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Lettre 144. Ursule, à Zéphire.

[L’infortunée fait la peinture de son horrible état.].

11 septembre.

Petite chère amie! toi, dont l’exemple m’a parlé plus efficacement que tous les philosophes, je n’implore pas ta pitié dans le triste état où je suis réduite; non, je ne l’implore pas! Un médecin, un Dieu me promet la vie… mais c’est tout… Qu’est-ce que la vie, hélas! quand on n’a qu’elle!… Je suis dévorée d’ulcères; mon cadavre infect me fait horreur à moi-même; je me dégoûte de ce que j’ai touché: des os découverts, et non des doigts, tiennent ma plume, et ma main est appuyée sur un papier brouillard, afin que tu puisses toucher et lire ma lettre. Ma langue gonflée sort de ma bouche ulcérée; mon sein flétri est disparu: deux plaies remplacent ma gorge… La main de Dieu s’est appesantie sur moi… La main de Dieu! C’est la première fois depuis quatre ans que je prononce ce nom sacré… Le reste de mon corps fait horreur, et je souffre horriblement, quelque position qu’on me donne. J’envie le sort funeste de la malheureuse Filippa… Et tu veux me venir voir! mon frère me l’a dit. Tout m’abandonne, jusqu’à Edmond, et tu veux me venir voir! Ne viens pas, mon ange, je te ferais peur… Mais si, viens! viens, Zéphire; viens, ma fille, viens te pénétrer d’horreur pour le vice et pour les hommes qui l’ont créé! viens frémir! viens voir au plus bas degré de la douleur et de la pourriture un corps vivant, rongé, qui n’est plus que la moitié de lui-même. Viens, charmante enfant! viens m’entendre gémir, pousser les cris lamentables que m’arrachent mes douleurs… Je les suspens en t’écrivant… Viens apprécier ton attachement pour Edmond lui-même… Tu veux me voir! viens, viens donc… Ah! Dieu! je grince des dents… ce qui m’en reste… tant je souffre… Je cesse, je ne saurais me tenir… Zéphire! ma chère… viens me voir… expirer.

1 heure après.

Je reprends la plume. Laure vient de me lire la lettre de Gaudet. Quoi! le traître nous a trompées! Il est chrétien dans le cœur, et il nous a empêché de l’être!… L’enfer est donc ouvert sous mes pas… Je le vois! rien ne me rassure plus! je suis perdue, à jamais perdue! Ah! ma Zéphire! viens me voir; viens m’encourager, et me relire cette lettre… fatale pour moi, mais qui peut être salutaire, consolante pour Zéphire!

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