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— Vous n'avez rien de mieux à faire, mon fils ?

— Non père, mais je... je... dites-moi, si vous avez be... besoin de moi, je...

Mais la porte avait claqué avant qu'il ait terminé sa phrase.

— Toi, on dira que tu feras à manger et moi j'irai chercher les courses et après on dira que tu feras des gaufres et après on ira au parc pour promener les bébés...

— D'accord, ma puce, d'accord. On dira tout ce que tu voudras...

Blanche ou Camille, pour lui, c'était la même chose : des petits bouts de filles qui l'aimaient bien et lui faisaient des bisous quelquefois. Et pour ça, il était prêt à encaisser le mépris de son père et à acheter cinquante aspirateurs s'il le fallait.

Pas de problème.

Comme il appréciait les manuscrits, serments, parchemins, cartes et autres traités, c'est lui qui poussa les tasses à café sur la table d'à côté et sortit une feuille de son cartable sur laquelle il écrivit cérémonieusement : « Charte de l'avenue Émile-Deschanel à l'usage de ses occupants et autres visit... »

Il s'interrompit :

— Et qui était cet Emile Deschanel, les enfants ?

— Un président de la République !

— Non, celui-là, c'était Paul. Emile Deschanel était un homme de lettres, professeur à la Sorbonne et limogé à cause de son ouvrage Catholicisme et socialisme... Ou le contraire, je ne sais plus... D'ailleurs ma grand-mère, ça la chiffonnait un peu le nom de cette canaille sur sa carte de visite... Bon, euh... Où en étais-je, moi ?

Il reprit point par point tout ce qui venait d'être conclu, y compris le papier-toilette et les sacs-poubelle, et fit tourner leur nouveau protocole afin que chacun puisse y ajouter ses propres conventions.

— Me voilà bien jacobin.... soupira-t-il.

Franck et Camille lâchèrent leurs verres à contrecœur et écrivirent beaucoup de bêtises...

Imperturbable, il sortit son bâton de cire à cacheter et apposa sa chevalière en bas du papelard sous le regard ahuri des deux autres puis le plia en trois et le glissa négligemment dans la poche de sa veste.

— Euh... Tu te balades toujours avec ton attirail de Louis XIV sur toi ? finit par demander Franck en secouant la tête.

— Ma cire, mon sceau, mes sels, mes écus d'or, mon blason et mes poisons... Certainement, mon cher...

Franck, qui avait reconnu un serveur, fit un tour en cuisine.

— Je maintiens, une usine à bouffe. Mais une belle usine...

Camille prit l’addition, si, si, j’insiste, vous, vous passerez l’aspirateur, ils récupérèrent la valise en enjambant encore quelques clochards ici et là, Lucky Strike enfourcha sa moto et les deux autres appelèrent un taxi.

8

Elle le guetta en vain le lendemain, le surlendemain et les jours suivants. Pas de nouvelles. Le vigile, avec lequel elle entretenait désormais un brin de causette (la couille droite de Matrix n'était pas descendue, un drame...), ne lui en apprit pas davantage. Pourtant, elle savait qu'il était dans les parages. Quand elle déposait un filet garni derrière les bidons de détergents, pain, fromage, salades Saupiquet, bananes et pâtée Fido, celui-ci disparaissait systématiquement. Jamais un poil de chien, jamais une miette et pas la moindre odeur... Pour un junkie, elle le trouvait drôlement bien organisé, à tel point qu'elle eut même un doute sur le destinataire de ses bontés... Ça se trouve, c'était l'autre taré qui nourrissait son unicouilliste à l'œil... Elle tâta un peu le terrain, mais non, Matrix ne mangeait que des croquettes enrichies à la vitamine B12 avec une cuillerée d'huile de ricin pour le poil. Les boîtes, c'était de la merde. Pourquoi qu'on donnerait à son chien un truc qu'on voudrait pas soi-même ?

Ben, oui, pourquoi ?

— Et les croquettes, c'est pareil, alors ? T'en mangerais pas...

— Bien sûr que si, j'en mange !

— C'est ça...

— Je te jure !

Le pire c'est qu'elle le croyait. Na-qu'une-couille et Na-qu'un-cervelet en train de grignoter des croquettes au poulet devant un porno dans leur cahute surchauffée au milieu de la nuit, ça pouvait le faire... Très bien, même.

Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi. Quelquefois, il ne venait pas. La baguette avait durci et les cigarettes étaient encore là. Quelquefois, il passait et ne prenait rien d'autre que la bouffe de son chien... Trop de dope ou pas assez pour faire bombance... Quelquefois, c'est elle qui n'assurait pas... Camille ne se prenait plus la tête avec ça. Un coup d'œil rapide au fond du local pour savoir si elle devait vider sa musette et basta.

Elle avait d'autres soucis...

À l'appart, pas de problème, ça roulait, charte ou pas charte, Myriam ou pas Myriam, TOC ou pas TOC, chacun menait son petit bonhomme de chemin sans ennuyer le voisin. On se saluait chaque matin et l'on se droguait gentiment en rentrant le soir. Shit, herbe, pinard, incunables, Marie-Antoinette ou Heineken, c'était chacun son trip et Marvin pour tous.

Dans la journée, elle dessinait et, quand il était là, Philibert lui faisait la lecture ou commentait les albums de famille :

— Là c'est mon arrière-grand-père... Le jeune homme à côté, c'est son frère, l'oncle Élie, et devant ce sont leurs fox... Ils organisaient des courses de chiens et c'était monsieur le curé, là tu le vois assis devant la ligne d'arrivée, qui désignait le vainqueur.

— Ils ne s'embêtaient pas dis donc...

— Ils avaient bien raison... Deux ans plus tard ils partiront sur le front des Ardennes et six mois après ils seront morts tous les deux...

Non, c'était au boulot que ça n'allait plus... D'abord le mec du cinquième l'avait accostée un soir en lui demandant où elle avait mis son plumeau. Wouarf, wouarf, il était super content de sa blague et l'avait poursuivie à travers tout l'étage en répétant « Je suis sûr que c'est vous ! Je suis sûr que c'est vous ! » Dégage gros con, tu me gênes, là.

Non, c'est ma collègue, finit-elle par lâcher en lui indiquant Super Josy qui était?en train de compter ses varices.

Game over.

Deuxièmement, elle ne pouvait plus supporter la Bre-dart justement...

Elle était bête comme ses pieds, avait un peu de pouvoir et en abusait sans modération (chef de chantier, chez Touclean, ce n'était pas le Pentagone tout de même !), transpirait, postillonnait, était toujours en train de piquer des capuchons de Bic pour récupérer des bouts de barbaque coincés entre ses dents du fond et glissait une blague raciste à chaque étage en prenant Camille à partie puisque c'était la seule autre Blanche de l'équipe.

Camille qui se retenait souvent à sa serpillière pour ne pas la lui envoyer dans la gueule et l'avait priée l'autre jour de garder pour elle ses conneries parce qu'elle commençait à fatiguer tout le monde.

— Non, mais l'autre... Mais comment qu'ème cause celle-ci ? Qu'est-ce tu fous là d'abord, toi ? Qu'est-ce tu fous avec nous ? Tu nous espionnes ou quoi ? C'est une question que je me suis posée l'autre jour, tins... Que p'têtre bien que t'étais envoyée par les patrons pour nous espionner ou queque chose dans le genre... Je l'ai vu sur ta feuille de paye où qu'tu logeais et comment que tu parles et tout ça... T'es pas des nôtres, toi ! Tu pues la bourgeoise, tu pues le fric. Matonne, va !

Les autres filles ne réagissaient pas. Camille poussa son chariot et s'éloigna.

Elle se retourna :

— Ce qu'elle me dit, elle, j'en ai rien à foutre parce que je la méprise... Mais, vous, vous êtes vraiment nazes... C'est pour vous que j'ai ouvert ma gueule, pour qu'elle arrête de vous humilier et j'attends pas que vous me remerciiez, ça aussi j'en ai rien à foutre, mais au moins, vous pourriez venir faire les chiottes avec moi... Parce que toute bourgeoise que je suis, c'est toujours moi qui me les cogne, je vous ferai remarquer...

Mamadou fit un drôle de bruit avec sa bouche et lâcha un énorme mollard aux pieds de Josy, un truc monstrueux vraiment. Ensuite elle attrapa son seau, le balança devant elle et donna un coup dans les fesses de Camille :

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