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«Je me perdais, comme tu vois, en beaux raisonnements, sans faire attention, qu’Edmond s’était mis à mes genoux, qu’il baisait mes mains. Ses discours à la vérité, démentaient ses actions: mais il n’en était pas moins passionné. Il me nommait sa sœur; il me jurait qu’il adorait Fanchette. Il me prit un baiser pour elle. Je sentis bien que c’était pour moi: mais je crus qu’il ne fallait pas que je fisse semblant de m’en apercevoir; et d’un air d’aisance, de confiance, je lui rendis son baiser, me proposant de me lever et de nous séparer à l’instant… Ô ma chère Ursule, ce fatal baiser a été de l’huile jetée sur un brasier dévorant; la flamme a jailli, elle m’a enveloppée, consumée!… Ton frère n’a plus été un homme; il est devenu comme une bête féroce… Je ne pouvais revenir de mon étonnement; à peine j’en croyais la réalité. Je me suis défendue. Il m’a meurtrie. «Périr, ou vous posséder!» Les menaces, l’emportement, la force, la rage, voilà ses moyens… J’ai senti, que plus je résisterais, plus je le rendrais forcené… J’ai cédé, je l’avoue, non à l’amour, ma conscience ne me le reproche pas, mais à la rage. «Satisfais-toi, pensais-je; mais de ma vie, je ne te reverrai: va, je me punirai de t’avoir enhardi!…» Il a triomphé… Je ne te le dirais pas, ma chère Ursule, sans ton malheur; mais… Je ne veux plus te rien cacher… Accablée de douleur, forcée… Je sentis que j’aimais le coupable, et mes sens me trahirent comme avait déjà fait mon cœur… Tout est pour lui! pensai-je, dès que je pus penser: que reste-t-il donc à la vertu? hélas! rien, que ma faible raison…

«Il se mit ensuite à mes genoux; et par les expressions les plus tendres, mais les plus emportées, il me jurait que la jouissance n’avait pas été son but; qu’il avait voulu joindre son âme à la mienne… Je ne répondais pas, oppressée, anéantie. Il a continué; et le coupable a osé s’adresser à la divinité même, qu’il venait d’offenser, et lui demander… de me rendre mère!… Il est exaucé, mais… ce ne saurait être qu’un don de colère… Il est venu me prendre un baiser. Je l’ai repoussé de la main; et comme si toute résistance était faite pour exciter les hommes, il a… renouvelé son offense, presque avec autant d’emportement…

«Ce nouvel attentat m’a cruellement irritée… J’ai entendu venir quelqu’un. Edmond s’est caché: c’était mon… Je l’avouerai l’excès de ma honte m’a fait évanouir, en voyant l’offense. Revenue à moi-même, je ne me connaissais plus, j’ai dit quelques extravagances, sans doute: on m’a crue folle. Mais je n’étais qu’accablée de douleur, d’avoir perdu… hélas! toute la douceur de ma vie, que j’attendais d’Edmond… J’ai laissé croire de moi tout ce qu’on a voulu; je n’ai pas été fâchée d’effrayer le coupable, par l’idée qu’il aurait de ma situation; et comme il ne se croirait pas entendu, de lire dans son cœur pour voir s’il y avait des remords. Il y en a eu, ma chère Ursule. Il m’a juré que jamais il n’entreprendrait rien contre ma vertu; il en a fait le serment à Dieu même. Mais j’avais moi-même excité ces remords. Comme il me croyait en délire, lorsqu’il venait auprès de moi, je voyais son abattement: j’en ai été touchée; mais pour creuser l’impression, j’affectais les plus grands écarts du délire. Ensuite, je lui prenais les mains; je les baisais, je le suppliais de m’épargner… effet de ces scènes répétées était terrible sur lui. J’y ai mis le comble, en paraissant recouvrer ma raison: mon premier mot a été de le bannir sévèrement de ma présence!… Oh! que cet ordre m’a coûté!… mais il le fallait… Il ne m’a plus revue seul: mais il revenait avec tous ceux qui entraient auprès de moi, et sans oser me parler, il était le plus empressé à me rendre tous les, services que ma situation exigeait.

«Je me suis rétablie. Fidèle à mes résolutions, je n’ai plus souffert qu’Edmond m’approchât, et quelque peine que me causât cette privation, elle devait être éternelle. Je voyais sa douleur, son désespoir. J’entendais souvent les discours, qu’il tenait seul: il voulait me fuir, et ne le pouvait pas, s’écriait-il. J’ai cru devoir le calmer, par une lettre que voici:

