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Depuis longtemps, je cherche dans ma tête quelle est la classe où je dois ranger ce métier? Cela serait bientôt fait, si les comédiens ne jouaient que des Bourgeois gentilhomme, des Cocu imaginaire, des Médecin malgré lui, du Dancour, du Dufresnil, une fois ou deux du Regnard; des Tuteur dupé, des Hommes dangereux, des Philosophes, des Sganarelle; des Mariages Samnites, des Réduction de Paris, et des Comédies italiennes. Mais ils jouent les Horace, le Cid, la Mortde Pompée, Athalie, Phèdre, Britannicus, Mérope, Alzire, Mahomet, Inès, le Siège de Calais, la Veuvedu Malabar, les Druides, le Père de famille, Eugénie, Nanine, le Duel, le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, les Précieuses ridicules, le Joueur, le Dissipateur, la Gouvernante, l’Écoledes mères, le Préjugé à la mode, le Glorieux, Ésope à la cour, la Partiede chasse, etc. Ils représentent la Surprisede l’amour, l’Épreuve, la Mèreconfidente; Arlequin sauvage, Rose et Colas, Lucile, Silvain, Zémire et Azor, l’Amoureuxde quinze ans. Ils donnent à l’Opéra les Iphigénie, Alceste, Castor, le Devin, Electre. Et je m’arrête un moment à réfléchir: si les acteurs sont méprisables, de vils baladins dans les pièces d’abord citées, ils sont des rôles honorables dans les secondes, Par exemple, dans le Duel, Victorine, Antoine, les Vandeck, ont des rôles qui me charment. Dans Eugénie, le vieil Anglais son père, est un homme respectable, la fille, une jeune personne vertueuse et charmante. Il n’est rien là qui puisse avilir l’acteur ou l’actrice; au contraire, ils sont dans ces occasions les prêtres de la bonne morale et de la vertu. Mais quand je vois un George Dandin et sa gaupe de femme; un Pourceaugnac, et les friponnes qui le dupent un Sganarelle, un Moncade et son valet à bonnes fortunes; une Agathe, dans les Folies amoureuses; ces basses bouffonneries des Comédies italiennes; quand je vois l’air platement comique que l’acteur donne à des héros dans Henri IV, dans la Réduction; une Eliane trois fois ridicule le casque en tête.; alors je ne puis m’empêcher de voir l’identité des acteurs, des actrices, avec les baladins, les baladines du boulevard; et ce n’est pas une question si ces derniers sont méprisables: Taconet, en savetier, ne rend pas la nature, il la charge et la dégrade: or il est bien certain que Pourceaugnac, George Dandin, l’Avocatpatelin, sa femme, le berger Agnelet, etc., ressemblent comme deux gouttes d’eau à Taconet. Donc il est honteux, dégradant d’être comédien, et surtout comédienne. Quelle que soit la morgue des femmes de cette classe, combien ne sont-elles pas au-dessous d’une fille telle que vous!

D’ailleurs, l’état d’actrice, de danseuse, me paraît contraire à mes projets à votre égard: et il faut vous avouer ici, que le marquis, emporté par une idée de jeune homme, aurait persisté dans sa première idée de vous faire actrice sans mes observations. En effet, vous êtes la mère de son fils, et ne fut-il jamais qu’un fils naturel, il n’en tiendra pas moins à la maison de ***; il pourra être officier, etc., voudriez-vous que ses confrères lui disent un jour que sa mère était une excellente danseuse à l’Opéra? Cette raison seule a fait changer le marquis d’idée.

Si nous considérons le théâtre quant au fond, c’est-à-dire philosophiquement par ses effets, il n’est pas plus honorable, que par son écorce: cet état, quelques plaisirs qu’il nous donne, est légalement flétri, et c’est toujours descendre que d’y entrer: sa flétrissure est juste, premièrement par ses effets sur les mœurs; deuxièmement par le genre d’imitation auquel il assujettit les acteurs et les actrices, les danseurs et les danseuses. Examinons ces deux articles.

