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Voilà mes sentiments, Ursule. Quoi! vous vous êtes imaginé que je méprisais, que je haïssais la religion chrétienne!… Ô ma Fille! que je suis malheureux de vous avoir crue plus éclairée que vous ne l’êtes! et que je crains de m’être également trompé avec votre frère! Sans doute cette religion sainte a des abus qui viennent des hommes: ces abus vivement sentis, ont produit les guerres des Huguenots, dont le souvenir est si vif encore dans votre village, et surtout dans votre famille, qu’ils ont ruinée: mais les abus viennent des hommes; le divin législateur les avait tous prévenus; c’est pourquoi les papes et les évêques sont inexcusables de ne pas les anéantir; de ne rappeler pas à sa primitive pureté, cette divine religion, dont la beauté est si grande, que si elle existait sans abus, toutes les nations viendraient l’embrasser. Des incrédules! ah! il n’y en aurait plus! Quel intérêt les rendrait athées? la religion ferait leur bonheur dès ce monde…

Ce sujet m’a emporté; je ne veux pas finir par une matière aussi sérieuse, et je me rappelle à propos que je dois une réparation aux auteurs dramatiques. Je veux la leur faire publique ou particulière, comme l’insulte: ainsi, dans le cas où vous auriez montré ma lettre à quelqu’un, montrez de même la réparation. Un auteur dramatique, tel que Corneille, est capable d’ennoblir une nation, de la rendre grande à ses propres yeux. Un auteur dramatique, tel que Racine, serait capable d’amollir, de civiliser… les Anglais, et même les sauvages qui sont à leur solde en Amérique. Un auteur dramatique, tel que Molière, où il est bon, donnerait de la gaieté à un spleenique, corrigerait une précieuse, convertirait un hypocrite, rendrait sociable un misanthrope. Un auteur dramatique tel que Regnard, amuse au moins, et fait rire les maîtres, que leurs domestiques volent. Un auteur dramatique tel que le grand Voltaire, instruit, touche, rend honnête homme, en un mot, réunit tout le mérite des Corneille, des Racine, des Crébillon. Ce dernier effraie le vice. Destouches par son Glorieux, a contribué au progrès de la vraie philosophie. Lachaussée et Marivaux font aimer le devoir aux époux, aux pères, aux enfants. Tous nos auteurs modernes sont estimables; un Lemierre, un Ducis, un Blin de Saint-More, un de Marmontel, un de La Harpe, un Sedaine, un Dorat, un Palissot ont plu, et méritaient de plaire.

