Ce pauvre enfant! il me fait pitié: mais qu’y faire!… J’ai encore gardé ce billet, et déchiré un autre chiffon de papier.
Troisième billet doux du page.
Je devais m’y attendre, mademoiselle: un jeune homme tel que je suis, n’est pas fait pour être écouté dans ce siècle où tout est vénal, et le riche financier, qui vous a glissé un billet hier, est sûrement mieux reçu que moi… Ah, Dieu, aimer si tendrement, et ne pouvoir espérer!… Mais, hélas! que fais-je? Les expressions de ma douleur ne seront sues que de moi! Je m’arrête; je n’ai plus qu’à mourir.
Il m’a pourtant écrit encore, parce que je n’ai rien déchiré en prenant ce troisième billet, et que je lui ai jeté un coup d’œil, qui ne marquait pas de colère. J’ai en vérité eu peur qu’un si aimable jeune homme ne se fît du mal par désespoir. Il m’en remercie dans son quatrième billet, que je garde aussi.
Un autre adorateur de mes charmes appétissants (c’est le terme qu’il emploie), est le parfait opposé de celui-ci: j’avouerai que si son mérite était uni à celui du page, je serais toute déterminée. Figure-toi un gros homme rond, tout d’or des pieds à la tête; ayant une figure rouge et fraîche, malgré qu’elle date de cinquante ans, et un ventre comme une demi-tonne de bourgogne. Il m’a aussi envoyé de son style: Je ne sais comme les femmes de ce pays-ci le trouvent; mais pour moi, sans m’y connaître beaucoup, je présume qu’il doit leur paraître très persuasif.
Premier billet du financier.
Vous êtes adorable, mademoiselle; et quoique je le sache très bien, j’imagine que vous le savez encore mieux. Cependant, je le sais, pour ma partie, aussi bien qu’il est possible; et la preuve, c’est la manière dont je vais vous apprécier: je vous ferai douze mille livres de rentes, assurées pour toujours, et je vous en donnerai quarante par an, tant que vous voudrez vivre avec moi. Je ne sais qui vous êtes; mais votre mine est diablement éveillée! Cependant, je ne crois pas que vous ayez encore eu plus d’un amant ou deux; je vois cela au peu d’assurance de vos regards. Vous êtes ce qu’il me faut, je n’aime pas à briser la glace, pas plus qu’à avoir une femme si courue, qu’on ne puisse être sûr de la garder huit jours: je veux être constant; c’est ma manie à moi. Vous êtes charmante! Et je ne doute pas que vous ne fassiez de brillantes conquêtes: c’est ce qui me fait me dépêcher de vous prendre; la foule pourrait y venir, si vous étiez plus connue. Au premier signe de bienveillance de votre part, je suis à vos ordres. On ne doit rien ménager pour la beauté, dût-on, pour l’enrichir et satisfaire ses caprices, piller et voler tout le monde.
En vérité, celui-ci me tente encore! Ce serait un mariage bien avantageux, que celui qui me donnerait quarante mille livres de rentes, et qui m’en laisserait douze, si je venais à perdre mon mari! Cependant j’ai suivi à son égard la même conduite qu’avec les autres, afin d’avoir un second billet, qui n’a pas manqué:
Deuxième billet du financier.
Je crains, mademoiselle, que mon billet d’avant-hier ne soit pas tombé entre vos mains: c’est ce qui fait que je vous en fais remettre un second, où je vais vous renouveler les propositions que renferme le premier. (Elles étaient les mêmes.) Mais comme je me suis informé de vous, et que je n’en ai reçu que de bons témoignages, j’ajouterai quelque chose à ce que je viens de vous marquer: on m’a dit que vous n’aviez encore eu personne, cela mérite quelque considération; car je vous préfère ainsi, quoique j’aie dit au contraire dans ma première (supposé que vous l’ayez reçue); les hommes s’expriment toujours de cette manière, quand ils croient avoir affaire à une femme usagée, afin de ne paraître pas trop exiger; mais au fond, ils sont charmés de n’être pas pris au mot, et d’avoir l’étrenne d’un jeune cœur. Je vous ferai cinquante mille livres par an, et quinze perpétuelles. Je suis un galant homme, qui n’aurait que les procédés les plus honnêtes, et qui ne serai jamais votre tyran, mais
Votre ami.
En recevant ce billet, je déchirai le premier, suivant ma petite politique. Dès le lendemain, j’en reçus un troisième: mais il était écrit d’une manière différente des deux autres.
