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[Nous ne rapportons pas cette lettre, qui est la LXXXIIIème du PAYSAN.].

Voilà un récit bien agréablement circonstancié! Mais il faut y ajouter quelque chose, que m’a dit Edmée, et que notre frère ne peut ni ne doit savoir. C’est qu’Edmée, en se donnant à Bertrand, a exigé de lui la promesse qu’il consentirait à n’être tout à fait son mari, que quand elle n’aurait plus de raisons à lui opposer. Et ces raisons (admire un peu la délicatesse de cette aimable sœur!) c’est qu’elle aime encore Edmond, et qu’elle veut tout à fait l’arracher de son cœur, avant d’être à son mari comme femme; en attendant, elle n’y est que comme bonne amie. Je n’approuve pas absolument ça, et je lui en ai dit mon sentiment, qui lui a fait impression, et elle m’a fait dire par sa sœur qu’elle y penserait. Ce qui m’a portée à être si rigoureuse en son endroit, c’est une seconde lettre d’Edmond que nous venons de recevoir, et que je ne vous envoie pas, ma chère sœur.

25 août.

Je continue ma relation, pour vous dire que nos deux belles-sœurs viennent d’arriver ici, avec leurs maris, et qu’elles font l’admiration de tout le village: car Edmée est si jolie, qu’elle embellit sa sœur, et celle-ci est si entendue pour le ménage, qu’elle en a donné des leçons à notre pauvre Brigitte, qui en est toute étonnée. À Au**, c’est la sœur Georget (nous l’appelons comme ça, et Edmée la sœur Bertrand), c’est la sœur Georget qui est la mère; car les deux ménages n’en font qu’un avec le père, qui est toujours chef et maître: notre digne père a donné là-dessus ses ordres à ses deux fils, avant de partir, d’un air et d’un ton qui le font toujours obéir. Cela n’était pas difficile à l’égard de Bertrand, mais Georget est un peu têtu; aussi est-ce à lui que notre père et maître a principalement signifié sa volonté. En récompense, il est comme maître de son frère, et Catherine est comme maîtresse d’Edmée; et les deux douces brebiettes, Bertrand et Edmée, ne demandent pas mieux que d’obéir, ils ne requèrent que la douceur dans le commandement. Ainsi, tout va bien. Notre bonne mère ne peut se lasser de caresser son Edmée; et tout à l’heure, la bonne et excellente femme nous a appelées Catherine et moi: «Mes chères brus, nous a-t-elle dit, pardonnez-moi si je caresse tant votre sœur; mais c’est qu’elle est si mignardonne, qu’on ne s’en saurait empêcher… Et puis… c’est… qu’elle me vient d’Edmond, qui l’a tant aimée!…» Et la chère femme ne se pouvait tenir; car dès qu’elle dit le nom de son pauvre Edmond et de sa pauvre Ursule, elle les cherche d’abord des yeux, tout autour d’elle, et comme elle ne les trouve pas, on voit les larmes rouler dans ses yeux; et tout ce qu’il y a à faire, c’est d’en dire tant de bien, tant de bien, qu’on les porte aux nues; et elle se rassoit tout doucement en écoutant ça, finissant par dire, toute joyeuse: «N’est-ce pas que ça fait de beaux et bons enfants?» On dit oui. Et elle se met à conter tout ce que vous avez fait de bien dans votre jeunesse; ensuite quelques-uns de vos petits tours, qui la font sourire; et nous avons soin de rompre la conversation, quand elle en est là: car ça finirait par vous pleurer. Ça fait une femme si sensible, que depuis votre absence, elle a besoin de toute sorte de ménagement. Ainsi sa bru Edmée nous fait bien du plaisir à tous, tant à cause de son propre mérite, qu’à cause de cette bonne mère; et nous la caressons tous comme elle: si bien qu’Edmée ne sait où se fourrer; elle va, pour se délivrer de nous, auprès de son mari: c’est pis; elle va auprès de notre père: oh! dame là, personne