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Mais, ma chère fille, la gloire qui vous attend est bien au-dessus de tout cela. Votre figure est parfaite, vous avez des sentiments nobles, élevés, le marquis est puissamment riche, et il vous met à la tête d’une maison, dont vous êtes réellement la maîtresse, où vous recevrez du monde, où vous jouerez le rôle de Ninon: car voilà votre modèle, ou la charmante Marion de Lorme, que le chevalier de Grammont élève si haut, tout en parlant de ses galanteries. Placez-vous, s’il se peut, au-dessus de ces deux femmes qui font honneur à leur siècle: devenez comme elles, fameuse, courue, fêtée; mais ne vous contentez pas d’établir votre réputation sur les charmes de votre commerce, sur votre beauté, sur votre façon de penser libre, hardie: joignez-y la bienfaisance. Il faut cela dans ce siècle! le moins aumônier de tous, et où tout le monde est si pauvre, au sein des richesses, à cause du luxe, qu’on y prêche la bienfaisance, plutôt pour en être l’objet, que par goût pour elle. Tel est l’effet de nos besoins factices trop multipliés!… D’après cela, soyez généreuse; ayez quelques familles pauvres, auxquelles vous ferez du bien, et qui en diront de vous; choisissez-les bien, ou plutôt, je vous les choisirai – ce seront des gens un peu relevés au-dessus du commun, obérés par des malheurs, des faillites, et obligés à garder dans le monde un certain décore. Ces gens-là, qui verront la bonne bourgeoisie, ne diront pas qu’ils sont vos obligés, mais ils exalteront votre bienfaisance, ils en parleront la larme à l’œil, et feront aller votre réputation partout. Pour leur donner des sujets à citer, vous aurez aussi deux ou trois pauvres manœuvres, bien chargés d’enfants, à qui vous donnerez le nécessaire, que vous leur porterez de temps en temps vous-même, mise avec modestie, et presque en grisette, mais ayant de belles dentelles, des odeurs et tout ce qui peut annoncer une grande dame qui se cache. Voilà les traits que citeront vos obligés d’un ordre au-dessus du commun. Il ne sera pas mal que je vous déterre aussi quelque croix de Saint Louis, réellement brave homme, et dans le plus grand besoin: j’aurai soin que ce soit un homme modeste, plein de mérite, que sa timidité, sa fierté ou son manque d’intrigue auront seuls empêché de faire son chemin. Vous ferez à cet homme une pension de mille écus, et vous lui donnerez votre table. Vous l’y traiterez avec respect, et vous tâcherez qu’il y tienne le haut bout, en l’absence du marquis. Vous le reconduirez toutes les fois qu’il sortira, en un mot, vous lui marquerez la plus haute considération. Plus vous l’honorerez, plus vous vous honorerez vous-même. Quand on vous demandera qui il est? Vous répondrez en citant ses belles actions, et vous laisserez entrevoir que votre respect pour lui, ne vous permet pas de lui offrir autre chose que votre table: mais que c’est bien malgré vous! ces propos lui reviendront; et soyez sûre que cet homme, tel qu’il soit, portera votre réputation jusqu’à la cour, et vous y fera voir en beau.

