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Adieu, ma Divinité.

«En cet endroit, j’ai interrompu mon amie.»Ah Dieu! quel emportement! me suis-je écriée. Quoi! c’est ainsi qu’il aime! je ne m’étonne plus!… Ma charmante amie, il faut lui pardonner!».

«Eh! que veux-tu que je lui pardonne! ne m’en ôte-t-il pas les moyens!… Je ne pus lire cette étrange lettre, sans une vive émotion! Si je l’avais eu lue avant mon malheur, il ne serait jamais arrivé; elle m’apprenait à quel homme j’avais affaire et je me rappelai ce que votre père m’avait dit à V ***, qu’Edmond était emporté; mais je ne croyais pas que je dusse l’éprouver, et que ce fût à cet excès. Je continuai donc de l’éviter, jusqu’au jour fatal… Ma chère, fille, ton malheur me fit oublier, et ton frère, et mes remords, et son caractère violent, et sa fougue impétueuse. La lettre de ma tante à la main, je courus à lui: et comment l’abordai-je? La larme à l’œil, inclinée, suppliante, avant de lui montrer la lettre, j’adoucis le coup. Mon premier mouvement, en sortant de ma chambre, avait été de lui dire: «Tenez, Edmond, voilà quelle suite le Ciel donne à votre crime!» Je changeai bien d’avis durant les vingt pas que j’avais à faire!… La douleur et la honte me serrèrent le cœur, et il me vit presque à ses genoux, le prier de se calmer. Je lui baisais les mains!… surpris, confondu, effrayé même, il se lève précipitamment, et se jette à mes pieds.»Qu’est-ce; qu’y a-t-il?… J’atteste le Ciel… Ma cousine! non, rien ne m’est échappé… D’où vient ce trouble?… Ah! je meurs du plus affreux des supplices! Parlez!…, je lui donnai la lettre. Il rougit, il pâlit. Il se leva; mit la lettre en pièces; me poussa hors de son passage, sans me parler, et descendit. Il revint un instant après. «Pardon, pardon, ma cousine!… Ah! je suis au désespoir!… Courons, allons la délivrer! poignarder l’infâme…» J’ai soupiré profondément. Il m’a regardée, s’est écrié: «Ah! c’est moi, c’est mon crime, qui perd ma sœur!… Mais le traître n’est pas celui que j’ai offensé… Me punisse le Ciel après, s’il le veut, mais l’univers entier ne m’empêchera pas de lui arracher l’âme…» Je tâchais de le calmer. Tantôt il m’écoutait; tantôt il me repoussait comme un être inanimé, il s’élançait pour courir; cette agitation cruelle dura longtemps. Mais enfin il se calma un peu. Dans ce nouvel état, quoique plus tranquille, il ne brûlait que plus ardemment de la soif de la vengeance: sa tendresse pour toi se manifestait dans tous ses propos; l’honneur, dont son âme est pleine (quoiqu’il ne l’eût pas empêché… mais les passions sont inconséquentes!) l’honneur ne lui permettait pas d’envisager un instant les périls auxquels la vengeance l’exposait. Nous partîmes en poste deux heures après avoir reçu la lettre, ensemble; j’étais à côté, presque dans les bras de ce même homme que j’avais juré de ne plus voir tête à tête; le jour, la nuit même, rien ne m’effrayait. Effectivement, il n’y avait rien à craindre; Edmond ne voyait qu’Ursule, il ne me parlait que d’elle; il brûlait d’être à Paris. Un seul instant, très court, fut donné à ses sentiments. Ce fut en approchant de cette ville, et lorsque nous l’aperçûmes – «Voilà donc où je brûle d’arriver!» s’écria-t-il. Et se tournant aussitôt de mon côté: «Hélas! dans une autre circonstance, que j’aurais craint l’instant qui doit m’ôter d’auprès de vous! qui doit me priver de la moitié la plus chère de moi-même! Quoi! je désire cet instant! Ah! je le vois bien à présent, l’accident cruel qui m’enlève ma sœur, me prive aussi du jugement et de la raison!» Ses larmes coulèrent aussitôt avec abondance, et il me baisa la main. Il la retint quelques instants, quoique je la voulusse retirer, les yeux fixes, et sans rien regarder. Ensuite il me la rejeta, comme avec horreur, et ne me parla plus, jusqu’à notre arrivée.

