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Lettre 128. Ursule, à Laure.

[L’infortunée continue à décrire des horreurs qui font frémir.].

20 octobre.

Barbarie! oh! si je t’avais prévue!… Quoi! il est des hommes qui s’abreuvent de sang et de larmes! Mais c’est un récit, et non des plaintes, qu’il faut tracer sur cette seconde feuille, sac à poudre jeté ce matin par une fenêtre.

Après avoir subi l’horrible humiliation qui termine l’autre feuille, je fus parée comme dans les jours de ma gloire, mais en coureuse des rues, avec des mouches ridicules sur mes contusions, et en cet état, livrée à la dérision des valets. L’Italien, accosté de son nègre, commandait cette canaille, qui d’abord, à la vue de quelques restes de beauté, demeura interdite: «Point de pitié!» s’écria le vieux monstre. Aussitôt les uns me dirent des infamies, ou m’en firent; les autres tiraient les loques de mes falbalas déchirés; ceux-là puisèrent de l’eau sale dans la mare, et m’inondèrent d’ordures; ceux-ci poussaient la barbarie jusqu’à me frapper. On me lava ensuite, en me jetant dans un bassin; puis je fus livrée au nègre, qui m’enferma avec lui. J’étais au désespoir: mais enfin, la soif de la vengeance a succédé à l’abattement. J’ai pris la résolution de poignarder l’abominable nègre, et d’attendre la mort de qui voudrait me la donner. J’ai donc dissimulé; j’ai feint de tomber dans une sorte de stupidité. Avec quelle barbarie, dans cet état qu’ils croyaient réel, les infâmes valets m’ont tourmentée, outragée, jusqu’à me pousser dans la mare de la basse-cour, d’où je sortais couverte de fange et d’immondices! Ô que la valetaille est une lâche espèce!… Il est vrai que pour vendre aux autres, son temps, son corps, sa volonté, il faut n’avoir plus d’âme!… On m’a enfin négligée dans cet état: la crasse dont j’étais couverte me rendait dégoûtante, et si quelque marmiton, sur le récit de ce que j’avais été, voulait encore m’outrager, je savais l’écarter par une apparence de fureur. Je commençais à être si abandonnée de tout le monde, qu’à peine me donnait-on de la nourriture: on me faisait coucher dans une loge, destinée au gros chien de garde, et où je ne pouvais me tenir qu’assise. Cependant je guettais le nègre, et surtout l’Italien. Mais ce dernier n’ayant plus de vengeance à prendre d’une imbécile, abandonne ma vie à la merci de ses valets; il ne paraît plus.

J’oubliais un trait d’humiliation que j’essuyai; c’est qu’un jour, il me fit servir de jouet à toute sa valetaille, devant deux filles du monde, qu’il avait fait venir à cette maison de campagne; que ces deux malheureuses me firent des infamies détestables, et que ma plume refuse d’écrire… Je les gourmai de mon mieux: mais elles me le rendirent jusqu’à me laisser pour morte. Ces sortes de femmes sont des bêtes féroces, plus cruelles que le porteur d’eau, que le nègre lui-même.

C’est dans l’état d’abandon où je suis à présent, enfermée dans une cour intérieure entourée de hautes murailles, que je vous écris. Je vais tâcher de guetter par un œil-de-bœuf qui est dans le mur sur la campagne à plus de vingt pieds de haut, quelque laitière, à laquelle je ferai ramasser ma lettre. J’en entends une tous les jours; mais je ne saurais lui parler; je retombe toujours, quand je veux mettre mon corps dans l’embrasure: peut-être pourrai-je lui jeter ma lettre; j’espère, ou que cette femme vous la portera et vous dira où je suis, ou tout au moins qu’elle la fera lire à quelqu’un, et que la police sera instruite. Le post-script. vous apprendra, si je suis vengée.

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