Premièrement, les effets du spectacle dramatique sur les mœurs sont toujours nuisibles, quelle que soit la pièce, au moins à une partie des spectateurs: car si la pièce est l’Ecoledes maris, par exemple, tous les spectateurs y apprendront qu’il faut que les femmes soient telles que nous les voyons de nos jours, libres, folles, coureuses de bal et de promenades, coquettes pour la mise, insubordonnées. Qu’il faut tromper, vilipender les maris sensés, qui ne veulent pas que leurs épouses suivent cette conduite indécente, destructive de toute retenue, de toute économie, de tout bon gouvernement dans le ménage. Molière dans cette pièce, digne du feu, a été le plus dangereux des corrupteurs, le plus mauvais, des citoyens, le plus punissables des auteurs. On va cependant tous les jours sans scrupule à l’Ecole des maris; on y va rire des bonnes mœurs, approuver les mauvaises; les Maris de la capitale et des provinces y vont comme de vrais benêts, applaudir ce qui les fait journellement enrager chez eux! Et la leçon ne sera pas infructueuse pour leurs dignes épouses! Comment regarder les deux actrices principales, les deux sœurs, dans l’Ecoledes maris? Comme les prêtresses de l’impudence, de la perversité, de l’insubordination, de la coquetterie: rôle infâme, ministère abominable, détestable, digne des peines les plus sévères, et à leur défaut, de l’infamie justement jetée sur les comédiens. Vous voyez, belle Ursule, que pour démontrer l’infamie de la profession, je ne vais pas chercher des auteurs obscurs; je prends Molière, le grand Molière, ce grand corrupteur, qui faisait sa cour aux dépens des mœurs, sous un roi aussi galant que glorieux: je prends Molière, dis-je, ce véritablement grand homme, qui aurait eu assez fait pour la gloire, et bien mérité de ses concitoyens, après le Misanthrope, le Tartuffe, les Précieuses ridicules, les Femmes savantes, ces éternels chefs-d’œuvre de bon goût et de bonne morale. Aussi remarquez que dans ces quatre drames sublimes, l’homme divin qui les a faits, y prêche directement une morale opposée à celle de l’Ecole des maris. La coquette est abandonnée par Alceste, parce qu’elle veut vivre comme la femme de l’Ariste de l’Ecoledes maris. La femme du Tartuffe ne vit pas comme celle de l’Ecoledes maris. Que fait-il dans les Précieuses ridicules, que de ramener les femmes à la noble simplicité de la nature? Mais dans les Femmes savantes, ce grand homme prévoit les abus actuels; il y fronde d’avance, et ces bibliothèques, qu’on prétend ouvrir aux femmes, et la manie de vouloir leur donner l’éducation des hommes, parce qu’elles sont la moitié du genre humain; (notez ceci, belle URSULE elles sont la moitié du genre humain; et la tourbe méprisable des Gynomanes prétend les élever comme si elles étaient le genre humain tout entier!) Il me semble, en voyant les efforts de nos Homoncioncules-femmelettes, pour faire des hommes de nos femmes, entendre encore ce vigneron grossier et bourru de Saint-Bris, qui, au milieu de ses concitoyens assemblés sous la Halle, se plaignait de ce que Dieu avait fait des femmes. Comme il était à demi instruit, il repassait les torts qu’elles avaient fait au genre humain, en commençant par Ève, descendant à Hélène, de celle-ci à la marquise de Brinvilliers, et de cette dernière à sa femme, ainsi qu’à toutes les méchantes femmes du bourg.»Eh! pourquoi Dieu, qui est tout-puissant (s’écria ce nouveau Garot), n’a-t-il pas donné aux hommes la faculté de se reproduire? pourquoi les a-t-il affligés de ces Etres détestables et maudits, qui ont amené l’Enfer sur la terre?» etc. Nos Gynomanes en font autant que ce brutal. Ils veulent qu’il n’y ait plus qu’un sexe; que tout soit homme. Mais la femme est la plus belle fleur de la nature. Cet Etre charmant, en le laissant ce que l’a fait cette bonne nature, est le puissant lénitif qui adoucit les hommes; l’attrait qui les réunit, les attache les uns aux autres: d’où vient donc le détruire? Car c’est le détruire que de lui donner l’éducation des hommes; que de lui ôter son aimable ignorance, sa naïveté, enchanteresse, sa délicieuse timidité; que d’empêcher qu’il ne soit le parfait opposé de l’homme courageux. Maudit soit celui qui ravira pour jamais à l’homme l’inexprimable plaisir d’être le protecteur, le défenseur, le rassureur de la femme contre ces craintes enfantines, qu’il est si ravissant de calmer!… Il faut donc laisser femmes les femmes; comme il ne faut pas efféminer les hommes. Et c’est ce qu’a voulu nous enseigner Molière, par sa comédie des Femmes savantes.»Mais, me dira-t-on, ces bonnes pièces sont donc utiles aux mœurs? – Oui et non; comme répondrait le Sphynx: oui, à la lecture; non, à la représentation. C’est le second membre de ma première proposition, que la représentation des pièces, quelles qu’elles soient, est contraire aux bonnes mœurs. J’en appelle à tous ceux qui vont au spectacle: les jeunes hommes y voient plus l’actrice que la morale: ils ne sont occupés, durant tout son jeu, qu’à la désirer, à la convoiter; et comme il en est peu qui puissent parvenir jusqu’à elle, voici ce que j’ai vu cent fois: les femmes de plaisir abondent aux environs des spectacles; le jeune homme ému, en sortant, aperçoit-il quelqu’une de ces malheureuses qui ait dans sa parure ou dans sa figure quelque rapport avec sa déesse de théâtre, il se livre à