Lettre 83. La même, à Laure.
[Elle feint de lui demander conseil.].
Même jour.
Ma chère cousine j’ai si peu de rancune, surtout avec les personnes dont je sais que je suis aimée, autant que je les aime, que tu vas être mon conseil, en une circonstance bien scabreuse! Il s’agit de mon mariage, avec ce M. Lagouache que tu n’aimes pas, et que j’aime beaucoup. Je pourrais profiter du consentement que j’ai ici, et c’est ce que je me propose: on fera casser le mariage après si l’on veut; mais alors je n’en aurai pas moins le droit de vivre avec lui, et de le regarder comme mon véritable époux: tu sais que dans ces occasions, nous sommes aussi autorisées à marquer de l’attachement pour l’homme auquel nous nous sommes déjà données, qu’il nous est indécent de le faire dans une autre position. Parle-moi vrai, et sans aucune prévention: que me conseilles-tu? Pèse, je t’en prie, les choses avec impartialité: j’aime, je suis aimée, les conditions sont égales. Je serai la bienfaitrice de mon mari. Or tu sais que dans ces occasions, l’autorité nous est entièrement dévolue; et laisse-moi faire, je suis femme, et je ne céderai pas mes droits. Il y a trois mille ans, de compte fait, que les femmes plus riches que leurs maris, les font trembler; je le lisais l’autre jour dans les Comédies de Plaute, qu’a si maussadement défigurées ce faquin de Gueudeville. Or, la comédie est la peinture des mœurs. Tu vois que je serai heureuse, beaucoup plus que si j’eusse épousé le marquis, le conseiller?… J’attends bien sérieusement ton avis pour me décider.
Ta tendre amie cousine, URSULE R**.