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Lettre du Marquis, à Ursule.

L’amant le plus tendre et le plus respectueux, malgré les apparences contraires, obtiendra-t-il que vous vouliez le voir un instant, mademoiselle? Il ne prétend que vous rassurer sur les étranges idées que vous avez prises de lui et de sa conduite avec vous. Votre situation me met au désespoir; je n’aurais jamais pensé qu’une fille aussi raisonnable pût s’abandonner à des frayeurs, assez vives, pour la mettre à deux doigts du tombeau; et comme si ce n’était pas assez de ses peines trop réelles, les chimères de son imagination lui en fournissent de plus cruelles encore, Quoi! vous avez pensé… Mais non, vous ne l’avez pas cru, et les reproches que vous m’avez faits, étaient une suite du délire. Vous êtes, mademoiselle, telle que vous êtes entrée chez moi; rassurez-vous, et ne croyez pas à des attentats qui n’ont eu de réalité que dans votre imagination. C’est pour vous tranquilliser là-dessus, connaissant toute votre délicatesse, que je prends la liberté de vous écrire: l’horreur que je vous inspire, d’après ces idées fausses, ces rêves, que vous croyez des réalités, m’empêche de me présenter devant vous; mais une fois désabusée, et votre santé assez fortifiée pour qu’on puisse vous transporter sans danger, moi-même j’irai prendre vos ordres, pour vous remmener chez votre gouvernante, et m’exposer à tout ce que la colère pourra lui suggérer. Voilà, mademoiselle, votre vraie situation, et mes véritables dispositions.

Je suis avec le plus profond respect et le dévouement le plus absolu,

Votre, etc.

On me demandait une réponse à cette lettre, ou plutôt on l’exigeait: mais, malgré tous mes efforts, je ne pus parvenir à la commencer. J’étais absorbée dans mes réflexions, et ma tête encore faible, se fatiguait à tâcher de rendre vraisemblable ce que le marquis m’écrivait. Ne pouvant rien débrouiller, je trouvai plus court et plus consolant de le croire, et cette crédulité me tranquillisa beaucoup mieux que tout le reste. C’était son but sans doute. Mais l’abominable homme ne me rappelait des portes de la mort, que pour m’y faire retomber par la plus indigne des brutalités.

Il vint me voir, et par les respects les plus affectés, par ses regrets, par ses larmes, il me rassura davantage encore. J’allais absolument mieux le lendemain, mais le sommeil fuyait loin de mes paupières, et j’étais fort agitée. Il me proposa lui-même une potion calmante que j’acceptai. Elle me procura un profond sommeil, qui ne finit que par une situation dans laquelle je ne m’étais jamais trouvée, soit que ce fût l’effet de ce qu’on m’avait fait prendre, ou qu’elle eût une tout autre cause. En m’éveillant, le marquis était à mon égard le plus coupable des hommes: cependant… Je secondais son crime, malgré moi, comme s’il y eût eu dans moi une autre volonté contraire à la mienne… Il a même osé depuis m’assurer que je lui avais rendu un baiser… Si je l’ai fait, mon âme n’y a point eu de part, et cette malheureuse connivence de mes sens n’a servi qu’à redoubler mon désespoir, lorsque ma raison a été revenue. Jamais il n’y eut de fureur égale à la mienne; je voulais tuer l’infâme; j’aurais, je crois, attenté à ma propre vie, si j’en avais eu la liberté. Je l’entendais qui disait, en se retirant, après m’avoir laissée entre les mains des deux femmes: «C’est une inconcevable fille!».