Celle que vous avez si cruellement outragée, ne vous évite, Edmond, ni par haine, ni par rancune: c’est par raison et par devoir. Elle vous évitera toujours. Vous l’avez voulu!… son bonheur vous était à charge, peut-être sa vie… La dernière échappe au danger, mais l’autre est perdu pour toujours. N’aggravez pas sa peine! c’est l’offensée, qui vous prie de ne pas tant vous occuper de votre crime, que des moyens efficaces de le réparer, par une conduite sans reproche; nous nous sommes perdus, Edmond: plus de confiance, où il n’y a plus d’innocence, plus de douceur, plus d’amitié; tout est détruit, tout est éteint; il ne reste plus que le vice!… J’ai mérité mon sort. Mais tel est mon cœur, que si je pouvais encore vous rendre heureux par la vertu, je le ferais. Mais je sens que je ne le puis plus… Vous avez tout renversé!… Vous êtes le plus coupable des hommes, et… Je suis votre complice!… Edmond, voilà votre crime le plus grand! Vous avez commis un forfait que les lois punissent du dernier supplice, et non seulement, vous m’en avez rendue l’objet et la victime, mais vous avez fait de moi votre complice!… Ingrat, vous m’avez ôté mon innocence, pour prix de la tendre amitié que je vous portais, et que… je ne saurais étouffer, vous m’avez avilie au rang des plus méprisables créatures en faisant retomber sur ma tête, toutes mes faiblesses passées!… Était-ce à vous de m’en punir, vous qui en étiez l’objet!… Mon cousin! jetez un coup d’œil sur votre conduite: envisagez-la de sang-froid, et jugez-vous… Ne perdez cependant pas courage; réparez votre faute, et secondez mes résolutions: elles sont de ne jamais vous voir tête à tête et de vous aimer comme auparavant… Bon Dieu! que fais-je? Ma lettre était commencée, pour vous parler comme le doit une femme, que vous avez… déshonorée… et je finis comme une faible amante!… Je m’en punirai.

Après avoir écrit cette lettre, je la déchirai, ne trouvant pas qu’il fût à propos de l’envoyer; mais je ne la brûlai pas, n’ayant pas en ce moment de feu dans ma chambre, à cause de la saison. Toinette entra, qui m’ayant distraite par quelque chose, me la fit oublier. Je sortis avec elle. À mon retour, je la cherchai, et ne la retrouvai plus. J’en étais dans la plus grande inquiétude, quand ayant ouvert une commode où je serrais mes chaussures, je trouvai deux choses qui m’étonnèrent infiniment. C’était ma lettre, et la réponse, placées dans une paire de souliers de droguet blanc, que j’avais le jour… de mon malheur. Je les pris, et j’aperçus en même temps les traces d’un égarement fougueux… Je lus la réponse, que voici:

Je me conforme, ma Divinité, aux ordres que vous m’avez donnés, et que vos yeux ont la cruauté de me répéter chaque jour: mais du moins, lorsque vous êtes sortie, ne peut-il m’être permis de venir dans le temple que vous habitez? Oui, j’y viens, et j’y rends hommage à ce qui m’est la chose la plus sacrée, après vous, votre parure: elle a un charme céleste, qu’elle tient de vous… J’ai trouvé ce billet déchiré dans votre cheminée; je l’ai lu; j’y réponds; mais je n’ose le garder; je vous le remets, puisqu’il n’était plus destiné à m’être envoyé. Cependant, vous vous êtes occupée de moi! oh! cette idée est le premier plaisir que j’éprouve depuis longtemps! Elle a ouvert mon cœur à un sentiment inépuisable de tendresse, et j’ai prodigué mes adorations à tout ce qui vous touche!… Oui, si j’en étais le maître, je changerais mon sort, avec celui de ces choses inanimées; je m’anéantirais; mais ce serait à votre service, et l’anéantissement serait un bonheur! Femme adorée! soyez cruelle, j’y consens laissez vous adorer, du moins en votre absence! ne m’interdisez pas ce faible soulagement à ma douleur, à mes regrets… Vous m’aimez! ah! que me faut-il donc à présent pour être heureux?… Votre bonheur: voilà ce qui manque au mien… Ne croyez pas cesser jamais d’être ma divinité vous la serez seule, j’en fais le serment! Vous êtes à moi, et je suis à vous rien ne pourra plus rompre le nœud qui nous lie, que la mort. J’en jure par vous-même. Adieu, ma céleste amie. Vous vous débattrez en vain: je vous tiens liée à mon sort… Adieu. C’est de l’amour que j’ai pour vous, pour vous seule; je n’en eus jamais que pour vous; toutes les autres n’ont eu que des désirs; vous, vous seule avez eu de l’amour, je le sens, je vous le jure; il sera éternel: crime ou non crime, je vous adore, je vous adorerais la foudre prête à partir, la terre prête à s’entrouvrir sous mes pas… Ah! grand Dieu! j’ai vu le bonheur, et je me suis dit «Il est inaccessible!» Ce n’est pas vous arracher des faveurs, qu’il me faut: c’est vous posséder, n’être qu’une âme avec vous, confondre la mienne dans la vôtre, vous tenir enlacée, vous regarder, et me dire: «Elle est à elle est ma femme!» Voilà, voilà ce qu’il nie fallait!… Dieu! quel supplice j’éprouve! je brûle d’amour, d’impatience, de désespoir et de rage!… Adieu, Colette… Tu m’es cruelle, je t’en remercie: ne t’avise pas de te radoucir! au lieu de satisfaire ma passion, tu ne ferais, que l’irriter. Après une faveur, j’en voudrais une autre; après t’avoir possédée, je te voudrais avoir seul; je voudrais t’enlever à toute la nature, t’envelopper dans mon existence, pour que tu ne fusses plus que pour moi, qu’aucun œil mortel ne te vît que moi; je te tourmenterais, en t’adorant; je te rendrais esclave, en te traitant en déesse: la passion que tu m’inspires est un délire, une frénésie… Oui, j’aimerais mieux te poignarder, que de te voir à un autre… Je quitte cette idée. Si tu en aimais un autre, toi, moi, lui, nous n’existerions pas un instant après cette fatale découverte!…

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