n’est si osé que de l’approcher. Et on voit que le vieillard la regarde avec complaisance, ne l’appelant que la fille de mon ami, et lui disant parfois qu’elle est le don le plus beau que lui ait fait son fils Edmond. «Et nous, mon père? a dit Catherine en riant, et me montrant. – Vous, mes chères filles! ah! vous êtes ce dont je remercie le Ciel; car l’une et l’autre avez le mérite que j’ai toujours désiré dans celles qui seraient mes brus: mais il ne m’irait pas de vous louer; ma bru Fanchon (que Dieu la conserve!) m’a donné tout ce qu’on peut donner à un beau-père, le bonheur de mon fils, et mon porte-nom, dans mon petit-fils; que Dieu la bénisse! mais ma bouche se refuse à louer son mérite, à cause de sa pudeur et modestie. Quant à vous, ma chère Catherine, vous êtes aussi la fille de mon ami, et la bonté, la joie, qui siègent sur vos lèvres et dans les traces de votre rire, indiquent le bon et innocent cœur dont elles sortent; mais je loue Edmée, non qu’elle soit moins modeste que son aînée Fanchon et son aînée Catherine, mais elle est à mes yeux comme les jolis enfants, qu’on flatte, qu’on caresse, et qu’on loue sans y penser, et par la force du vrai. – Ô mon père, a dit Catherine, j’ai badiné (et pardon de ce que je l’ai osé avec vous!) car je connais votre cœur; il est sur vos lèvres, et votre amitié pour Edmée est tout comme celle de notre bonne mère, c’est qu’elle vous vient de votre Edmond; et je vous le pardonne; car ça fait un fripon qui gagne tout le monde, et moi la première: et s’il ne vaut rien, je vous en avertis! Ah! qu’il en sait long!» (Et notre bon père a comme ri.) «Pour ce qui est de cette sœur Ursule, dont j’entends parler ici si souvent: Elle est aussi jolie que ma sœur Ursule, car voilà comme on loue Edmée, n’est-ce pas aussi une fine mouche, qui aura fait la capone auprès de sa bonne mère, pour s’emparer de tout son cœur? Mais vous êtes justes tous deux, et vous nous le partagez également à tous: car je suis sûre qu’Edmée ni Ursule ne vous sont pas plus chères que moi, qui suis un peu ébruiteuse, mais qui porte le cœur sur la main.» Ce babil a beaucoup plu à notre père, à qui tout ce qui vient des deux sœurs paraît bon et excellent; il était tout ému de joie et de plaisir, de s’entendre parler avec cette liberté. Ainsi tu vois, ma chère bonne amie sœur, que nous ne manquons pas d’agrément, depuis que nous avons ici ces deux aimables femmes.

Je te dirai que mon fils vient à merveille. Edmond nous vient d’envoyer deux enfants, qu’il me charge d’élever ensemble. J’aime son attention. Voici ce qu’il m’a écrit à leur sujet:

L’un est un dépôt qu’une mourante m’a confié, s’en rapportant à mon honneur et à mon humanité: j’ai son bien; l’autre est la fille d’une parente à qui j’ai ôté l’honneur; je lui dois plus que si elle était ma fille légitime. Élevez, chère sœur, ces deux enfants, jusqu’à ce que je puisse m’en charger: je me propose de les unir un jour; c’est ma plus chère espérance, et le seul sujet de consolation que j’aie, lorsque je pense à eux. L’honneur et la nature me font une loi de les aimer, et jamais, je l’espère, je ne manquerai à l’honneur ni à la nature.

Il ne m’écrit que cela; et le billet n’a ni adresse ni signature.

J’ai été bien étonnée que vous ayez été à la comédie, et que Mme Canon elle-même vous y ait menées! je n’en ai parlé à personne d’ici: ça aurait fait dire certaines choses que je n’aime pas à entendre. Mais prenez garde, chère sœur, au monde et à ses pompes, à quoi vous avez renoncé au baptême! Et pardon de ce que je vous dis ça.

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