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«Je me lassai d’être avec vous: ma folle passion, portée à son comble, par la nouvelle qu’Edmond aimait une fille, pour laquelle il avait eu du goût, ne me laissait plus de repos. Je gagnai à ce surcroît de supplice il rendit mon cœur à la nature, et je plaignis Fanchette comme si elle avait senti à ma manière la perte qu’elle allait faire: tu l’as vue arrosée de mes larmes que tu attribuais à de plus purs motifs. Je partis. J’arrivai. Edmond vint au-devant de moi: et son premier regard fut celui de l’amour. On ne s’y trompe pas, surtout quand on est coupable soi-même. Ce regard me remplit de joie. J’osai penser, j’osai me dire: – je suis aimée. Au premier moment de liberté, il ne me laissa plus de doute. Il m’apprit que sa passion pour Edmée m’était immolée de la manière la plus complète. Je nageai dans une sorte de volupté; je la croyais innocente: je m’y livrai tout entière. Edmond paraissait enivré! que je le trouvai aimable! Il s’était formé depuis mon absence, hélas! aux dépens de ses mœurs! mais je l’ignorais! il s’était formé; et moi je crus devoir quitter le ton pédagogue que j’avais toujours eu avec lui: nous nous mîmes à l’unisson. J’étais enchantée de trouver dans Edmond un homme fait, au lieu d’un timide protégé. J’admirai comment, s’il prenait encore son ancienne manière, ce n’était plus que pour m’exprimer plus respectueusement ses sentiments d’estime, de reconnaissance et d’amitié. Je me livrai avec une sécurité dangereuse à la plus traîtresse des passions, et je fus pendant quelque temps dans la plus douce situation de ma vie car le reste en est empoisonné! Jamais je n’avais été si heureuse auparavant!… Je ne sais si c’était de lui-même, ou par des conseils étrangers, mais Edmond tint une conduite très adroite: respectueux en apparence, mais tendre, il m’arrachait tous les jours de nouvelles faveurs sans que je pusse m’en offenser. Comment l’aurais-je soupçonné! mon cœur, d’accord avec lui, bien loin de chercher à le trouver coupable, en rejetait l’idée avec horreur. Je m’accusais d’être chimérique. Je m’accoutumai donc insensiblement à sa conduite, et nous étions déjà beaucoup plus familiers qu’il ne convient à une femme de l’être avec tout autre que son mari, lorsque Edmond hasarda quelques libertés qui m’éclairèrent. Je les réprimai. Il se plaignit, comme de la plus grande injustice; je me calmai. Il en abusa. C’est la marche des hommes; ils ne reculent jamais: je l’ai appris à mes dépens. Ne pouvant plus douter de ses vues, je l’évitai, mais sans le haïr. Le pouvais-je, quand je portais dans mon sein le complice… Et je l’y porte encore: mon cœur me trahissait!… Il m’écrivit. Ma réponse fut, selon moi, foudroyante. Mais je n’aurais pas dû la faire, ni avouer que j’avais surpris une lettre de ce même Gaudet que tu nommes ton Sauveur, et qui l’est en effet, mais qui n’en est pas moins la cause première de tous nos maux; cela mettait entre Edmond et moi trop de familiarité, en me donnant l’air d’une femme curieuse et peut-être jalouse. Je payai chèrement cette imprudence!… Nous nous réconciliâmes encore; ma facilité à pardonner enhardissait à m’offenser; ou plutôt, je n’aurais dû ni me fâcher, ni me réconcilier: une femme est perdue, lorsqu’elle en vient à ces alternatives, qui donnent également prise sur elle, en montrant son fort ou son, faible, ce qui la flatte ou ce qui lui déplaît… Un jour, le plus cruel de ma vie!… Je l’avais d’abord cru le plus beau, mais les hommes empoisonnent tout!… un jour Edmond était avec moi, respectueux, raisonnable. Nous nous parlions comme un frère et une sœur, de nos projets: le plaisir que je trouvais à cet entretien, me donnait de l’estime pour moi-même, et je me complaisais à la sentir. Insensiblement Edmond changeait de ton: je m’en apercevais, mais je ne lui en voulais pas… Eh! pouvais-je prévoir!… Ramenant tout à mes idées pour ma sœur, je souffrais des choses plus hardies que je n’en avais encore tolérées. Edmond s’émancipait de plus en plus. Aveuglée, je ne le réprimais que malgré moi et sans doute avec trop de mollesse, cependant ses mains s’égaraient sur moi; elles pressaient tout ce qu’elles pouvaient presser… Je les arrêtai, et dans un mouvement involontaire, non réfléchi du moins, je serrai dans les miennes ces mains brûlantes. Ah Dieu! quel orage j’excitai. Edmond perdit toute retenue dans ses discours; il me fit des reproches; oui, il me reprocha ma vertu!