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Lettre 119. La même, à la même.

[L’infortunée URSULE raconte un mauvais tour qu’elle paiera cher!].

(Ceci est la suite de la CXXXVI, lettre du PAYSAN, dont elle parle en finissant le post-script. de la précédente.).

Le soir.

Voici une autre lettre, que je joins à celle qui est déjà cachetée.

Je viens de faire maison nette: j’ai banni d’un seul coup, et le marquis lui-même, qui s’est trouvé trop instruit, et qui l’a pris sur le ton du persiflage; et Négret, qui me criait du bas de l’escalier: «Quand voulez-vous donc m’accorder quelque chose?» et mon ancien page qui voulait paraître mon favori; et le financier que ses dons maussades rendaient exigeant; enfin l’italien, qui prétendait que je lui avais promis la dernière fois de le recevoir au détroit de l’île Bank (consulte la carte des terres australes, tu l’y trouveras). Mais celui-ci mérite quelques détails, et son aventure serait à mourir de rire, sans le dénouement, qui est du plus tragique.

On me fait beaucoup appréhender sa vengeance! Je suis femme, que me fera-t-il? Un coup de poignard? Mais je tiens à quelqu’un, et je ne suis pas Zaïde . D’ailleurs, me voilà sur le catalogue de la liberté; si ce catalogue a le pouvoir de nous soustraire à l’autorité de nos pères, je ne crois pas qu’il soit moins efficace contre les amants: il doit nous donner le droit de trompandi, dupandi, pillandi, ruinandi, substituendi et mocquandi per universam terram , comme aux médecins de Molière. Je n’ai plus que l’Américain que je reçois ici, et un nouveau soupirant qui s’est annoncé ce matin. Il vient fort à propos! car il me propose de quitter cette maison, où je me déplais à présent, pour aller demeurer dans une autre très jolie à Saint-Mandé, quartier que je ne connais pas et absolument éloigné de toutes mes habitudes. Je verrai cela; nous sommes en pourparlers: l’homme est assez agréable; je lui trouve de l’air de Lagouache: la noblesse n’y domine pas comme tu vois. Je vais tout vendre, sans en parler à personne: cela me sera très facile. Edmond, depuis une espièglerie que je lui ai faite, est d’une soumission… Oh! s’il savait que la Parangon est ici!… Mais le tour que j’ai joué à Fanchette, la dernière fois qu’elle est venue, en la faisant asseoir sur mon sofa, l’a bannie de chez moi. Car il faut ajouter, qu’étant sortie exprès, au signal que me fit Marie, qu’il me venait quelqu’un, je laissai la belle enfant seule; c’était l’italien; il n’y voit pas comme une jeunesse: de sorte qu’il alla droit à Fanchette, que le sofa faisait retomber à chaque fois qu’elle voulait se lever; il se mit à ses genoux, et peut-être même alla-t-il jusqu’à… Je n’en sais rien mais elle s’écria, et j’envoyai à son secours Trémoussée, qui la ramena en riant comme une folle. Fanchette sortit sans me parler, et je ne l’ai pas revue depuis. Pour achever ce qui regarde l’italien, je ne pouvais m’en débarrasser, et la complaisance d’une ou deux fois, ne faisait que le rendre plus importun. Peut-être y aurais-je consenti, sans les horribles angoisses par où il fallait passer: car du moins il y avait un avantage, et j’étais délivrée d’un autre supplice… Je pris conseil de Trémoussée; suivant ce vers de Boileau:

Molière quelquefois consultait sa servante.

«Parbleu, madame, vous êtes bien embarrassée! laissez-moi faire.» Je crus qu’elle voulait prendre ma place, et j’admirais son héroïsme; mais vu sa taille, je doutais du succès; je lui témoignai mes craintes? «Moi, madame! oh que non! je ne suis pas ainsi mon bourreau. Il est noir, il faut l’assortir…» Elle alla chercher la sœur de mon jeune nègre: cette fille est de ma taille, et d’environ vingt ans: Trémoussée l’instruisit de ce qu’elle avait à faire; ensuite elle me l’amena, pour que je lui donnasse mes lazzis . La comédie commença de ce moment. Zaïde me copia de son mieux. Lorsque nous l’eûmes bien instruite, nous attendîmes le soir avec impatience. Il arriva, et avec lui l’italien. Je le reçus mieux que jamais: il était enchanté. On se mit à table, et s’étant approché de mon oreille, il me demanda si c’était l’heureux jour? «Il faut bien vous céder! car vous ne diminuez rien de vos prétentions, vous autres hommes!» À ce mot, il donna un ordre à son valet de chambre, et avant de sortir de table, je vis entrer un magnifique présent, qu’on porta sur ma toilette. Il était fort impatient de me conduire dans ma chambre: je m’y laissai mener, moitié gré, moitié force. Trémoussée me mit au lit, et suivant mes ordres, emporta les flambeaux. Le vieux mulâtre vint auprès de moi: j’esquivai comme je pus son haleine empestée; je lui dis de se contenter de mes promesses, et de me permettre la plainte, sans exiger que je lui parlasse. Il consentit à tout, et me pria même de me plaindre le plus que je pourrais. La Négresse, cachée dans mon alcôve, était prête, et surtout fort zélée pour m’obliger. Je me glissai adroitement, et fus me mettre dans son lit, tandis qu’elle prenait ma place. Elle y fut à peine, que le mulâtre la joignit… Il vanta beaucoup mes prétendus appas, et il jurait que quelque belle que je fusse, il ne leur avait pas encore trouvé tant de perfection. J’avais toutes les peines du monde à m’empêcher de rire. Enfin… tout se passa fort à son gré; mais avec des peines infinies.

La faute que je commis, fut de ne pas faire sortir Zaïde, dès qu’il fût endormi. Je m’étais assoupie moi-même, et nous avions oublié ce point dans les instructions que nous avions données à cette pauvre fille. Je m’éveillai cependant la première: je quittai bien vite le lit, et j’allai pincer Zaïde de toute ma force. Mais en vain; elle dormait comme si elle eût été morte: j’allai chercher Trémoussée, pour l’emporter ainsi toute endormie. Elle entra fort heureusement: il dormait encore; elle prit la jeune Négresse, et la tira du lit: mais cette petite malheureuse retint machinalement les draps, de sorte qu’elle entraîna le vieux singe avec elle, et qu’il tomba; ainsi que Trémoussée, dont les pieds s’embarrassèrent dans la couverture. Parfaitement éveillé par sa chute l’Italien vit Zaïde et Trémoussée. Ma femme de chambre ne trouva pas qu’il y eût grand mal à cela. Elle revint auprès de moi. Il n’y avait pas trois minutes qu’elle était rentrée, que nous entendîmes un cri aigu. Nous accourûmes: nous vîmes le vieux monstre qui sortait, et Zaïde poignardée, qui perdait son sang. Trémoussée s’empressa de la secourir; moi, je donnais mes ordres pour faire chasser de chez moi l’infâme Italien mais ses gens l’entouraient; il regagna lentement sa voiture. Je revins auprès de Zaïde ; elle était expirante. Elle avait dit à Trémoussée que le vieillard, après s’être assuré que c’était elle qu’il avait eue…, l’avait poignardée, en lui disant: «Voilà pour toi: mais ta maîtresse aura son tour.».

P.-S. – Si Négret revient, car c’est un effronté sapajou! il faut que je m’amuse à ses dépens, d’une manière qui marque tout le mépris que je fais de lui.

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