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Lettre 47. Gaudet, à Edmond.

[Idées vraies sur le duel.].

3 février.

Je commence ex abrupto ; je vais parler comme je t’aime.

Le duel, Edmond, est une action basse, un acte dégradant qui ravale l’être raisonnable à la condition des brutes. Ose l’analyser; qu’est-il? un mouvement félon, qui porte l’homme à chercher à ravir la vie de l’homme dont il se prétend offensé, en exposant la sienne propre. Les peuples modernes mettent de la noblesse dans cette action; mais il y a là un renversement absolu d’idées; car c’est la plus atroce de toutes: j’y vois l’assassinat, et le suicide. L’assassinat s’y trouve: car celui qui provoque, ou accepte le duel, espère tuer, souvent il s’est préparé pour être plus sûr de son fait. Le suicide y est également, en ce qu’il faudrait être fou, pour ne pas compter sur la possibilité d’être tué: le duelliste fait donc alors le sacrifice volontaire de sa vie à la passion qui le domine. Or si le suicide et l’assassinat sont deux actes illégitimes, le gentilhomme français, qui met son honneur à Venger ses injures particulières par ce moyen, ne peut être un homme d’honneur, qu’autant qu’une loi du prince et de la religion aura autorisé le suicide et l’assassinat; jusqu’au moment où cette loi sera portée, le duelliste est le plus coupable et le plus vil des hommes.

À l’appui de cette assertion, vient la connaissance que j’ai eu occasion de prendre du caractère des plus déterminés duellistes.- Je les ai trouvés des lâches à leurs derniers moments; je les ai trouvés des lâches après la victoire, lorsqu’il fallait se dérober aux poursuites; je les ai trouvés des lâches dans les affaires mêmes d’honneur, comme on les appelle si improprement; je me suis aperçu que l’excès de crainte de la mort les portait à se susciter quelques affaires, auxquelles ils s’étaient préparés, pour inspirer une haute idée de leur courage, et pouvoir être lâches tranquillement le reste de leurs jours; je les ai trouvés aussi mauvais officiers et mauvais soldats en campagne, qu’ils étaient bravaches en garnison, et loin du danger. Le plus faquin des duellistes que j’aie vus, était un certain P…, qui sûr que ceux qui l’accompagnaient avaient ordre de préserver sa vie, et qu’il en serait quitte pour quelques gouttes de sang, poussait son adversaire par des injures, et la plus sanglante ironie. Il se battit; il fut blessé: effrayé, comme une femmelette, à la vue de son sang, il se hâta de remonter dans la voiture qui l’attendait, et donna les soins les plus inquiets à une blessure qui n’avait qu’effleuré la peau. Une autre fois, je suivais sur le quai du Louvre , deux jeunes officiers en semestre, qui, accompagnés de trois de leurs camarades, allaient se battre dans les Champs-Élysées . Celui qui avait provoqué l’autre, était pâle, tremblant, et tous cinq faisaient tant de bruit, que tout le monde, depuis le pont Henri jusqu’aux Tuileries , fut instruit de leur futur combat, et de ce qui l’avait occasionné. Parmi dix mille âmes qui furent mises dans la confidence, il s’en trouva une, heureusement! qui empêcha le combat, à la grande satisfaction des combattants.

Tous les duellistes sont en général de mauvais sujets; c’est une vérité certaine: pour les avilir, je n’ai besoin ni des lois du prince, ni de celle de la religion; je ne veux employer que le sens commun. L’origine des duels, tant cherchée, n’est autre que les combats en champ clos, ordonnés par des militaires ignorants, trop peu versés dans l’exercice de leur raison, pour connaître le bon droit: ces combats, la honte de la raison humaine, qu’une demi-civilisation a fait supprimer il y a longtemps, avaient du moins un appareil imposant, ils étaient ordonnés, ils avaient des témoins, des règles; au lieu que le duel, leur fils, n’est qu’une vraie boutade, une vraie polissonnerie, ainsi que sa cause. Car la plus grave est un soufflet; ensuite un démenti. Là-dessus on met l’épée à la main, parce qu’il est impossible de vivre avec un soufflet reçu, ou un démenti donné. Pour laver cette injure de souffleté, ou de menteur, il faut devenir meurtrier, assassin, suicidé… Un païen (c’était Cratès le Thébain), reçut un jour un soufflet d’un autre Grec nommé Nicodrome ; Cratès fit écrire sur sa joue enflée, Nicodromus fecit : qu’en est-il résulté dans le temps et de nos jours? Nicodrome seul est déshonoré: jugement qui est d’accord avec la raison. On vous a donné un démenti. Là-dessus vous mettez l’épée à la main. Qu’est-ce que cela peut faire à la vérité, insensé que vous êtes! Brute insigne, que prouverez-vous par là? Rien, sinon que vous êtes une bête féroce. Le duel, pour l’officier et le soldat, est un crime égal à la désertion, s’il ne le surpasse: vous vous êtes engagés à servir l’État; et vous tuez ses défenseurs! Louis XIV a fait un acte de suprême justice en défendant le duel: eh! plût à Dieu! pour l’honneur de la raison, que cette loi fût sévèrement exécutée!…

Quant à vous, Edmond, plus fou que tous les duellistes, si vous le deveniez, vous ôteriez à votre sœur, sous prétexte de la venger, le seul homme dont elle puisse attendre une véritable réparation.

Adieu.

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