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Lettres particulières d’Ursule R**, Marquise de***, à sa sœur Fanchon, Fme Pier. R**.

1ère.

Je vais reprendre avec toi, ma très chère sœur, mon ancienne manière de tout écrire et de te confier mes moindres pensées. Me voilà enfin dans ce mariage si désiré autrefois, et que des malintentionnés firent manquer! Ils me persuadèrent d’agir comme une folle, et je le fis; parce que j’étais réellement folle. Tu sais ce qu’il m’en a coûté! mais tu n’imagines pas, ma chère Fanchon, ce qu’il m’en coûte encore! M. le marquis a découvert une partie des horreurs auxquelles j’ai été exposée; mais il ignore celles auxquelles je me suis dévouée volontairement: je les lui aurais avouées, si je ne nuisais, en cela, plus à mon fils, et à lui-même, qu’à ma propre tranquillité. Cependant, depuis qu’il a su que j’étais veuve du porteur d’eau, il n’est sorte de dédain qu’il ne me marque. Hélas! s’il savait seulement la moitié de ce qui s’est passé dans ce lieu d’horreur!… Il ne me touche qu’avec le plus grand mépris; il emploie avec moi des expressions révoltantes. Mais je suis obligée à tout souffrir, et je m’humilie sous la main de mon mari et sous celle du Dieu juste qui me châtie. L’un de ces jours, qu’il me dégradait de la plus outrageuse manière, mes larmes coulèrent pour la première fois, et je lui dis: «Monsieur, songez que cette vile créature est la mère de votre fils…» Il parut interdit. Ensuite, il se mit à rire, en disant du ton le plus insultant: «Si tu me l’avais fait après ta belle vie débauchée, je le renoncerais…» Il a ensuite ajouté bien des choses au sujet du porteur d’eau; me faisant les demandes les plus indécentes et les plus humiliantes. Je n’ai répondu que par mes larmes, versées bien sincèrement. Quand il m’a eu quittée, j’ai été offrir ces peines à Dieu, et je suis sortie pour aller servir les pauvres; ayant toujours soin de me faire suivre du plus affidé des domestiques de mon mari, afin qu’il lui rende compte de mes moindres démarches, comme je sais qu’il l’en a chargé. Car huit ou dix jours après notre arrivée ici, il fit entrer ce garçon dans ma chambre à. coucher, comme j’allais me mettre au lit, et il lui dit ces propres paroles: «Farisar, je te fais le surveillant de cette femme que j’ai épousée par raison, quoique je la méprise, et je la rends dépendante de toi comme de moi-même: suis tous ses pas, qu’elle le veuille ou non; si quelqu’un, homme ou femme, montait en carrosse avec elle en chemin, comme ce ne pourrait être que pour un motif de libertinage, je t’ordonne d’y entrer, et d’y demeurer, tant que ces personnes y seront. Si cette femme voulait monter dans quelques maisons suspectes, tu t’y opposerais; je te donne à cet égard toute autorité, même d’employer la force. – Et je vous en prie aussi, Farisar, ajoutai-je: ce que monsieur vous prescrit est ce qui sera ma sauvegarde; et ne croyez pas que je murmure de cet ordre, ou que je le trouve rigoureux; non, non, je mérite de plus grandes rigueurs aux yeux de Dieu, que tout ce que peuvent me faire les hommes. – Ne te fie pas à ces discours, Farisar! c’est une ruse diabolique.» Depuis ce moment, ce laquais est devenu mon maître: c’est lui qui règle mes sorties, et je suis obligée de le consulter en tout, afin d’avoir sa permission; jusque-là qu’il voit mes lettres: ce qui m’est le plus pénible. J’espère cependant qu’il ne verra pas celles qui sont pour toi, ma chère sœur. Ces humiliations tempèrent bien la petite vanité d’être marquise de nom; car je suis servante d’effet, et au-dessous des servantes qui ne reçoivent des ordres que de leur Maître et maîtresse. Cependant, je bénis Dieu de cette humiliation.