Ces deux malheureuses, loin de me consoler, entreprirent de me faire honte de mon désespoir; elles me raillèrent cruellement, et si j’avais cru le marquis capable de penser et de parler comme elles, je ne sais ce que je serais devenue. Mais lorsque leurs propos eurent porté mon indignation au plus haut point, et que j’eus imposé silence aux deux créatures de la manière la plus propre à m’en faire obéir, un laquais du marquis les fit sortir de ma chambre, et j’entendis qu’il les traitait avec une sévérité réelle. Aussi ne reparurent-elles plus devant moi; deux autres, fort jeunes et très naïves, leur furent substituées. Malgré cet adoucissement (si l’on pouvait en donner à des peines comme les miennes), j’envisageais ma situation avec désespoir; je voyais que le marquis avait résolu de me garder, pour assouvir entièrement sa passion, et passer successivement avec moi, de la violence aux soumissions, comptant qu’enfin, je me ferais à mon sort; je pris le parti de ne plus rien recevoir de leurs mains, qui prolongeât ma vie. On me laissa d’abord assez tranquille, espérant qu’en ne me pressant pas, et feignant de ne pas s’apercevoir de mon dessein, le besoin me ferait bientôt accepter sans honte, ce que je n’aurais pas encore refusé. Mais la journée s’étant écoulée, on marqua de l’inquiétude: je le voyais aux mouvements qui se faisaient autour de moi. Le marquis parut enfin lui-même, et sans m’approcher de trop près, il me pria de prendre quelque chose.»Je ne veux rien de vous que la mort, lui dis-je; tout autre don qui viendra de votre part m’est odieux.» En même temps je fis un mouvement de désespoir qui l’obligea de disparaître. Je refusai constamment durant la nuit et le lendemain de prendre aucune nourriture. Ce fut alors qu’il m’offrit ma liberté. Cette promesse ébranla ma résolution; je ne voulus pas avoir à me reprocher d’y avoir été insensible. J’acceptai quelque chose, et je le sommai aussitôt de tenir sa parole. Mais je ne pus moi-même faire aucun mouvement sans m’évanouir, tant ma faiblesse était grande! Je vis le marquis en larmes; il me les cachait, et ce fut ce qui me donna moins d’horreur pour lui. Je continuai de recevoir les secours qu’on apportait à ma situation, et je me fortifiai en quelques jours. Je fis de nouveau presser le marquis de me tenir sa parole: mais il éludait toujours sous quelque prétexte. Enfin, un soir, il vint auprès de mon lit, et après beaucoup d’excuses et de protestations, il me déclara qu’il n’attendait que ma convalescence, pour me tenir sa parole, au sujet du mariage secret, qu’il m’avait proposé; qu’il me donnerait toutes les assurances d’une prompte ratification. Je rejetai son offre. Il jura pour lors que ma liberté dépendait de moi, mais à ce prix, et qu’il aimerait mieux me voir périr que d’abandonner ses espérances. Il me tourmenta, il m’effraya même par les plus terribles menaces (du moins dans mes idées). Je fléchis… malgré moi. Nous en étions là (et voici un secret que je n’ai révélé à personne, pas même à Mme Parangon, ni à Laure, à laquelle dans mon premier trouble, j’ai écrit ce même récit), quand je vis entrer un prêtre et quatre témoins. On essaya de me lever: on y parvint, en me soutenant, on me para même, et on me conduisit dans une chapelle, où le prêtre nous donna la bénédiction des mariés. Je dis oral, ne sachant ce que je faisais. Le marquis paraissait transporté d’autant de joie que j’avais de douleur.

Je suis revenue, et l’on m’a remise au lit. Il a passé la journée auprès de moi, ne souffrant pas que je reçusse aucun service que de sa main. J’en conviendrai, je me résignais à mon sort, et je cherchais à prendre pour un homme que je regardais comme mon mari, les sentiments que j’allais lui devoir. Il a profité de ces dispositions, qu’il a devinées dans mes regards, et par un demi-sourire qui m’est échappé sur quelque chose qu’il disait. Il s’est mis à genoux devant mon lit; il a pris ma main; il l’a baisée la larme à l’œil, en me disant: «Non, belle Ursule, non, ma chère femme, vous ne me haïssez pas! dites-moi que vous ne me haïssez pas? – Au moins, ai-je répondu, votre démarche d’aujourd’hui m’oblige-t-elle a étouffer la haine, si j’en ai eu.» Il ne m’a répondu que par des transports, et me voyant assez bien disposée, il s’est mis auprès de moi, disant qu’il était mon mari, et que c’était son droit. Je me suis trouvée hors d’état de lui résister: qu’aurais-je dit? j’ai cédé, et malgré ma faiblesse, il a fallu souffrir tout ce que cet homme a voulu. Il m’a donc eue enfin de mon aveu… Je sentais néanmoins quelque chose qui m’inquiétait: non que je doutasse de la vérité de mon mariage, mais j’avais une inquiétude sans motif clair; je me demandais si ce qui venait de se passer était un songe? J’ai soupé avec lui, avec assez de tranquillité. Il allait sans doute se remettre au lit avec moi, lorsque j’ai entendu un grand bruit à la porte de ma chambre. Les deux femmes que je croyais renvoyées par le marquis, sont venues lui dire que c’était des gens armés, avec la garde. Sans se troubler, du moins en apparence, le marquis a dit d’ouvrir: mais en même temps il a disparu par une porte dérobée. Les deux femmes ont ouvert, et se sont évadées facilement; parce que mon frère et ceux qui l’accompagnaient, n’ayant d’abord songé qu’à moi, ils leur en ont laissé tout le temps. J’ai été surprise de la conduite du marquis, et j’attendais qu’il revînt pour s’expliquer. Ainsi je n’ai pas dit un mot de mon prétendu mariage, ni à mon frère, ni à M. Gaudet; mais ce dernier m’ayant demandé si le mariage secret était fait, sur ma réponse affirmative, il m’a recommandé de garder le silence là-dessus, en me disant: «J’ai des raisons pour croire que c’est un faux mariage, qui d’ailleurs ne vaudrait absolument rien, quand ç’aurait été un véritable prêtre. Mais je m’en informerai, et je tiendrai le marquis par-là, mieux que si le mariage était valide…» Je me suis absolument abandonnée à la conduite de l’ami de mon frère, surtout quand j’ai su que c’était lui qui avait découvert ma prison, et obtenu les ordres pour m’en tirer.

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