Troisième billet du financier.
Mademoiselle,
De meilleures informations, depuis que vous avez déchiré ma lettre, m’ont appris au juste ce que vous étiez: je vous demande pardon de mes propositions, dans le cas où vous auriez lu ma première et ma seconde lettre: je ferai en sorte que vous lisiez celle-ci. Je sais que vous êtes une jeune personne honnête, qui êtes à Paris avec Mme votre tante et Mlle votre sœur, ou votre cousine. Je ne voudrais pas qu’on pût me reprocher d’avoir cherché à séduire une fille honnête; je me retire; vous priant, au cas où il se présenterait un parti sortable pour vous épouser, de songer qu’il y a d’excellents emplois à la disposition de
Votre serviteur **, rue ****, hôtel de ***.
J’ai lu cette lettre en présence de la dame qui me l’a remise, parce qu’elle m’en a priée: je n’y conçois pas grand-chose; si ce n’est qu’apparemment les financiers n’épousent que les filles qu’ils n’estiment pas. Cela n’est guère flatteur!
Mais ce qu’il y a de risible, c’est un vieux, vieux seigneur, car il est décoré, qui m’a parlé à l’église, le jour que j’y ai vu le financier et mon page: (le marquis n’est pas dévot apparemment; il n’y vient jamais!) je me suis un peu prêtée, en paraissant vouloir éviter mon page et mon financier, qui cherchaient à me glisser une lettre. J’ai favorisé le nouveau venu, parce que m’apercevant bien qu’il avait envie de me parler, j’ai été curieuse de savoir ce qu’un homme de cet âge pouvait avoir à dire à une fille du mien: je me suis mise un peu en arrière de Mme Canon et de Mme Parangon, afin de n’être pas vue. Il s’est approché de mon oreille, et m’a parlé un langage comme celui des opérateurs des places publiques; et ce qui m’a surprise, c’est que c’était de l’amour: «Voi siete bella come oun Ange .» J’ai manqué deux fois de lui rire au nez: mais le respect pour le lieu où j’étais m’en a empêchée. J’ai même changé de place, et j’ai été me mettre entre Fanchette et sa sœur; ce qui a fait plaisir à mon page. En sortant, le vieillard m’a glissé un billet, que je n’ai pas fait semblant de sentir:
Billet doux d’un Seigneur Italien.
Ma belle mignonne: voilà doux semaines que je vous souis partout, sans pouvoir vous faire connaître mes sentiments, et la boune voulonté que je me sens pour vous: car je désire de faire votre fortoune, sans qu’il vous en coûte rien dou vôtre, que quelques bontés pour moi. Si je savais come vous êtes, si c’est votre mère ou votre tante qui vous condouit partout avec elle, et qu’elle espèce de femme qu’elle est, je me serais adressé à elle come il convient, c’est-à-dire la bourse d’oune main, et oun contrat de l’altre, pour loui assourer plous encore: mais cette femme ne veut rien entendre. Dans le cas où vous auriez quelqu’oun, engagez-la, je vous prie, à me le faire savoir, ou écrivez-le-moi vous-même; on pourrait s’arranger: car vous valez votre pesant d’or, Mignonne, et il n’est pas oune chose que vous n’oussiez de moi: je souis en attendant votre réponse,
Tout à vous, le S***
Celui-là ne m’a pas tentée, et un pareil mari, fût-il prince, me paraîtrait plutôt un malheur qu’un avantage: mais comme tout le monde n’a pas mon goût, et que le bien vaut toujours son prix, je voudrais avoir ici une ou deux de mes sœurs, les plus jolies, persuadées qu’elles feraient bientôt un bon mariage. Parles-en chez nous, ma chère sœur: de mon côté, je sonderai Mme Parangon, et je t’écrirai ce qui sera décidé.
Tu dois avancer, chère amie: j’ai, à ton sujet, les meilleures espérances; grande et bien faite comme tu l’es, ce ne sera qu’un jeu; car les grandes femmes ont bien moins de peine, dit-on, et de risques à courir que les petites. Je te souhaite un fils, mais si c’est une fille, ton mari n’aura pas à se plaindre; car il aura le double d’une excellente femme.
je joins à cette lettre les souhaits de la nouvelle année, pour nos chers parents et pour toi: présente-leur mes vœux avec mes respects, et mes tendresses à nos frères et sœurs.
J’apprends que M. le conseiller est ici.