J’ai peu dont je puisse disposer, mais je retranche sur la dépense de mes habits pour faire quelques bonnes œuvres, et Farisar paraît lui-même fermer un peu les yeux. Adieu, chère bonne amie sœur; prie Dieu pour moi: car je souffre beaucoup de mille autres choses, dont je ne parle pas. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison de ce que je mérite?

P.-S. – Tu ne répondras jamais à ces lettres de confidence; il ne le faut pas.

2ème.

Depuis ma dernière, il m’est arrivé un mal plus grand que tous les autres, puisqu’il m’attaque dans mon corps, et qu’il me prive de caresser mon fils. J’en ai averti humblement M. le marquis, le suppliant de songer à lui. Je m’attendais à ce qui est arrivé: mais j’ai fait mon devoir, car je dois veiller à sa conversation. Il m’a traitée outrageusement, m’accusant de ce qui ne peut être, quoiqu’il sût très bien le contraire. Il a voulu, ou feint de vouloir, chasser Farisar; enfin, il s’est conduit… Mais je mérite tout. Prie Dieu pour moi, ma très chère sœur. Voilà une terrible épreuve!

P.-S. – Mon fils se porte bien; il est charmant, et promet beaucoup. Je ne veux vivre que pour lui, et pour ma pénitence voilà mes deux consolations.

3ème.

Un peu de consolation, très chère bonne amie, se mêle aux peines dont je t’ai parlé: mon surveillant, ce laquais que, mon mari a fait mon maître, était l’un de ces jours dans mon, cabinet de toilette à ranger quelque chose. Je souffrais beaucoup et M. le marquis venait de me traiter fort mal. J’entendis Farisar soupirer et pleurer. Un instant après son maître l’appela: «Qu’as-tu donc? (je l’entendis). – Ma foi, monsieur, ma maîtresse, Mme la marquise votre femme, est la plus respectable dame que j’ai vue de ma vie. C’est une sainte et je ne veux plus être, employé à son service, que pour l’honorer et me recommander à ses prières. – Elle t’a séduit, mon pauvre sot! Va, c’est une rusée coq… – J’ose vous assurer, monsieur et cher maître, et vous jurer par tout l’attachement que vous m’avez toujours su pour vous, que vous vous trompez au sujet de madame, et qu’un jour vous aurez regret à tout ce que vous lui dites et faites. – Monsieur Farisar, gardez vos prédictions pour vous-même, ou pour les faquins de votre espèce, et faites ce que je vous ordonne sans examen.» Cependant le discours de ce garçon a fait quelque impression sur mon mari. Je le trouve plus réservé… Ah! s’il savait tout! comment me traiterait-il?

4ème.

Je me trouve enfin, ma chère bonne amie sœur, dans une situation supportable de la part de mon mari. Il ne m’humilie plus au point où il le faisait. Car il faut te dire enfin qu’il avait ici deux impudentes créatures qui étaient mes maîtresses, et qui me faisaient souffrir toutes sortes d’humiliations; jusqu’à m’obliger à les servir à table, debout derrière leur chaise, tandis qu’elles mangeaient avec M. le marquis. Elles m’ont réduite à pis encore: mais cela ne saurait s’écrire à Fanchon Berthier. D’ailleurs ai-je des droits? Non, non, je n’en saurais avoir et tout ce qui m’afflige, ce sont les fautes que fait M. le marquis. Hélas! nous sommes assez coupables pourquoi nous charger de nouvelles iniquités, et augmenter le trésor de colère amassé sur nos têtes!… Enfin, il a cessé d’hier. Les deux créatures sont renvoyées, sans que j’aie dit un mot pour me plaindre. Farisar transporté de joie est venu m’annoncer cette nouvelle. Le pauvre garçon était hors de lui-même. On m’a dit qu’après l’ordre donné, il s’était jeté aux genoux de son maître, et qu’il lui avait souhaité mille bénédictions. De ce matin, la somme dont je puis disposer est augmentée. Farisar m’assure que M. le marquis instruit de l’usage que j’ai fait du peu que j’avais, en a été édifié: «Ainsi que moi, madame, ajoute-t-il, qui vous regarde comme la bénédiction de la maison de mon maître. Et veuille le Ciel, qu’elle en reçoive les effets, en vous possédant longtemps!».

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