cette Céléno, perd avec elle un argent nécessaire et sa santé. Ce ne serait que demi-mal, si on réalisait le Projet que m’a montré l’autre jour un bonhomme, qu’au premier aspect je pris pour un sot. Mais la lecture de son manuscrit me détrompa. Il est intitulé Le Pornographe, ou la Prostitutionréformée; il y donne des moyens de rendre les prostituées moins pernicieuses pour les mœurs, sans danger pour la santé, etc. Je l’ai lu avec surprise, et j’ai senti le chagrin le plus vif, en prévoyant que le préjugé empêcherait que jamais on exécutât ce plan de réformation. La représentation de toute pièce, d’après ce point de vue, est dangereuse pour les jeunes hommes. Elle l’est également pour les jeunes filles et pour les femmes. Combien en est-il qui ont ensuite cédé à un amant, coiffé, costumé, parlant, se tenant comme tel acteur qui les avait enchantées! Si j’ai vu cent jeunes gens se perdre, en trouvant à certaines prostituées de la ressemblance avec la (…) (parce que de nos jours les hommes et les femmes sont tous jetés dans le même moule; qu’il n’y a plus d’allure ni de marche de caractère, mais seulement une façon d’exister générale imitative; de sorte que par le dos, on ne saurait distinguer aujourd’hui les hommes et les femmes de même taille). Si j’ai vu cent jeunes gens se perdre, j’ai de même également vu des jeunes filles se donner à la ressemblance des (…), etc. Quelles que soient les pièces, les représentations théâtrales sont donc nuisibles aux mœurs du spectateur. Eh! combien de fois la sage et touchante (…) n’a-t-elle pas excité la tempête dans de jeunes cœurs, qui venaient de la voir jouer soit Eugénie, soit Lindane, soit Angélique, ou tout autre rôle honnête! Cette actrice, la décence même, qui est touchante, sans être belle, parce qu’elle a la forme de l’innocence, de la candeur, était encore plus, dangereuse que la (…), que la voluptueuse (…), que ces lubriques danseuses de l’Opéra, qui réunissent la figure la plus provocante à la mise rappelante, aux talents enchanteurs…» Mais c’en est assez là-dessus: je dirai tout à l’heure où je prétends en venir. Deuxièmement, le genre d’imitation auquel le drame, tel qu’il soit, assujettit les acteurs et les actrices, les dégrade, les avilit; rend leur profession indigne du titre d’art libéral et libre. Rien de si aisé à prouver. – Qu’est-ce qu’un mime, un comédien, un acteur? – C’est un imitateur. – Comment imite-t-il? – Ce n’est pas, comme le peintre, en se servant de sa main, pour rendre sur un corps étranger l’image de la nature: le comédien, le danseur pantomime rend la nature vivante dans sa propre personnels comme le singe. S’il le fait pour s’amuser, se divertir, rire avec ses amis, c’est une singerie divertissante, c’est un jeu d’enfant. Pour sentir la vérité de ce que je dis là, il suffit de rentrer en soi-même; la raison le dit. Mais s’il le fait pour divertir des gens qui le paient, c’est un bouffon, et ce mot emporte avec lui, chez toutes les nations, l’idée d’un homme vil; on sent encore cela. Quelles en sont les raisons? C’est que cet homme, ou cette femme, fait à l’égard des autres hommes un rôle d’infériorité; qu’il les divertit comme ses maîtres; un rôle de singe, en un mot, exercé à divertir en les imitant, des êtres au-dessus de lui. Et une fille comme URSULE R**, devant qui tout homme de bon sens, ou qui aura des sens ne pourra s’empêcher de fléchir le genou, descendrait au rôle de danseuse, de sauteuse, d’imitatrice! elle qui est une souveraine adorée, deviendrait l’être soumis qui gambade pour divertir une assemblée de tous les ordres de citoyens, pour leur donner publiquement le plaisir d’admirer son petit pied, sa jambe jusqu’à la cuisse, sa gorge, ses beaux cheveux? Elle se fatiguera, elle se mettra à nage, pour obtenir d’insultants bravo! des battements de mains, des encouragements enfin comme on en donne aux dogues du Combat du Taureau! Fil fi! URSULE R**, la belle Ursule, plâtrée de rouge irait gâter son beau teint, sa peau délicate! elle irait se donner en spectacle, comme un objet de curiosité, à tant par personne, comme la Géanteprussienne, ou le Nain polonais! fi!… Ce n’est pas tout ce que j’ai à dire contre l’imitation des comédiens. Vous conviendrez que toutes les pièces ne sont pas des chefs-d’œuvre; qu’il s’y trouve des folies, des choses déraisonnables; que de plats, de sots auteurs mettent bien des platitudes et des sottises dans la bouche des acteurs; des paroles à double entente, des calembours, etc.; qu’une actrice, une danseuse, sont obligées de se laisser baiser la main, le visage; de répondre à des propos qui blessent l’honnêteté; que la seconde, si le compositeur des ballets l’a voulu, est forcée de faire d’indécentes pirouettes, etc. Eh! quelle honte, pour un être doué de raison, quelle humiliation, quelle dégradation de se voir nécessitée, par exemple, à se remplir la tête des fadaises d’un N***, d’un D***, d’un C***, etc.? de s’identifier au personnage que ces sots ont créé; de parler comme lui et comme eux, et d’être devant un public, confondu pendant trois heures avec leur sot personnage! je ne sais comme on envisage cela dans le monde: mais pour moi, je soutiens que ce point seul est une flétrissure, dont jamais le comédien ne peut se laver: c’est pis que passer par la main du bourreau…

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