[On voit ici, pourquoi Ursule a laissé emporter son fils à la mère du marquis de***.].
10 septembre.
Sans que tu paraisses, tout va le mieux du monde. On vient de persuader à Ursule que son fils est mort. Ç’a été un coup de partie, que la comtesse l’ait pris il y a trois semaines, et que tu aies fait en sorte qu’Ursule ne s’y refusât pas, sous prétexte que cet enfant serait plus aimé des parents de son père, s’ils l’élevaient eux-mêmes! Il faut avouer que la conduite d’Ursule me donne du mépris pour mon sexe. Cette fille si raisonnable, si ambitieuse, qui voulait le marquis, pour avoir son rang; qui aimait son fils; qui croyait que son mariage serait utile à son frère; qui sait de quelle joie et de quelle gloire elle aurait comblé son orgueilleuse famille (car les R** sont orgueilleux au-delà de l’imagination); la voilà qui sacrifie tout, parce qu’on a fait trouver sous ses yeux un joli polisson! Car elle n’a laissé emporter son fils qu’à cause de Lagouache qu’elle aime. La comtesse l’a fait disparaître en un clin d’œil, tandis qu’elle amusait Ursule, qui ne cédait cependant qu’à regret: «Allez, allez donc!» a dit la comtesse par deux fois à sa femme de chambre. Je te passerai désormais tout ce que tu diras des femmes; elles le méritent; en voilà une, des mieux en sentiments, qui sacrifie son père, sa mère, son fils, son frère, sa fortune, son honneur, un rang au-dessus de ce qu’elle pouvait jamais prétendre, à qui? à un inconnu, sans mérite, vil, bas, qui n’a pour lui qu’une jolie et plate figure; car il a les yeux et le menton bêtes… Je me repens de t’avoir secondé; car je doute que sans moi, tu eusses réussi, toute subjuguée, qu’est Ursule: l’ambition parle quelquefois bien haut!… Il est vrai que le dernier coup frappé (je veux dire cette mort du fils) lui enlève absolument toute espérance de marquisat, et que nous la tenons; mais il fallait ce coup-là, et tu m’en dois l’invention: c’est moi qui ai tout fait. Nous verrons ta reconnaissance.
P.-S. – Un autre avantage; c’est que la belle dame part ces jours-ci: ne serait-ce pas, le moment d’écrire à Ursule cette lettre dont tu m’as parlé, sur la pudeur? Les parties de spectacles que nous faisons faire, Edmond et moi, ont déjà préparé tout ce que tu diras là-dessus, particulièrement les comédies du grandissime Molière, qui sont bien les plus impudentes qu’on puisse voir, après celle de Nicolet; l’École des Maris, George Dandin, École des Femmes montrent à notre sexe l’effronterie récompensée. Je ne dis rien des Folies amoureuses, et de ce tas de pièces des Comédiens-Auteurs: celles de Plaute (que je lis depuis huit jours), tant, accusées d’obscénité, sont bien moins indécentes!