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Quoique je sois un inconnu pour vous, je viens d’obtenir de Mme Parangon la permission de vous écrire deux mots: cette respectable dame, à qui vous êtes si chère, connaît mes sentiments, et elle s’est chargée d’être mon interprète auprès de vous: si donc j’écris, c’est pour vous rendre mon hommage en personne, et vous exprimer d’une manière exempte de tout soupçon d’adulation, l’estime et le respect que vous m’avez inspirés. L’une et l’autre sont l’effet d’une impression durable, et telle que vous devez la faire sur tous ceux qui ont le bonheur de vous approcher, puisque l’absence n’a contribué qu’à la creuser davantage. C’est à l’honneur de vous obtenir pour compagne de mon sort que j’aspire.

Je vous avouerai, mademoiselle, qu’avant de m’abandonner sans réserve à mes sentiments, je me suis informé de votre famille, et que je n’y ai trouvé que des choses honorables, sous tous les points de vue possibles, soit par les ancêtres, soit par les mœurs et la bonté de vos auteurs les plus proches, comme M. votre père et Mme votre mère: c’est d’après ces informations, que j’ai suivi, avec un plaisir au-dessus des termes que je pourrais employer, le penchant que vous m’inspiriez, et que je me propose de m’honorer de votre parenté, au moins autant que de la mienne. Voilà, je crois, mademoiselle, ce qu’un honnête homme, tel que je fais profession de l’être, doit écrire à une jeune personne qu’il recherche. Aussi ne m’en permettrai-je pas davantage; me contentant d’ajouter, que je suis et serai toute ma vie, avec un dévouement parfait, mademoiselle,

Votre très humble, très obéissant serviteur, et tendre adorateur,

H**, conseiller.

Il me semble, ma chère sœur, que cette lettre est très bien, et qu’on ne peut écrire plus honnêtement: je l’en estime fort, et si mon bonheur veut que j’aie un aussi honnête mari, ma joie la plus vive viendra de celle qu’en ressentiront nos chers père et mère, de celle que vous en aurez tous, ma chère, surtout toi, avec qui mon inclination m’a toujours unie. Il me semble que notre digne père serait bien content, lorsqu’il nous verrait à S**, honorés par tous ces gens de justice de V*** et des environs, qui nous regardent du haut de leur grandeur, et qui se trouveraient alors bien au-dessous de nous! je t’avouerai, ma bonne amie, que cela me tente plus que le mariage, quoique le conseiller soit bel homme à mes yeux, et je crois aux yeux de tous ceux qui le voient. À présent que je t’ai dit tous mes petits secrets les plus importants, je puis bien t’en dire d’autres, qui ne m’intéressent pas autant, à beaucoup près.

Toutes les fois que je sors, pour peu que je reste en arrière, on me glisse des billets, surtout de la part d’un certain marquis, ou se disant tel, qui m’a déjà parlé. Je m’embarrasse assez peu de pareils messages; et cependant j’en suis flattée, parce que cela me rassure au sujet de M. le conseiller; je me dis, que n’étant pas le seul, il faut qu’il y ait quelque raison pour qu’on me trouve aimable. Sans prendre de vanité, ce qui serait bien sot à moi! je trouve du plaisir à tous les compliments que je reçois, de bouche, ou par écrit. Je sens pourtant qu’il ne faut pas avoir l’air de lire les billets; et voici comme je m’y suis prise. J’ai gardé le premier qu’on m’a glissé, comme si je ne m’en étais pas aperçue, et j’ai eu bien soin de le mettre dans ma poche. Une autre fois quand nous sommes sorties, j’ai été attentive si on m’en donnerait un nouveau: ça n’a pas manqué; et moi je vous ai tiré le premier billet, que je tenais exprès entre mes doigts, et je vous l’ai déchiré en mille pièces: par ce moyen, je satisfais ma curiosité, en lisant toutes les sornettes qu’on m’écrit, sans porter aucune atteinte à ma réputation. Je vais te copier quelques-uns de ces poulets, chère petite sœur, pour te donner une idée de ce qui se passe ici, et de la manière dont on y déclare ses sentiments aux filles sans les connaître; si j’osais m’informer, je serais plus instruite: mais il me semble qu’on en agit avec toutes les filles comme avec moi. Le premier qui m’ait écrit, est celui qui m’a parlé: c’est quelqu’un d’importance, et son air de distinction me le faisait respecter, mais je ris à présent de mon respect; voici de son style:

Premier billet doux.

Je ne sais, ma belle demoiselle, avec qui vous êtes; si c’est votre mère, votre tante, votre gouvernante, etc.; mais elle est inabordable: ou vous êtes à quelqu’un de puissant, comme un ministre, qui vous entretient en secret, ou à quelqu’un de riche, qui ne laisse rien à désirer à votre maman: dans ce dernier cas, je l’emporterai à coup sûr; je suis distingué autant qu’un particulier peut l’être: honorez-moi d’une réponse, que vous laisserez tomber, lorsque je vous ferai remettre un second billet; je serai exact à me conformer à vos intentions, quelque hautes qu’elles soient. Si pourtant vous étiez encore neuve, j’avouerai que vous êtes un trésor, que toute la fortune de votre serviteur ne pourrait payer.

Le M. de***.

P.-S. – Mon nom sera signé, dès que je connaîtrai vos intentions.

Tu vois que c’est un riche parti! Mais je préférerais le conseiller, à cause du plaisir que cela ferait chez nous. Mme Canon est en effet rebutante, et je crois qu’un ministre d’État viendrait pour nous entretenir un moment, qu’elle ne le permettrait pas. Il croit que nous appartenons à quelqu’un de riche: effectivement, nous sommes très bien mises, surtout depuis que Mme Parangon est ici.

