de ton âme je ne croyais pas ta figure efféminée susceptible de tant de dignité, quoique j’en eusse remarqué l’à-peu-près dans celle d’Ursule. Mais ne méprise personne; les comédiens sont des hommes.».
Ce n’est pas sérieusement non plus que j’ai dit du mal de la plupart des pièces dramatiques: cependant, je persiste à l’égard de l’École des maris: malgré son but moral, je n’aime pas George Dandin; et comme quelqu’un l’observa au Parterre, le jour de la première représentation des Courtisanes, un étranger sachant notre langue, sans connaître nos mœurs, qui se fût trouvé à Paris, quand on y donna George Dandin avec cette nouvelle pièce, aurait pris de nous une singulière idée, s’il en avait jugé par notre comédie qui doit être la peinture des mœurs.
Restent les Femmes autrices, dont j’ai dit du mal, comme autrices seulement. Il y a trente ans que Clément écrivait: «Je hais l’esprit dans les femmes (à moins que ce ne soit celui de saillie, ou de naïveté), parce qu’il me semble qu’il prend quelque chose sur l’air de jeunesse: je le pardonne à celles qui ont le nez long, parce qu’elles ne peuvent jamais avoir l’air jeunes; et à fée de S*, qui n’a plus de visage.» Moi, je suis plus indulgent, je leur pardonne tout l’esprit possible; mais non la science: je voudrais qu’une femme autrice ne peignît que la nature, qu’elle n’eût de moyens que ceux de l’esprit naturel, sans aucun appui de lecture. Cependant il faut des exceptions: je permettrais la science à Mme Riccoboni; parce qu’elle sait en faire un charmant usage: à Mme de Genlis, parce qu’elle sait la rendre utile; mais je l’interdirais à Mlle Saint-Léger, parce que l’ignorance doit être adorable dans ses vives et sémillantes productions. Je voudrais que Mme Benoît ne peignît que des caricatures, parce qu’elle s’en acquitte bien; sa Nouvelle Aspasie est un ouvrage prononcé, bien au-dessus de ses premières productions; je vous en conseille la lecture. J’interdirais encore la science à nos femmes poètes; l’érudition ne peut qu’appesantir leurs éruptions légères: d’ailleurs, que nous apprendront-elles? Les femmes qui veulent régenter dans leurs écrits, ressemblent, pour la plupart, au compilateur ignorant qui a rassemblé les Anecdotes des beaux-arts; elles nous apprennent faiblement, que ce que nous savons beaucoup mieux.