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Lettre 19. Ursule, à Fanchon.

[Elle continue à lui rendre compte de toute sa conduite, qui marque bien de la coquetterie!].

8 mars.

Comme je ne fais guère mes lettres qu’en cachette, ma chère sœur, afin de pouvoir parler plus librement, j’écris par petits intervalles, et il n’est pas dit que tu auras cette lettre à trois jours de la date, comme cela pourrait être, si je la finissais aujourd’hui. Je t’accuse d’abord la réception de la lettre que m’écrivit mon frère; elle est fort courte, et je te la copie:

Lettre d’Edmond.

Je pars pour S**, ma bonne amie, sur une lettre du cher aîné, qui me mande l’heureux accouchement de son épouse, notre sœur aussi tendre, que si elle était du même sang. Je craignais ce moment; on craint toujours pour ce qu’on chérit: et c’est doublement que j’aime Fanchon Berthier, pour elle-même, et à cause de mon frère, qui sentirait beaucoup plus qu’elle tout ce qui pourrait arriver de mal à son aimable moitié. Ainsi, réjouis-toi, avec nous, chère sœurette, de ce qu’elle va bien, et représente-toi la joie qu’on doit avoir eue, chez nous, à la venue de ce nouveau-né, issu de deux personnes si méritantes, si chéries, et si dignes de l’être. Je ne t’en marquerai pas davantage à ce sujet; car je pars: je ne fermerai pas non plus ma lettre, sans dire un mot de notre déesse, et de sa charmante sœur. La première a sur moi des droits inaliénables; ils sont étayés par tout ce qui peut les éterniser: et quant à la seconde, elle m’occupe déjà bien plus qu’on ne croit! Fais-leur ma cour à toutes deux, surtout à l’aînée, qui tient mon sort dans sa main, et celui de ce que j’ai de plus cher, de ma sœur. Adieu, bonne amie. Je pars, et je serai chez nous, auprès de nos chers parents, demain à deux heures et demie: c’est l’heure où tu recevras ma lettre, et sûrement je leur parlerai de toi, et de ce que je te dis ici en finissant.

Il n’y a qu’amitié, tendresse, bonne intelligence dans la famille où tu es entrée, et que tu rends aujourd’hui si heureuse, chère Fanchon; je suis sûre que tous nos frères et sœurs écriraient à ton sujet, comme Edmond vient d’écrire là, s’ils étaient à même de le faire. Je vais à présent te parler de la lettre de notre respectable et digne père à Mme Parangon, au sujet de Mlle Fanchette: je crois que tu l’as vue; mais dans le doute, je te la vais copier, comme celle de mon frère.

Madame,

Cette-ci est pour avoir l’honneur de vous demander une grâce, mais déjà octroyée par votre respectable père, mon digne ami, chez lequel je me suis transporté le jour même de la naissance de l’enfant dont est accouchée ma bru, femme de mon fils aîné, à celle fin de faire représenter Mlle Fanchette, votre aimable sœur, comme marraine dudit enfant, par Christine, l’une de mes filles: j’espère, madame, obtenir de vous le même agrément, ainsi que de Mlle votre sœur, vous suppliant de me faire un mot de votre main, qui m’autorise à me glorifier de votre consentement à toutes deux. Je ne traite point d’autre matière dans cette lettre, madame, cette-ci étant assez importante pour la remplir seule: si ce n’est pourtant, que je vous fais mes très humbles remerciements de vos incomparables bontés pour ma fille que vous avez par devers vous: agréez-les, je vous en supplie, madame, à raison de leur parfaite humilité, et du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, madame,

Votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur.

E. R**.

Mme Parangon, dès qu’elle eut achevé de lire cette lettre, vint à nous, la joie dans les yeux, et demanda l’agrément de sa jeune sœur, qui le donna de la manière la plus obligeante, demandant même s’il fallait partir: sa sœur l’embrassa en souriant, et me dit de rendre témoignage des dispositions de sa chère Fanchette; et elles se félicitèrent toutes deux de ce que tu portais le même nom que ta petite commère: ce qui fait qu’elles espèrent que vous aurez fait appeler l’enfant Edmond-François . Mme Parangon mit aussitôt la main à la plume, pour écrire ce que voici: (mais il faut te prévenir que la lettre que vous avez reçue n’est pas la moitié de ce qu’elle avait écrit: c’est pourquoi je vais te la remettre ici en entier, car elle m’en a laissé le brouillon):

Réponse de Mme Parangon, au Père R**.