Deuxième billet doux.

On m’a fait entendre que vous ne receviez que des gens d’Église, et que l’on voit souvent un moine aux environs de votre demeure, quelquefois en habit de son ordre, et quelquefois mis en cavalier: à moins que l’habit de moine ne soit un déguisement? J’espère que votre réponse à mon premier billet me donnera quelques lumières; mais si je ne pouvais avoir cet avantage, répondez du moins à celui-ci: les diamants, les bijoux, un ameublement superbe, un carrosse du dernier goût, tout cela est prêt; un mot, et une bourse de mille louis va précéder.

Pour le coup, je commence à douter que cela soit sincère! car, en vérité, il faudrait y regarder à deux fois! Mais on ne jette pas ainsi l’argent par les fenêtres!…

En tout cas, je voudrais avoir ici Christine: elle est charmante; elle aurait quelqu’un des partis dont il n’est pas possible que je m’accommode: celui-ci est un jeune seigneur, assez agréable, quoiqu’un peu voûté. Un pareil mariage donnerait du relief à notre famille, qui fût autrefois plus relevée qu’elle n’est. Mais voici le.

Troisième billet doux.

Quoi! vous avez déchiré ma lettre! sans la lire! ma foi c’est m’ôter tout espoir, puisque c’est me fermer la bouche, et me condamner sans m’entendre: si celui-ci a le même sort, j’aurai recours à d’autres moyens, que je ne vous explique pas, et qui peut-être seront plus efficaces. Je n’en suis pas avec un attachement moins sincère,

Votre tout dévoué, etc.

J’ai encore déchiré le second, en recevant ce troisième billet, et ayant jeté un coup d’œil dans un beau carrosse, qui nous barrait le passage, j’y ai vu le jeune seigneur voûté, qui se mordait les doigts. Je savais que c’était lui: je me suis approchée sans affectation, et je l’ai entendu me dire: «Vous mettez au désespoir l’amant le plus tendre! Ne pourrai-je vous intéresser? Ah! daignez me lire!» Je l’ai regardé avec le plus de colère que j’ai pu: mais en vérité, j’étais presque attendrie: car un si beau parti causerait bien de la joie à nos chers père et mère! En ce moment, Mme Canon, m’ayant jointe, il n’a plus rien dit, et nous avons passé. Je suis dans l’attente de ces moyens auxquels il aura recours : nous verrons. En voici à présent d’un autre.

Premier billet doux du second amant.

Je suis jeune, mademoiselle, mais d’une famille relevée, et je puis faire mon chemin; mais je sens qu’il me faudrait tout le feu de vos beaux yeux pour m’animer: votre vue, et le peu d’espoir que j’ai de réussir auprès de vous, me plongent dans une langueur qui m’ôte tout le courage; vous pouvez être ma créatrice, et mettre dans mon cœur toute l’énergie que j’y ai quelquefois sentie. Je brûlais de l’amour de la gloire; je ne brûle plus que pour vous! Quels charmes touchants! Ah! si j’étais assez fortuné pour que vous me donnassiez un moment d’audience, je crois que vous seriez contente des choses que je vous dirais! Je suis encore page, mais j’ai les plus brillantes espérances. Je vous en prie, voyez-moi: si vous avez un vieux mari je vous consolerai, si c’est un vieil amant, je le tromperai, si vous n’avez personne, je suis bien sûr de vous faire un jour comtesse. Le malheur, c’est que je n’ai que seize ans! mais je suis orphelin, et les droits des tuteurs cessent plus tôt que ceux de pères. Je crains de vous ennuyer: je finis, en jurant de vous adorer jusqu’au tombeau, et si vous êtes cruelle, d’aller me faire tuer pour vous, à la première campagne que je ferai.

Le Comte de*******.

J’ai lu ce billet avec plaisir, et je t’avouerai, que le lendemain le jeune homme m’en ayant remis un autre, rue des Prouvaires , j’ai déchiré un papier que j’avais pris à cet effet, au lieu de celui de cet aimable page: car il est charmant, mais comme dit la chanson, C’est un enfant, c’est un enfant!

Deuxième billet doux du jeune page.

Je meurs d’inquiétude sur le sort de ma lettre; l’avez-vous lue? Hélas! peut-être que non! qui croirait que je suis tendre sous cet habit! Vous aurez pensé que c’était quelque polissonnerie, et vous l’aurez déchirée sans la lire!… Mon Dieu que je voudrais être homme, et tout au moins capitaine ou colonel! Je parlerais un autre langage que celui de promesses en l’air, qui, je le sens trop, ne peuvent faire aucune impression sur vous, dans tous les cas; si vous êtes raisonnable (ce que je crois), vous allez mépriser et mon cœur et mes offres; si vous êtes intéressée (ce que je ne crois pas), elles vous feront pitié: il faudrait que vous fussiez simple et naïve comme moi, pour que vous y fissiez attention: mais les femmes le sont-elles à Paris!… Daignez me faire un mot de réponse, dût-ce être un coup de foudre: je veux bien mourir; mais je ne veux pas languir: c’est votre intérêt, et quand on saura dans le monde que vous avez fait mourir un page d’amour, cela est capable de mettre à vos pieds et la ville et la cour. Ce sera ma consolation, en perdant la vie par vos rigueurs: car je vous aime plus que ma vie, et si c’était à vous-même que je la donnasse, je ne la regretterais pas.

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