Lettre 109. Mme Parangon, à Ursule.
[La bonne dame lui écrit, d’après la précédente, pour tâcher de la toucher: mais il n’était déjà plus temps!].
Ier mai.
Ton long silence avec moi, ma très chère bonne amie, me donne les plus vives inquiétudes, surtout sachant que tu n’es plus avec ma tante Canon, et que tu vis, je crois, avec ton frère. Ma chère fille, c’est un jeune homme, qui doit nécessairement mener une vie très dissipée; je ne sais si tu as bien fait de t’abandonner à sa discrétion; au reste, j’attendrai, pour porter un jugement, que tu veuilles bien m’instruire toi-même: je l’espère de l’amitié qui nous unit, et de la certitude où tu es que je ne veux que ton bonheur. Mon amitié, chère Ursule, est à toute épreuve: veuille le Ciel que tu n’aies pas besoin que je t’en convainque, et que des circonstances fâcheuses ne me mettent jamais dans le cas de t’en montrer toute la force et toute la vérité! je ne connais rien, quand j’aime, qui puisse me détacher de mes amis; ils seraient coupables, au pied de l’échafaud, que malgré ma timidité naturelle, je m’élancerais vers eux, je les reconnaîtrais, je les arroserais de mes larmes; je plaindrais leurs erreurs; je détesterais leurs crimes, mais j’aimerais encore leurs personnes. Je leur dirais: 0 mes chers amis! que le vice a dupés, égarés, perdus! mes chers amis reconnaissez du moins qu’il est votre ennemi, et que la vertu vous eût rendus, sinon heureux, du moins tranquilles; haïssez le vice en ce moment suprême, et revenez à la vertu: que je reçoive vos derniers sentiments, dignes de notre ancienne amitié!… Je les embrasserais; j’essuierais leurs larmes, s’ils en répandaient; et si la source en était tarie par la douleur, ou par la dureté, je porterai dans leur âme un rayon de consolation, ou un mouvement de tendresse, pour les faire couler… Quelles tristes images je te présente là, ma chère URSULE! mais elles me poursuivent depuis quelque temps. J’ai des songes affreux, et sans y croire, je sens que du moins ils marquent l’excès d’agitation où sont mes esprits.
J’espère, ma très chère bonne amie, que toi, ou ton frère, voudrez bien me tirer d’inquiétude: elle peut être dangereuse pour ma santé. Ah! URSULE! il faudrait avoir mon cœur pour connaître tout ce que je souffre de votre indifférence… Adieu, ma chère Fanfan. Ne m’aimes-tu donc plus du tout? Que t’ai-je fait, URSULE? Parle? si j’ai des torts, je mettrai mon bonheur à les réparer.