Mais si je loue les auteurs dramatiques, certainement je ne louerai pas le public spectateur! Dieu! quels automates les talents ont pour juges! et qu’il est peu flatteur d’exciter leur applaudissement! Comment les gens d’esprit que j’ai nommés en dernier lieu, peuvent-ils se résoudre à travailler pour cette hydre à mille tètes, dont pas une n’est d’accord! J’ai été au parterre, au parquet, aux loges, jusqu’à l’amphithéâtre, qui est au spectacle, ce qu’est le Marais à la rue Saint-Honoré; et là, j’ai entendu louer les sottises, autant que les beautés; j’ai entendu blâmer les morceaux sublimes; j’ai vu admirer les défauts de l’acteur, et honnir ses qualités, la sagesse, la finesse, la raison de son jeu senti. Mais, me direz-vous, ce public décide Juste cependant! Oui: deux ou trois têtes au plus, quelquefois une, qui donnent le branle à cette grosse bête qu’on appelle le public. Il faut même absolument que ces trois, deux, un, aient lu auparavant la pièce; car il est impossible d’entendre à la première représentation: ce gros Cheval poussif, le public tousse, crache, mouche, claque, hennit, braie, grogne, mugit, bêle continuellement, suivant l’espèce d’animal, dont est chacune de ses mille têtes. Il n’a pas seulement l’esprit d’avoir du plaisir, car il se l’ôte continuellement à lui-même, et vous voudriez que ce gros animal-là jugeât!… Il est si vrai qu’il ne sait pas juger, et que l’électricité communicative du mouvement qui fait applaudir aux beautés, a une cause qui peut manquer, cela est si vrai, qu’on lui a vu approuver des sottises palpables, parce que ce jour-là, l’immense ruche n’avait pas d’âme reine, c’est-à-dire, pas une de ses mille têtes qui eût le sens commun. Le lendemain, ou huit jours après, il se trouvait que la ruche avait une reine, et alors l’électricité avait lieu; elle conspuait ce qu’elle avait adoré. Le contraire est arrivé plus d’une fois. La bête, le premier jour, étant absolument brute, ne sentait pas les beautés; et comme les beautés non senties ont quelque chose de très plat pour ceux qui ne les peuvent entendre, les mille têtes ennuyées sifflaient, grognaient, brayaient, etc., etc. Ce fut ainsi que la bête était à la première représentation de l’Athalie de Racine; à celle de plusieurs pièces de nos auteurs modernes, qui redonnées dix ans après ont réussi; parce que la bête avait enfin une ou deux de ses mille têtes qui étaient humaines. Je suis persuadé, par exemple, que le Gustave de M. de La Harpe, redonné, réussirait aujourd’hui; que plusieurs tragédies de M. de Marmontel seraient vues avec plaisir. J’ai entendu juger la Florinde de M. Lefèvre; en vérité ce jour-là, il fallait que la bête fût de mauvaise humeur; elle ne me permit pas d’entendre. Si au lieu d’écouter j’eusse applaudi, peut-être la décidais-je: mais je voulais donner à mes co-têtes l’exemple de la raison, et malheureusement celles qui étaient autour de moi, étaient, l’une de linote, l’autre de chien, une de serpent, deux de singe, trois de peccata, une d’éléphant, six de carpe, huit de merle, dix d’oison: je voulus changer de place, et je me trouvai entre deux dogues, ayant par-devant six taureaux, et par-derrière vingt cochons, quatre loups, et trois ours. Que dire à tous ces animaux-là? pas un ne m’entendait, lorsque je leur voulais parler dans les entractes. Est-il étonnant, qu’avec un pareil composé, les têtes humaines, qui se trouvent par hasard sur le même tronc, avec cet assemblage d’animaux, ne puissent goûter le plaisir du spectacle? Si on attendrit la bête, elle beugle, tousse et mouche ensuite, à vous faire perdre le reste de l’acte ou de la scène; si on la fait rire, elle braie si fort et si longtemps, que vous n’entendez plus rien; si on l’impatiente, elle frappe du pied, elle grogne, elle mugit, ensuite elle s’écrie: «Paix donc!» Vous vous croyez au milieu de la foire où toutes ces différentes espèces devraient être à vendre. Pauvres auteurs, qui êtes jugés sur un mot par une linote, ou par un sansonnet, dont la plaisanterie fait quelquefois tomber votre pièce, sans être entendue! Pauvre spectateur humain, qui crois aller te délasser du travail et des peines de la vie, et qui ne trouves, au lieu du plaisir, que l’impatience et de vains efforts pour voir et pour entendre! Je ne saurais concevoir comment on va au spectacle à Paris! On dirait que ceux qui s’y rassemblent, n’y vont que pour se gêner, s’étouffer, se brusquer, se montrer égoïstes, sans égards, sans politesse. C’est le rendez-vous de tous les enrhumés, de tous les cracheurs, de tous les moucheurs, de tous les rousseurs, de tous les polissons qui aiment à entendre et à faire du bruit! Combien de clercs, de jeunes officiers, et même de plus graves spectateurs ne vont là que pour s’amuser entre eux, indépendamment des pièces! je crois que le moindre bruit devrait être défendu à nos spectacles, qui sont absolument différents de ceux des anciens, où le peuple criait bravo! mais il faut observer que ce n’était qu’aux combats des hommes comme les bêtes, ou des gladiateurs. Aux pièces dramatiques, on ne soufflait pas le mot, tant que l’acteur parlait; aux entractes seulement, les plauditeurs donnaient le signal, en frappant des mains en cadence.

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