Lettre 89. Le même, à Lagouache.
[Gaudet se sert aussi du fat qu’il méprise.].
Même jour.
Puisque vous avez le bonheur d’être aimé d’Ursule, monsieur, c’est la servir sans doute que d’entrer dans vos intérêts. Vous savez que j’y suis depuis longtemps: mais en cette occasion surtout, je dois vous en donner des preuves. Il s’agit de rendre heureuse la sœur de mon ami. Pour cela, il faut que vous la connaissiez parfaitement. Mlle Ursule est une fille haute, capricieuse, inconstante, et plus inconséquente encore. Il faut la mater pour son propre avantage, autant que pour le vôtre, et lui montrer ce que vous êtes, dès avant le mariage: car si vous attendiez après, et qu’elle se crût trompée, elle ne manquerait pas de moyens, pour secouer le joug, et de protections pour vous faire punir; outre que moi-même je prendrais alors son parti contre vous. Songez donc à vous conformer à ce que je vous prescris. Si vous l’avez réellement subjuguée, elle ne vous en sera que plus acquise; si vous n’avez fait sur elle qu’une impression légère, vous éviterez le malheur d’être un jour renfermé, dans le cas où vous viendriez à lui déplaire. L’intérêt que je prends à vous, m’engage à vous présenter les choses sous leur vrai point de vue. Je vous conseillerais de lui faire faire quelque démarche décisive, comme de quitter la maison de Mme Canon, pour aller avec vous: surtout disparaissez avec elle, pour qu’il n’y ait pas de doute; ces démarches inconsidérées de sa part seront un jour des armes contre elle entre vos mains. Marquez-moi, et sur-le-champ, à quel point vous en êtes avec elle. Il ne serait pas mal non plus que vous écrivissiez une lettre adressée à elle, mais qui tombât en d’autres mains, comme dans celles de Mlle Laure, par laquelle vous paraîtriez vous faire presser au sujet de l’enlèvement, ou de la fuite, comme vous voudrez. J’espère que vous vous conformerez en tout aux avis de.
Votre affectionné.
P.-S. – Renvoyez-moi ma lettre. Le conseil que je vous donne est de la plus grande conséquence: soit de ma part, soit de celle d’Ursule. Vous connaissez ma prudence, et mon pouvoir.