À la porte de ma tante, il sauta de la chaise, et monta précipitamment, sans penser à moi. Il revint sur-le-champ m’en faire des excuses. Il salua ma tante. «Où est il? ajouta-t-il aussitôt; son nom, sa demeure, je vous en prie? – Hélas! monsieur, je l’ignore! – Mort et furie! je saurai bien le trouver, moi! – Voyez M. Gaudet! – Ah oui! c’est vrai!… Où est-il?… Je sais son adresse: j’y cours.» Il y courait. Il revint. «Par où faut-il passer en sortant d’ici? – On va vous y conduire, lui dit ma tante; Martine, où est ce jeune homme? – Le jeune homme, le jeune homme; votre Martine me ferait sécher.» Il part. Il vole. Il poussait devant lui son guide. Enfin, il arrive chez M. Gaudet.

«Celui-ci, en l’apercevant, court à lui, l’embrasse, veut lui montrer Laure. Edmond ne lui répond pas. Il interroge: «Son nom, sa demeure: allons retrouver? – Crois-tu qu’il est sous notre main? répond son ami. Il faut de la prudence, de l’adresse… – Et il a ma sœur!… Enfer et rage! il a ma sœur! – Va, nous lui ferons payer cher son audace! Payer! payer! Il faut l’anéantir… – Rapporte-t’en à moi! – À toi!… il est vrai! – Mais il faut dissimuler: s’il entend parler de ton arrivée, de tes menaces, c’est un homme riche, puissant, il se cachera si bien, que nous ne le découvrirons jamais; et il pourrait d’ailleurs, d’après quelques imprudences, te faire arrêter. – Me faire arrêter! je l’en défie, lui et toute cette grande ville! – Un peu de calme! Il faut m’écouter, si tu veux agir. Ignorant tout, que veux-tu faire?… Salue au moins ta cousine… – Ah! il est vrai! Bonjour, ma chère Laure!… Comme elle est embellie!… Mort et furie! ma sœur! – Calme-toi!… Ursule est une ravissante personne. – Ah! le scélérat! où est-il! – Si bien caché, que toutes mes recherches, et celles de la police même n’ont encore pu le découvrir. – L’abominable homme! oh! je le tiendrai! je le tiendrai! – L’assassineras-tu? -…Moi! moi!… Le Ciel m’en préserve! nous nous battrons; je le tuerai, ou il me tuera: si je le tue, je serai vengé; s’il me tue, sa vilaine âme aura un crime de plus à se reprocher, le mépris, et la haine de tout l’univers. Je ne puis que le punir, et je le punirai. – Le plus pressé, je crois, est de tâcher de délivrer ta sœur? – Ah! il est vrai! allons, allons, cherchons! Allons donc! que faisons-nous ici? – Demain, je compte avoir des nouvelles. Demain! demain! ah! mon cher Gaudet! sur le gril jusqu’à demain!… Voilà leur conversation, qui fut dix fois répétée. Heureusement que dès le lendemain, on te retrouva: car Edmond, à ce que dit M. Gaudet lui-même, aurait donné plus d’embarras que ta recherche.

«À présent, ma chère Ursule, j’ai d’autres craintes. Edmond est concentré: il ne parle plus du marquis, il contraint tous ses mouvements; il ne laisse rien percer au dehors de ses sentiments; il se livre même à une sorte de dissipation. Mais je le connais; il est capable de dissimuler, lorsque ses premiers mouvements sont calmés. Nous allons partir. M. Gaudet compte le garder ici. Je ne sais qu’en penser: sans ma faiblesse, je m’y opposerais. Mais après ce qui est arrivé, il faut qu’il reste. Depuis quelques jours, je le revois comme il était avant ton malheur; il reprend les mêmes sentiments à mon égard; il les exprime de même… Il faut qu’il reste!… Mais que de craintes m’assaillent pour lui! Cette ville, Gaudet, le marquis, tout m’épouvante, et point de remède!… Il me disait hier, en regardant Fanchette: «Qu’elle est charmante! je l’aurais adorée, si… elle n’avait pas eu de sœur!» Tu vois qu’il ne veut plus être mon beau-frère, et que ses vues sont changées… D’ailleurs, ma délicatesse répugne à ce mariage. Le but de cette longue confidence, ma chère Ursule, est pour te dire, qu’il ne se fera jamais; qu’il ne saurait plus se faire.».

«Pourquoi? ai-je dit: il me semble, qu’il vaudrait mieux sacrifier un peu de délicatesse, et donner à mon frère un moyen de régler ses sentiments, pour vous, ma respectable amie? – Non, ma chère Ursule: je porte dans mon sein l’empêchement à ce nœud si désiré.».

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