C’est avec un vrai plaisir, monsieur, que ma sœur et moi nous acceptons l’honneur que vous nous avez fait à toutes deux, dans une cérémonie aussi auguste que celle du baptême de l’aîné de votre premier fils: vous avez bien voulu vous relâcher de votre droit, en faveur du second, qui pourrait être loin de vous, lorsque son tour serait venu, et vous avez pensé que personne ne pouvait être plus zélé pour vous, après lui, que ma sœur et moi. Vous nous avez rendu justice, monsieur, et vous en verriez la preuve, si nous avions le plaisir d’être auprès de vous. «En effet, qui peut s’intéresser davantage à vous, à Edmond, à toute votre chère famille, qu’une femme qui se propose d’y placer sa sœur, et de devenir elle-même la sœur d’un de vos enfants, et par lui de toutes les autres? Oui, mon cher monsieur R**, vous que j’honore et comme un digne vieillard, et comme un excellent père, et comme l’ami du mien, le plus doux de mes vœux, celui que j’avais déjà exprimé à Edmond avant son mariage avec ma cousine, c’est de lui donner dans ma sœur une autre moi-même, de nous unir par là, et de serrer des nœuds qui durent autant que notre vie. Rien ne pourra les briser, et l’intérêt, ce boutefeu des sociétés humaines, n’aura aucun pouvoir sur la nôtre; la fortune de ma sœur sera la mienne, et tout ce que je possède, je n’aurai de plaisir à le conserver que pour elle. C’est un engagement que je suis bien aise de prendre avec vous, par cette lettre, dans une occasion, où de vous-même, vous avez cherché à établir quelques rapports entre ma sœur et votre fils Edmond. Je suis charmée d’avoir occasion de vous avouer que ces rapports sont réels, qu’ils existaient déjà, et qu’ils sont mon ouvrage. Le temps où ils seront absolument réalisés, n’arrivera jamais assez tôt, au gré de mes désirs, soyez-en sûr, mon cher monsieur.» Fanchette et moi nous sommes dans les mêmes sentiments; j’ai souvent occasion de m’en assurer. Votre aimable fille, ma chère et constante amie Ursule, en est le témoin irréprochable. C’est avec ces sentiments que je suis, et serai toute ma vie, monsieur,

Votre, etc.

Voilà tout ce que renfermait la lettre écrite dans le premier mouvement de joie: mais ensuite, Mme Parangon, sans changer d’avis, l’a trouvée trop expressive; c’est ce qu’elle m’a dit à moi-même. Tu vois, chère sœur, que tous nos projets de bonheur ne sont pas des chimères: car Mlle Fanchette est un excellent parti, Mme Parangon n’ayant pas d’enfants, outre qu’elle est riche de sa seule portion.

10 mars.

Je te sers à ton goût, je le sais, ma chère sœur, par la manière dont je t’ai écrit avant-hier, parlant d’abord des choses que tu as plus envie de savoir, et passant après aux compliments, qui t’intéressent moins. Reçois pourtant ceux que je te fais, ils le méritent par le cœur dont ils partent, et je suis d’une joie inconcevable, depuis que ta chère lettre ne me laisse aucun doute sur le bonheur de ton mari et sur ta santé. Tout ce qui m’approche et tout ce qui a rapport à moi s’en est aperçu; j’ai été plus résignée avec Mme Canon, plus tendre avec ma protectrice, plus gaie, plus folle avec Mlle Fanchette, et plus humaine envers mes adorateurs: car j’en ai toujours, et ils ne font qu’accroître, mais ce qu’il y a d’agréable, c’est qu’on s’adresse aussi à mes deux compagnes; car Fanchette grandit beaucoup, et se forme très vite; je vais t’amuser de tout cela: avec toi, je suis sincère, et sans aucune réserve; au lieu que je ne crois pas qu’il faille tout dire à Edmond; c’est un homme quoique mon frère.

Mes trois ou quatre amoureux me donnent toujours des lettres, et celui qui devait mourir de désespoir se porte à merveille: c’est que dans ma joie, il m’est arrivé un jour de lui sourire, ce qui lui a fait tant de plaisir, que depuis ce moment-là, il a un teint charmant. Je t’avouerai qu’auparavant il était fort pâle, et il est à croire qu’il était fort tourmenté; cela peut arriver, et je n’y vois rien d’extraordinaire. Mais ce qui doit le contrarier, c’est qu’avec Mme Parangon, qui est moins économe que sa tante, nous ne sortons plus qu’en voiture. Je crois pourtant en deviner la raison: c’est qu’on la courtise aussi, elle m’a bien caché qu’elle eut des adorateurs, et si je le sais, je t’en parlerai tout à l’heure: elle prend le bon moyen pour ne les pas entendre, ni recevoir leurs billets. Mon pauvre page, que nos sorties en carrosse contrarient, met son esprit à la torture pour me parler, ou me faire parvenir ses lettres, et il y réussit, parce que j’y aide un peu; d’ailleurs, nous sortons et rentrons toujours aux mêmes heures: il se trouve à la porte, il me dit un mot, ou me glisse son poulet, sans pourtant que je le prenne. Je n’entends plus parler de mon vieillard. Mon prometteur de richesses (c’est le financier, qui m’avait écrit qu’il se retirait), ne se retire pas; il est parvenu hier jusqu’à Mme Canon, et dans un discours fort long et fort amphigourique (à ce qu’elle a dit à Mme Parangon), il lui a fait des propositions de mariage pour moi assez embrouillées. S’il ne s’est pas clairement expliqué, que demandait-il? Au reste, je n’en suis pas fâchée, et je m’en tiens à celui que tu sais. Quant à mon premier adorateur qui est cet homme de haute condition, celui-là ne parle pas de mariage, mais d’amour, de la plus drôle de manière du monde. Il se nomme le marquis de***; il n’est ni beau ni laid de figure, malgré qu’il soit un peu marqué au b à une épaule; mais on déguise cette tache, qui paraît néanmoins, en dépit des vestes matelassées. Il continue à me parler de ses moyens plus efficaces : qu’il les emploie donc! Ce qu’il y a de singulier, c’est que personne ne se doute ici de tout cela: quant à moi, je m’en amuse, parce qu’en vérité, il n’y a pas l’ombre du danger pour mon cœur. Cependant, comme je ne saurais plus espérer d’avoir ici une de mes sœurs, je vais cesser de prendre part à tout cet enfantillage.

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