… Faible vertu, hélas! déjà détruite par mes coupables complaisances!… Il attaqua les droits des époux, il me montra toute la corruption de son cœur, et je n’en fus pas effrayée! je lui répondis avec douceur, en raisonnant avec lui: je citai la religion, les lois; je ramenai l’idée de Fanchette pour qu’elle me servît de bouclier, mais je le fis trop tendrement; en disant que je voulais être heureuse par elle; C’était avouer que j’aimais!… Je ne le sentais pas! Edmond le sentit!… Enfin, j’eus l’imprudence de me retrancher derrière mon mari! ma bouche, chaste jusqu’alors, osa dire: «Voudriez-vous me partager avec un autre?» C’était dire, si tu veux, je suis à toi… Je sentis que je m’égarais; j’eus encore recours à Fanchette, à toi; toutes deux vous me servîtes; je fis un tableau touchant de notre union future, qui charma Edmond. Il devint paisible Comme un agneau. Il fit plus, il me jura de ne me jamais montrer de coupables désirs: il me nomma: sa sœur, sa sœur chérie (nom sacré qu’il profanait! le Ciel l’en a puni en toi, ma chère Ursule!) «Vous voilà comme il convient, lui dis-je: vous êtes mon frère! vous me nommez votre sœur; à ce titre, nous pouvons nous aimer sans crime. Mon cher Edmond, croyez-moi, le crime n’est pas la route du bonheur; car si j’entends bien ce que c’est que le crime, c’est tout ce qui est contraire à la maxime, de ne pas faire à autrui, ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît; dès qu’une fois nous avons violé cette règle, il n’y a plus rien de sacré à notre égard, et tout le monde peut nous insulter avec justice: nous sentons à quoi nous expose le tort que nous nous sommes donné, et nous souffrons de notre crainte, à défaut du remords. Nous avons beau nous le dissimuler, crier assez haut contre les autres, pour ne pas entendre le cri de notre propre conscience, nous retombons dans nous-mêmes, nous ne pouvons nous estimer, et nous ne sommes pas heureux; fussions-nous des Gaudet, nous ne saurions l’être. Aussi voyez-vous que pour être supportable à lui-même, votre Gaudet a des vertus; il s’en donne le plus qu’il peut, afin de tenir la balance égale, et de se procurer autant d’estime de lui-même, qu’il a sujet de se mépriser en certaines occasions. Combien serait-il plus heureux, s’il n’avait que des vertus! Ô mon cher Edmond! tâchez de profiter de l’exemple, tout mauvais qu’il est, de votre dangereux ami; imitez-le en ce point, d’être sûr qu’il n’y a de bonheur que dans la vertu: lui-même, chose étrange! ne veut que de ce bonheur-là! Observez qu’il ne séduirait pas une femme mariée, lui qui viole ses autres devoirs avec une sorte de frénésie. On ne saurait dire de lui, qu’il n’a rien de sacré; au contraire, il respecte tout ce qui bouleverserait le système social (ce sont les termes que j’ai entendu sortir de sa bouche, en parlant à mon mari). Ainsi, Gaudet ne sera pas adultère, ni voleur, ni homicide, ni fainéant, ni traître, ni parjure à ses amis, ni même à aucun homme, quoiqu’il le soit à Dieu: c’est un être qui fut fait pour être bon, et que son état, la compagnie de ses semblables a perverti. Il veut vous rendre heureux à sa manière, mon frère. Mais voyez-la, sa manière, et concluez: Gaudet se donne des vertus, pour se lester, en quelque sorte, et compenser le mal qu’il fait; si je me donnais ses vertus, en évitant ses vices, ne serais-je pas infiniment plus sage que lui? Voilà, ce me semble, une conclusion nécessaire et très heureuse? Ensuite, vous pouvez encore tirer un parti excellent de sa conduite: Gaudet s’abstient d’un crime, le plus grand de tous, peut-être! il a de bonnes raisons, des raisons absolument humaines; cet homme ne saurait, en avoir d’autres; Gaudet est prudent, quoique passionné; cet éloignement de l’adultère est fondé sur l’expérience d’autrui, peut-être sur la sienne propre: profitons de cet expérience, sans nous embarrasser comment il peut l’avoir acquise; on peut en cela l’imiter aveuglément.».

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