Il faudra éviter les faiblesses de tempérament, ou du moins tâcher qu’elles soient inconnues; si pourtant il vous en arrivait, il y a une ère de les faire passer, je l’appelle à la Gaussin, parce que cette actrice savait faire excuser ses goûts, les plus bas, par la manière dont elle les satisfaisait. Mais le mieux est de ne pas avoir besoin de sa recette; et que ni le coiffeur, ni le porteur d’eau n’aient rien de commun avec vous, hors de leur emploi. S’il se trouve des gens distingués par l’élévation de leur rang, par leur illustre naissance, qui viennent à vous plaire, cédez alors, et prenez toutes les grâces d’une aimable liberté. Faites-vous valoir cependant; plus la personne sera élevée, plus vous devez paraître ne céder qu’au sentiment; fût-ce un vieillard, il se croira adoré; les hommes sont si présomptueux, qu’en dépit de l’évidence, ils imaginent être encore aimables, sous l’extérieur le plus révoltant. C’est à ce point, ma belle, où je vous attends pour établir solidement votre fortune; car je m’offre à vous diriger, et tous mes talents sont à votre service: je serai votre intendant et votre conseil, également désintéressé dans les deux emplois. Vous sentez parfaitement qu’il faut beaucoup ménager le marquis d’abord, et tant que nous aurons besoin de lui. c’est l’homme qui vous donne un état, une maison, une existence; il vous mettra en vogue, et vous fera remarquer. Mais un jour viendra que vous le quitterez. Alors, pour vous faire honneur, vous mettre au-dessus de Ninon elle-même, et sûrement au-dessus de toutes nos courtisanes actuelles, vous feindrez que c’est par générosité, pour ne pas achever de déranger ses affaires: car il faudra que nous les dérangions un peu, lorsque nous serons sûrs d’avoir pour le remplacer; et cela, par un motif que vous devinerez, j’en suis sûr, à la grandeur et à la beauté d’âme que je vous fais le marquis ruiné à demi, vous entre les mains d’un homme distingué, puissant, vous ferez un coup d’éclat; sans revoir le marquis, vous vendrez vos diamants, et paierez ses dettes. Ce coup adroitement ménagé tout sera dit, et je vous vois au-dessus de la fortune.

C’est ainsi, belle Ursule, que vous irez à la gloire. Placée par le sort dans une condition obscure, vous étiez condamnée à y rester, si je n’avais pas découvert la passion du marquis, et si je ne l’avais pas déterminé à vous enlever Pour vous aguerrir. Il fallait ce coup décisif, pour vous tirer de chez les Canones et les Parangones; il fallait encore plus, et c’est à quoi j’ai travaillé, en faisant échouer tous vos mariages; (car ce sont ici des aveux que je vous dois; vous êtes trop belle, pour qu’on vous eût plantée là, sans mes intrigues; il n’est pas jusqu’à votre Lagouache, que j’ai dirigé; cela vous prouve la vérité de ce que Laure vous a écrit de moi); vous sortez de votre obscurité par le moyen le plus efficace; si ce moyen a quelques côtés défavorables, vous allez y suppléer par des correctifs; de sorte que l’ensemble de votre conduite sera quelque jour cité avec admiration, Attachez-vous surtout à élever votre frère: qu’il porte aussi haut qu’elle pourra monter la gloire de votre nom: pour cela, il faut marcher sur le ventre à toutes les filles de votre classe; et vous le pouvez, si vous êtes docile. Ne demandez jamais que pour lui; on vous accordera toujours votre demande, sans que vous y perdiez rien.

je vais à présent poser les principes de morale, que je vous avais annoncés en commençant, et dont l’abondance de choses pressées à vous dire m’a écarté.

Ce qui regarde l’Être suprême ne doit pas vous arrêter. Tout est égal à ses yeux: non qu’il soit indolent, comme le dieu d’Épicure, mais parce que les lois qui règlent nos actions, surtout celles que vous ferez, sont toutes humaines: elles sont des conventions humaines, faites pour certaines raisons, valables pour certains esprits baroques, et dignes du mépris des gens sensés. Ainsi votre situation de fille entretenue est condamnée par certaines lois de décence; tandis qu’au fond, c’est un véritable mariage à volonté; vous êtes la seconde femme du marquis; vous recevez de lui, parce qu’il le doit, vous ayant rendue mère, et que dans le vrai l’homme doit nourrir la femme, la protéger, etc. Ce qui regarde vos parents est autre chose. Vous leur devez du contentement, de la satisfaction; c’est une dette. Vous leur en donnerez facilement: il faut qu’ils ne voient que vos richesses, et les services rendus, tant à Edmond, qu’au reste de votre famille. J’y veillerai.

Loin que les plaisirs dans lesquels vous allez vivre, soient contraires à quelques lois générales de la nature, c’est tout le contraire: plus un être est heureux, plus il remplit le but de sa formation; car Dieu l’a fait principalement pour le bonheur: le bien-être épanouit l’âme, la pénètre, et la rend plus reconnaissante envers Être suprême. Le mal-être, la peine, la portent au contraire au murmure, à la haine de son principe. Jouissez donc.

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