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Mon nouvel amant vint souper avec moi, et débuta par quelques présents. J’ai vécu avec lui assez tranquille, quoique je le trompasse presque tous les jours. Je me mis à faire des parties avec mes voisines, chez des abbesses célèbres, à un louis par soirée. J’amassai ainsi quelque argent, car je suis naturellement ménagère. Un jour (le plus malheureux de ma vie, après celui où j’ai quitté l’ami), j’allai chez la G ** (où était alors enfermée Ursule à mon insu): nous étions quatre femmes. J’y trouvai trois hommes; on attendait le quatrième. Il arriva. Juge de ma confusion et de mon embarras, quand je vis paraître dans ce quatrième convive mon marchand bourgeonné de la rue du Roule! je crois qu’il ne venait pas au hasard et qu’il m’avait aperçue dans cette maison. Il se félicita ironiquement du bonheur de me retrouver, et il vanta mes charmes à celui qui m’avait choisie. J’en fus quitte pour cela en ce moment. La joie régna; on soupa; on se divertit, et je ne fis pas la prude, moi qui l’avais toujours faite avec l’homme bourgeonné. On se sépara vers le matin, et je pris un fiacre, à qui je me gardai bien de nommer ma rue; je le fis aller au Marais, et de là chez moi. Mais en descendant de ma voiture, je n’en aperçus pas moins le malheureux bourgeonné. Je me promis bien de demander à déménager dès le jour même, sous prétexte que j’avais été vue de quelqu’un de ma famille. Je n’en eus pas le temps. Le bourgeonné se tint aux environs de ma porte, sans la perdre de vue, et dès qu’on entrait, il venait voir si c’était chez moi. Il eut la patience d’attendre jusqu’à deux heures, que mon amant parut. Il le vit entrer. Un instant après, il sonna, et me demanda. Ma domestique répondit que j’étais en affaires. «Je le sais, reprit-il; je suis l’intendant du monsieur qui est là, et je voudrais lui dire un mot.» La sotte vint avertir mon amant que son intendant le demandait. Il sortit, et alla parler au bourgeonné, qui l’entretint quelque temps à l’oreille, lui représentant sans doute combien il s’exposait avec moi, d’après les parties que je me permettais. Il offrit de me confondre, et de le convaincre par lui-même. Mon amant accepta le dernier parti, et rentra auprès de moi. J’aperçus quelque altération sur son visage. Je lui demandai s’il avait reçu quelque mauvaise nouvelle? Il répondit que oui; mais que c’était une bagatelle, et qu’il verrait si le mal était comme on le disait.

Le soir, la G ** me fit encore demander. Je refusai. Plusieurs semaines de suite, je tins ferme. Enfin, au bout de plus d’un mois, j’oubliai peu à peu ma rencontre, et j’allai chez la G **; mais j’exigeai pour condition que je verrais les hommes de la partie à faire avant que d’entrer. Elle y consentit, et à la première occasion, je me rendis à ses offres. J’arrivai bien voilée. Je descendis en faisant raser la porte par mon fiacre, et j’entrai. Mais avant de me montrer où j’étais attendue, je rappelai à la G ** la convention. Elle me fit envisager les acteurs. Un des quatre était mon amant et un autre le bourgeonné. Je reculai vivement, et je dis à la G **, que j’allais lui envoyer à ma place une de mes bonnes amies. Je retournai promptement chez moi, et je me substituai une petite fille de modes, de chez la Dub, qui était très jolie.

Cependant on m’attendait avec impatience. Quand la petite Adelaïde entra, tous les yeux se portèrent vers la porte. On appela aussitôt la G **. «Mais ce n’est pas là ce que nous attendions? Pardonnez; c’est ce que je vous ai promis; elle est charmante; cela est neuf; c’est du joli et du bon. – Mais nous attendions cette autre (dit le bourgeonné) qui a l’œil si fripon; là, celle qui porte sa tête avec tant de grâces, et qui avait une robe de mousseline, lorsque je vins ici la dernière fois? – je ne me rappelle pas cela. Voilà ce que j’ai de mieux, et je n’en connais pas d’autres.» Le bourgeonné fut confondu. Cependant la partie se fit.

