VII. Les occupations basses, quoiqu’utiles, sont méprisées: qu’en résulte-t-il?
VIII. Le préjugé de la différence des conditions est contraire à la raison, à la religion.
IX. Pourquoi une femme ne reçoit-elle pas tous les hommes? Ce qui est permis avec l’un, ne peut être défendu avec l’autre: c’est un préjugé?
Ce qu’on peut faire.
I. Il est permis d’assassiner à la guerre, c’est-à-dire, de guetter nommément un ennemi, et de le coucher par terre d’un coup de fusil, de pistolet, de sabre, d’épée, de poignard. On tue licitement, en se battant dans la mêlée. On peut violer, si le général qui met la ville au pillage, l’ordonne; l’infamie retombe sur lui. On peut incendier à la guerre, on le doit quelquefois. On peut empoisonner les vivres d’une garnison opiniâtre. On vole, on pille, on trompe légitimement sur mer et sur terre, pendant cet horrible fléau, qui ne l’est que par le mal qu’il autorise.
II. Certainement il est permis à une femme, à un homme d’user de ses facultés, pour le plaisir, en se tenant dans les bornes de la raison. Les actions naturelles ne sauraient être un crime contre la nature, quoique les hommes aient pu convenir entre eux qu’il ne serait permis de s’y livrer qu’en telles et telles circonstances. C’est pourquoi, dans le cas où la convention sociale gênerait la liberté naturelle, je crois permis de se cacher pour se satisfaire, et pour éviter le déshonneur; à condition qu’on n’outragera pas la nature. Car alors, si les peines physiques venaient à déceler la violation de la loi sociale, on souffrirait également et la peine que la société imposera, et celle de la nature: or c’est une folie que de s’y exposer. Si donc une fille fait un enfant, qu’elle se cache: mais si on vient à le savoir, qu’elle s’en fasse honneur, comme d’une action naturelle, et qu’elle en tire la preuve qu’elle n’est pas une libertine. Car l’estime publique nous est nécessaire, et quand elle nous échappera d’un côté, il faut tâcher de la rattraper de l’autre.
III. Il suffit de ne pas scandaliser, et de ne pas contribuer à ôter aux ignorants un frein nécessaire, notre croyance ne peut jamais être opposée à nos lumières: mais je soutiens que la croyance chrétienne est conforme aux lumières, et qu’il n’est rien de si aisé que de modeler sa conduite sur cette croyance, qui consiste à aimer ses semblables, à leur faire du bien, à rendre à l’être-principe l’hommage filial de notre existence, à regarder J.-C. comme la plus pure émanation de Dieu, eu égard au bien que sa doctrine a fait aux hommes.
IV. Nous ferons toujours du bien aux autres: parce qu’il en résultera pour nous une sûreté d’existence, qu’est le plus grand des plaisirs: ce bien nous sera rendu par les autres; nous jouirons d’un sentiment délicieux, celui d’en être aimés, surtout, si nous faisons le bien désintéressement, et sans blesser l’orgueil de nos obligés: notre réputation de bienfaisance, ou de bienveillance (car l’une égale l’autre, lorsqu’on manque de pouvoir) n’en sera pas moins étendue, et elle en sera beaucoup plus pure: tout ce que l’ostentation ôte au secret, elle l’ôte à notre réputation, pour le donner à l’ingratitude. Celui qui fait du mal aux autres est un fou qui, de gaieté de cœur, s’expose sous une maison que des maçons démolissent.
Passons aux préjugés à respecter.
I. Mais combien n’a-t-elle pas retenu de scélérats! Je me rappelle que dans ma jeunesse, aux veillées, on m’en faisait des contes, qui excitaient en moi un frissonnement salutaire, qui m’a éloigné de mille actions, non seulement injustes, mais préjudiciables à ma santé.
II. Cependant, combien de voyageurs effrayés elle a rassurés; combien de soldats chrétiens elle a raffermis, lorsqu’ils étaient le plus exposés!
III. Par ce moyen, elle serait très utile! elle entretiendrait les enfants dans la soumission à leurs parents, et ceux-ci dans la tendresse paternelle et maternelle.
IV. Non: combien de malades la confiance au médecin tranquillise sur leur état, et qui guérissent naturellement au moyen de cette précieuse tranquillité, que les animaux ont sans médecins!
