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La débauche est un crime contre la nature; et quoique les femelles des animaux paraissent donner dans une sorte de débauche, lorsqu’elles sont en chaleur, cela ne convient point à la créature humaine qui est douée de raison. C’est pour avoir suivi la conduite des bêtes que les nègres, qui en approchent beaucoup, et quelques autres nations sauvages des pays chauds, ont donné lieu à la plus cruelle des maladies, à la plus incommode au moins, à la plus honteuse; ces hommes brutes, en se livrant sans réserve à leurs appétits, ont corrompu en eux les sources de la vie. Les hommes des pays tempérés n’auraient jamais contracté cette infirmité d’eux-mêmes: parce que jamais ils ne se fussent livrés à l’excès qui est capable de la produire. Mais ce qui est bien singulier, pour cette maladie, et pour toutes les autres qui sont contagieuses, comme la petite sœur de celle dont je parle, la peste, la rage, les fièvres, la g…, c’est qu’elles n’existent pas en nous; ce. sont des êtres moraux, Pour ainsi dire, qui une fois engendrés, s’étendent, se propagent, se conservent, comme des germes d’animaux, des années entières sans altération! Cela est presque inconcevable; à moins de considérer ces miasmes, ces germes, comme des animalcules imperceptibles, dont les semences ont la faculté de se conserver longtemps, et qui ne se développent que dans le corps humain, ou du moins dans les corps animés. Le venin des reptiles doit être regardé comme un peu différent, car il ne se conserve pas, etc. Mais je reviens à ce que je disais: il faut éviter l’excès des plaisirs, surtout de ceux de l’amour, et fut-on du tempérament de Cléopâtre, le contraindre, et le borner. Les autres plaisirs ne sont pas moins dangereux; le vin, les liqueurs, la bonne chère, tout cela détruit les charmes; et la belle de Berri en fit une triste expérience! elle était née la plus délicate des nymphes; elle mourut la plus grosse des tripières. Le jeu ne doit rien prendre sur votre sommeil; jouez, pour vous amuser, un petit jeu; il vaut mieux que le plaisir soit moins vif – car s’il l’est trop, il vous absorbera, il vous abrutira comme l’ivresse, il vous maîtrisera, et vous rendra une femme aussi rebutante qu’une plaideuse. Quant aux arts, effleurez-les: la peinture, où vous excellez, peut être conservée; occupez-vous à faire de petits présents, pour les hommes que vous voudrez subjuguer: si c’est leur portrait, flattez-le, trouvez des grâces aux magots mêmes; si c’est le vôtre, un beau nu; vous serez encore longtemps assez belle pour cela, surtout en ne vous peignant qu’à la Staal, ainsi que le demande la miniature, c’est-à-dire, en buste. C’était une galante femme que celle-là, et qu’il est bon que vous imitiez. La musique et le chant doivent aussi vous prendre quelques moments: il vous faut une harpe, et même un clavecin; apprenez à l’écart, et ne vous montrez au jour qu’aussi parfaite que vous voulez le paraître. Soyez douce, affable à vos domestiques, sans familiarité; cela est plus important aujourd’hui que si vous étiez marquise, parce que vous serez plus exposée à leur critique; ne leur parlez que pour vous louer d’eux; et s’ils manquent, qu’un autre les reprenne; le marquis par exemple; que tout le bien qu’ils recevront passe par vos mains: ce sont des hommes, ce sont des femmes, cela parle, et cela est écouté, même des honnêtes gens. Devant eux, ayez de la religion: Gabrielle d’Estrées se faisait respecter par là. Vous devez absolument éviter les expressions libres, les jurements, etc.; davantage encore les attitudes, les libertés, même avec le marquis: plus vous serez décente, plus vous donnerez de ressort au désir. À votre place, en étant maîtresse d’un homme, je me conduirais de façon, qu’en me voyant, en se rappelant ma conduite, il doutât si je ne suis pas l’épouse la plus décente, la plus chaste, la plus réservée.

Mais en même temps, que tout ce qu’il y a de plus coquet, de plus provocant fasse ressortir vos appas: la propreté, la coiffure, la chaussure, que rien de tout cela ne soit négligé. Évitez, dans votre parure, que rien n’approche de notre sexe: cela tribadise une femme, et la rend hommasse, ou mesquine. C’est une détestable mode qui prend depuis quelque temps; les femmes baissent leur chaussure, les hommes haussent. la leur; ils vont se ressembler: roidissez-vous contre cet abus, et conservez leur sexe à vos cheveux, à vos robes, à vos chaussures. Prenez garde à vos ouvrières. Celles pour femmes sont pour la plupart des machines, et ont moins de goût que les ouvriers pour hommes, ou que les hommes qui travaillent pour des femmes; cela est tout simple: c’est que les femmes ne sentent rien pour leur sexe; un homme au contraire, s’il n’est bûche, sent tout ce qui doit rendre une femme provocante, et il tâche de le donner. N’ayez rien sur vous, qui n’ait l’empreinte de votre génie; faites défaire, tant qu’il faudra, et donnez à cette importante affaire tout le temps que vous pourrez. La raison de ce conseil est prise dans les mœurs et le goût de notre siècle: la façon de penser y est telle que souvent la mise l’emporte sur la beauté. Les goûts, même en amour, y sont tellement factices, qu’au bout d’un temps, ce qui avait d’abord déplu dans les modes, inspire au même homme les plus violents désirs. Ceci doit vous servir de règle, dans votre façon de vous mettre. Il faut suivre les modes, quelque extravagantes qu’elles paraissent: parce qu’elles donnent un certain prix à la laideur même, et qu’elles rendent la beauté extasiante. Mais en même temps, perfectionnez-les; ayez toujours l’attention de ramener leurs formes au vrai beau: ce qui est très facile; la mode la plus bizarre ayant sûrement été à quelque belle. Ne l’adoptez pas en automate, et quoique tout aille aux jolies femmes, ayez soin de vous adapter la mode nouvelle de la manière qui vous aille le mieux. C’est par ce moyen que vous serez toujours neuve, toujours piquante, toujours originale, c’est-à-dire jamais imitatrice servile. Ne sacrifiez qu’aux grâces, même en vous conformant à la mode; perfectionnez l’habillement français; rendez-lui sa noblesse et sa légèreté; sentez le but de tous ses accompagnements, et ramenez-les à leur institution, que d’ignorantes couturières ont fait oublier. Que deviendrait l’Univers, si l’on en bannissait les grâces! Elles seules méritent des autels, parce qu’elles seules font le charme de la vie; ne les offensez jamais: c’est un crime irrémissible, et le désagrément qu’il jette sur la coupable est une tache que rien ne saurait effacer.

je ne me lasse pas de vous écrire, belle Ninon, ou plutôt belle Aspasie: mais vous pourriez trouver que je pérore un peu trop longtemps. Je finis par la plus importante de mes maximes: peu de rouge, ou point s’il est possible, ne pas se mettre par des veilles, ou par des nuits trop occupées, dans le cas d’en avoir besoin, de fréquentes ablutions dans la zone torride; c’est un pays chaud, qui doit être tenu comme les appartements d’Amsterdam, qu’on lave deux ou trois fois par jour. Adieu, charmante sœur de mon meilleur ami.

P.-S. – Que personne ne voie cette lettre, ni Edmond, ni même Laure. Gardez vous-même vos secrets, et ils ne seront pas trahis.

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