Le lendemain, mon amant, qui m’avait toujours battu froid, depuis son entretien avec le bourgeonné, me parla d’un air plus ouvert; il me proposa la promenade, et me fit descendre chez la G **. Il ne me fut pas difficile de comprendre son dessein. Je ne laissai voir aucune surprise; je descendis avec lui, et j’eus la plus grande attention à ne pas faire un pas qu’il ne me guidât. Il me présenta à la G **. Je ne fis pas le moindre geste, le moindre coup d’œil; je la saluai froidement et cérémonieusement: elle en fit de même, et pendant une visite de plus d’une heure, il ne nous échappa rien. Mon amant me ramena, et arrivé à la maison, il se jeta à mes genoux, me découvrit ses soupçons, et m’en demanda pardon. Je versai des larmes, et je lui pardonnai cependant de fort bonne grâce.

Me voilà donc un peu rassurée. Je m’observai soigneusement, et ayant découvert chez une de mes amies, un passage par sa maison d’une rue à l’autre, je profitai de cette découverte, pour aller chez elle, n’y rester qu’un instant, et me rendre de là voilée chez la G **, ou ailleurs. Cette vie dura trois mois. Mais le coup de foudre le plus funeste m’attendait. À force de m’observer, je m’oubliai une seule fois, et cette fois me perdit. J’allai voir la M ***, chez qui je n’avais pas encore mis le pied: elle m’avait demandée sur ma réputation de mignardise. J’étais bien aise de faire sa connaissance; je me rendis chez elle, en passant néanmoins par la maison de mon amie. Le hasard voulut que lorsque j’entrai dans ma brouette, parfaitement voilée, la finesse de ma taille frappât un homme bien mis, qui passait, et qui le dit à un autre; cet autre était mon amant. Les deux hommes suivirent la brouette, jusque chez la M *** – Comme je n’étais pas sortie de chez moi, je n’étais pas soupçonnée. Je fis raser la porte, et je m’élançai dans la maison. Les deux hommes ne virent que peu de chose de ma taille. Mais leur curiosité était excitée. J’avais aux yeux du premier ce charme du premier objet qui nous plaît dans le jour, charme toujours si puissant, qu’il centuple la valeur d’une femme, et qu’un homme qui pourrait avoir ainsi toutes celles qui le frappent de cette manière, éprouverait une volupté, sinon absolument inconnue, du moins très rare. Ils entrèrent, et demandèrent à se choisir une compagne, pour passer agréablement une heure de temps. Je venais d’entrer dans le salon de la M ***, et on me donnait une clef, pour aller me renfermer, lorsqu’en tournant la première marche, je me trouvais en face de mon amant. Je voulus fuir, et me hâter de monter. Il me retint par le bras: «Je vous y trouve!» Il ne me dit que ce mot. Et appelant la M ***: «Vous pouvez garder mademoiselle ici, puisque votre maison lui plaît; car elle n’en trouverait pas d’autre à son retour.» Il me salua ironiquement, et partit seul, en disant à son ami: «Tu peux t’amuser; voilà une fille.» Je restai confondue, et mes larmes coulèrent. La M *** lui dit qu’elle ne voulait pas de moi, si j’étais honnête fille, et qu’elle allait me prier de sortir de chez elle sur-le-champ. L’ami me consola. Je tâchai de le toucher par une fausse confidence: je lui fis quelques aveux, que je motivai comme je pus, et je le priai de me prendre, lui jurant une fidélité à toute épreuve. Je lui avais trop plu, pour qu’il me refusât. Il m’emmena chez lui, car il était garçon; et là, après m’avoir rassurée, et promis un sort comme celui que me faisait mon ami, il ajouta: «Mais prenez garde! Je ne vous quitterais que pour vous faire mettre à l’hôpital!».

J’abrège ce récit. Je le trompai au bout d’un an, une seule fois, que je le croyais en campagne. Il le sut, et le même soir, je fus conduite à Saint-Martin. C’était un jeudi. Le lendemain, je subis la honte d’être jugée en public avec les autres malheureuses, et je fus conduite à la Salpêtrière. J ’y restai trois mois. En en sortant, je retournai chez la M ***, qui me fit guérir d’une maladie de la peau, et on me coupa les cheveux. Je n’avais absolument pas le sou: lorsque je fus guérie, elle ne me trouva plus digne de sa maison; elle me renvoya. J’allai dans un endroit où je trouvai Ursule, avec laquelle je retournai chez la M ***, qui nous reçut à cause de la réputation de ta sœur, et qui nous garda six mois.

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