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Lettre 130. Ursule, à Edmond.

[La malheureuse, au fond du bourbier, paraît s’y complaire; mais elle est désespérée.].

10 mars.

Edmond! félicite-moi! ah! me voilà contente! Tu cherchais Laure, Laure disparue depuis si longtemps, que je croyais m’avoir oubliée, ou trahie! il n’en est rien! je la retrouve, je l’ai retrouvée digne de moi, incapable de me rien reprocher; je l’ai retrouvée telle que je suis!… Oh! la chère amie! Nous voilà unies; nous ne faisons plus qu’un… Moi! me ménager! non! non!… Je provoque les libertins, les sacripants! les soldats! et j’ai un ami, qui me bat! Je suis entièrement comme les filles de ma classe… Et cet ami … c’est le plus vil et le plus cher des hommes: car je ne saurais plus aimer, je ne saurais plus embrasser avec plaisir qu’un infâme, qui dégradé, flétri comme moi, n’a rien à me reprocher!… cet ami , c’est un espion, fouetté, marqué aux deux épaules; c’est une âme basse, basse à l’excès… c’est un laquais de l’Italien , le même qui a été jeté dans la cour… À ce mot, tu frissonnes… Va! si tu ne te complais pas dans mon avilissement, comme je m’y complais, tu n’es pas digne d’être mon frère?… Mon frère! est-ce que j’ai un frère, des parents?… Non, non, je n’en ai plus… Avilis-toi, ne vois que des femmes de ma sorte; soutiens-en une, comme le fait à mon égard le laquais, et bats-la, si tu veux que je te revoie!… Enfin, me voilà au plus bas degré des créatures humaines!… Ce n’est plus Ursule depuis longtemps, ç’a été Fatime chez la G **; Zaïre chez la P **, aujourd’hui, c’est Trémoussée chez la M ***, où je viens d’avoir l’honneur d’être admise, malgré mon âge (car je suis vieille; j’ai vingt-deux ans!) j’ai pris le nom de ma fidèle femme de chambre, que je voudrais revoir! Laure est avec moi; nous nous faisons des défis, et lorsque nous ne trouvons pas à satisfaire nos goûts crapuleux où nous sommes, nous faisons des excursions ailleurs. Nous étions l’autre jour, les complaisantes d’un trucheur estropié, et d’un lâche déserteur des colonies qui vient d’être pris et condamné à être pendu: c’est Lagouache; le vil Lagouache, ton dénonciateur, m’a trouvée, m’a vue dans la fange, en a ri, voulait m’insulter… Je l’ai fait rougir de n’être pas aussi vicieux que moi; il m’a respectée à force d’infamie: ainsi, les Bédouins s’honorent du gibet… Il a été pris dans mes bras: on l’a renvoyé exécuter à l’île d’Aix.

Mon tempérament est devenu une fureur; mon goût pour la crapule une rage; je veux m’anéantir dans l’infamie… Ma main s’appesantit… Pourquoi t’écrire? qu’ai-je à te dire?… Ah!… que j’avais retrouvé Laure et un laquais, pour faire de l’une ma compagne chérie de débauche, et de l’autre mon tyran: je veux être esclave, moi! je veux être par goût ce que l’Italien m’a fait être par force, et me mettre au-dessous du sort. Je veux qu’il enrage de ne m’avoir pas abaissée autant que je m’abaisse; qu’il en crève de dépit… La tête me tourne!… C’est la joie d’avoir retrouvé Laure, et de venir d’être battue par le vil laquais du plus vil des hommes… Infortunée! j’ai perdu les lumières de la raison! mon imagination se dérègle, et force mes facultés; je succombe à l’excès de mes caprices… Ursule! Ursule!… quitte tes vils noms! reprends celui d’Ursule… Mais reprendras-tu ton innocence!… Non! non! c’est l’impossible. Le plastron d’un porteur d’eau, d’un nègre, de la plus vile canaille, des scélérats, qui de ses bras ont passé à la roue, au gibet, à la rame, ne saurait plus recouvrer un seul sentiment d’estime d’elle-même!… Ah! que ne puis-je effacer le passé! Que n’est-ce un songe, grand Dieu! quel plaisir j’aurais au réveil!… Mais c’est la réalité: me voilà… voilà ma chair; la voilà; je la touche, je la sens, je suis éveillée; c’est moi, moi qui écris, et ne dors pas… c’est moi qui viens d’être battue, foulée aux pieds par un laquais souteneur, à qui je n’ai pas assez donné d’argent, pour aller le perdre au billard; il m’a arraché mon bonnet, il l’a écrasé sous ses pieds… Voilà mon sein flétri… Voilà mon orgueilleuse beauté ternie… me voilà pâle, éraillée, couverte de rougeurs, de boutons, n’ayant plus dans mes veines qu’un sang ardent, échauffé, corrompu… Où est le temps de mon innocence!… Maudit sois-tu, chien d’Edmond! je te maudis! maudite soit ta Parangon, et sa passion langoureuse; que l’enfer la confonde! et sa Fanchette, et la Canon, qui ne m’a pas assez surveillée, assez retenue, et mes parents, qui m’ont envoyée à la ville, qui ne m’ont pas gardée chez eux, après mon viol!… Ah! chien de vil marquis! c’est toi! c’est toi!… que je t’étrangle…

le lendemain.

J’ai cessé d’écrire hier, parce que j’avais écrasé ma plume, et répandu mon encre… Malheureuse! il n’y a plus de pardon pour moi, j’ai maudit, et mon père, et ma mère, et mon frère!… La malédiction, je vais la vérifier.

P.-S. – J’apprends que tu aimes, et que tu es aimé de la jolie Zéphire: cela me ranime et me console; c’est une fille de joie; elle ne rougira pas de ta sœur!

Adieu. Je n’écrirai plus.

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