V. Comme les songes sont très souvent relatifs aux choses qui nous ont fortement occupés, il peut arriver, et il est quelquefois arrivé, que l’homme endormi qui les a, peut fortuitement penser quelque chose de très utile, dont la sagesse l’étonne à son réveil: mais j’ai remarqué que les choses rêvées, crues faciles, étaient toujours réformables à l’exécution.
VI. Les prétendus abus de la religion sont devenus nécessaires avec le changement des circonstances. Par exemple, il n’est personne qui, l’Évangile à la main, ne condamne la représentation, le cérémonial introduit dans la religion, et surtout les richesses. Cependant, si l’on fait attention que la religion chrétienne, par exemple, simple, républicaine dans son origine, est devenue la religion des monarchies; si l’on considère qu’elle est devenue loi et constitution des États, objet de la vénération publique, frein des méchants, espérance et consolation des bons, on sentira qu’il lui a fallu de l’appareil, de la majesté, au lieu de son humilité, de son obscurité premières. Il n’y a qu’un seul point de réforme à exécuter aujourd’hui, c’est le choix sévère des ministres, la pureté de leurs mœurs; il faut augmenter leur considération, au lieu de la diminuer: mais il faut qu’ils soient toute humilité, douceur, charité, que jamais ils ne plaident. Il faut que celui qui, étant entré dans cet état saint, n’en pourra soutenir la pureté, ait la liberté d’en sortir, et de redevenir profane, etc. C’est le seul moyen de maintenir la pureté dans un État spécialement établi pour inspecter les mœurs.
VII. Que ces occupations étant faciles, elles ne sont exercées que par les incapables; tous les autres citoyens s’en éloignent, et s’élèvent par l’émulation aux choses sublimes.
VIII. Mais il maintient l’ordre, dans la société civile, où il est impossible que les citoyens soient tous la même chose.
IX. Rien de plus sage que cette prohibition, dans tous ses effets. Elle a fait naître la pudeur, sentiment si utile, qu’il est le charme de l’amour. Elle a empêché que parmi les hommes, chez qui l’imagination est facile à dérégler, l’incontinence n’anéantît le genre humain. Elle a fortifié l’attachement des hommes pour les femmes, celui des femmes pour les hommes…
Je m’arrête ici. Tout ce que vous nommez préjugés, depuis que votre conduite vous a fait craindre le mépris de vos semblables, ma chère Laure, peut également se justifier: pour réformer les abus, il faudrait avoir moyens assurés d’empêcher que les nouveaux usages n’en fissent pas naître de plus dangereux.
Ursule et vous m’avez convaincu d’une grande vérité! C’est qu’il faut des lumières peu communes, un esprit aussi rare que juste, pour ne pas avoir besoin de préjugés, de loi, de frein. Ursule s’est perdue; je la regrette à proportion de ce qu’elle pouvait monter plus haut, avec ses charmes, ses grâces, ses talents. Je ne doute pas que je n’en fusse venu à bout, sans l’Italien. Je me suis déjà vengé des joueurs qui l’ont humiliée; je les ai découverts, ils sont pris tous quatre, et vont partir pour les galères, auxquelles j’ai trouvé moyen de les faire condamner, en fouillant dans la sentine de leur vie passée. J’ai eu soin qu’ils fussent instruits de la cause de leur malheur. Edmond a puni faiblement le porteur d’eau, en s’exposant lui-même; tandis que moi, je l’eusse fait rompre sans m’exposer. Je laisse la G **: parce que sans elle, Ursule n’existerait plus, elle avait des ordres pour cela, qu’elle n’a pas exécutés. D’ailleurs, je sais que c’est exprès qu’elle a laissé Ursule s’échapper: elle avait mis de l’argent à sa portée, que l’infortunée n’a pas pris; grâce pour elle, en conséquence. Mais tout le reste sera puni! La vengeance est ici un acte de justice; et comme les hommes ne me la donneraient pas, je la prendrai. Je veux qu’elle fasse frémir Ursule elle-même. Je me suis emparé, à force d’argent, de toute la canaille qui l’a insultée: la lecture de sa relation m’a rendu furieux, et j’ai eu soin de faire prendre tous ces gens-là; les uns pour vol domestique, que j’ai découvert, ont été pendus; les autres, pour différents sujets, ont été soit aux galères, soit à Bicêtre, d’où j’aurai soin qu’ils ne sortent pas de sitôt. Tout cela fait que c’est Ursule qu’on venge: Reste le plus coupable!