Un clic, un résumé.
— Et vous êtes professeur ou quelque chose comme ça?
— Non, je... C'est-à-dire que je... Je travaille dans un musée...
— Vous êtes conservateur ?
— Quel bien grand mot ! Non, je m'occupe plutôt du service commercial...
— Ah... acquiesça-t-elle gravement, ce doit être passionnant... Dans quel musée ?
— Ça dépend, je tourne... Et vous ?
— Oh, moi... C'est moins intéressant, hélas, je travaille dans des bureaux...
Avisant sa mine dépitée, il eut le tact de ne pas s'attarder sur le sujet.
— J'ai du bon fromage blanc avec de la confiture d'abricot, ça vous dit ?
— Avec joie ! Et vous ?
— Je vous remercie, toutes ces petites choses russes m'ont calée...
— Vous n'êtes pas bien grosse...
Craignant d'avoir prononcé un mot blessant, il ajouta aussitôt :
— Mais vous êtes... euh... gracieuse... Votre visage me fait songer à celui de Diane de Poitiers...
— Elle était jolie ?
— Oh ! Plus que jolie ! Il rosit. Je... Vous... Vous n'êtes jamais allée au château d'Anet ?
— Non.
— Vous devriez... C'est un endroit merveilleux qui lui a été offert par son amant, le roi Henri II...
— Ah bon ?
— Oui, c'est très beau, une espèce d'hymne à l'amour où leurs initiales sont entrelacées partout. Dans la pierre, le marbre, la fonte, le bois et sur son tombeau. Et puis émouvant aussi... Si je me souviens bien, ses pots à onguents et ses brosses à cheveux sont toujours là, dans son cabinet de toilette. Je vous y emmènerai un jour...
— Quand ?
— Au printemps peut-être ?
— Pour un pique-nique ?
— Cela va de soi...
Ils restèrent silencieux un moment. Camille essaya de ne pas remarquer ses souliers troués et Philibert fit de même avec les taches de salpêtre qui couraient le long des murs. Ils se contentaient de laper leur vodka à petites gorgées.
— Camille ?
— Oui.
— Vraiment, vous vivez ici tous les jours ?
— Oui.
— Mais euh... pour euh... Enfin... Les lieux d'aisances...
— Sur le palier.
— Ah?
— Vous voulez vous y rendre ?
— Non, non, je me demandais juste.
— Vous vous faites du souci pour moi ?
— Non, enfin... si... C'est... tellement Spartiate,
quoi...
— Vous êtes gentil... Mais ça va. Ça va, je vous rassure, et puis j'ai une belle cheminée maintenant !
Lui n'avait plus l'air si enthousiaste.
— Quel âge avez-vous ? Si ce n'est pas trop indiscret bien sûr...
— Vingt-six ans. J'en aurai vingt-sept en février...
— Comme ma petite sœur...
— Vous avez une sœur ?
— Pas une, six !
— Six sœurs !
— Oui. Et un frère...
— Et vous vivez seul à Paris ?
— Oui, enfin avec mon colocataire...
— Vous vous entendez bien ? Comme il ne répondait pas, elle insista :
— Pas très bien ?
— Si, si... ça va ! On ne se voit jamais de toute façon...
— Ah?
— Disons que ce n'est pas exactement le château d'Anet, quoi !
Elle riait.
— Il travaille ?
— Il ne fait que ça. Il travaille, il dort, il travaille, il dort. Et quand il ne dort pas, il ramène des filles... C'est un curieux personnage qui ne sait pas s'exprimer autrement qu'en aboyant. J'ai du mal à comprendre ce qu'elles lui trouvent. Enfin, j'ai bien mon idée sur la question, mais bon...
— Qu'est-ce qu'il fait ?
— Il est cuisinier.
— Ah ? Et il vous prépare de bons petits plats au moins ?
— Jamais. Je ne l'ai jamais vu dans la cuisine. Sauf le matin pour fustiger ma pauvre cafetière...
— C'est un de vos amis ?
— Fichtre non ! Je l'ai découvert par une annonce, un petit mot sur le comptoir de la boulangerie d'en face : Jeune cuisinier au Vert Galant cherche chambre pour faire la sieste l'après-midi pendant sa coupure. Au début, il ne venait que quelques heures par jour et puis voilà, il est là maintenant...
— Ça vous contrarie ?
— Pas du tout ! C'est même moi qui lui ai proposé... Parce que, vous verrez, pour le coup, c'est un peu trop grand chez moi... Et puis il sait tout faire. Moi qui ne suis pas fichu de changer une ampoule, ça m'arrange bien... Il sait tout faire et c'est un fieffé gredin ma foi... Depuis qu'il est là, ma note d'électricité a fondu comme neige au soleil...
— Il a bidouillé le compteur ?
— Il bidouille tout ce qu'il touche, j'ai l'impression... Je ne sais pas ce qu'il vaut comme cuisinier, mais comme bricoleur, il se pose là. Et comme tout tombe en ruine chez moi... Non... et puis je l'aime bien quand même... Je n'ai jamais eu l'occasion de parler avec lui, mais j'ai l'impression qu'il... Enfin, je n'en sais rien... Quelquefois, j'ai la sensation de vivre sous le même toit qu'un mutant...
— Comme dans Alien ?
— Pardon ?
— Non. Rien.
Sigourney Weaver n'ayant jamais fricoté avec un roi, elle préféra laisser tomber l'affaire...
Ils rangèrent ensemble. Avisant son minuscule lavabo, Philibert la supplia de lui laisser nettoyer la vaisselle. Son musée étant fermé le lundi, il n'aurait que ça à faire le lendemain... Ils se quittèrent cérémonieusement.
— La prochaine fois, c'est vous qui viendrez...
— Avec plaisir.
— Mais je n'ai pas de cheminée, hélas...
— Hé ! Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un
cottage à Paris...
— Camille ?
— Oui.
— Vous faites attention à vous, n'est-ce pas ?
— J'essaye. Mais vous aussi, Philibert...
— Je... J...
— Quoi ?
— Il faut que je vous dise... La vérité, c'est que je ne travaille pas vraiment dans un musée, vous savez... Plutôt à l'extérieur... Enfin dans des boutiques, quoi... Je... Je vends des cartes postales...
— Et moi, je ne travaille pas vraiment dans un bureau, vous savez... Plutôt à l'extérieur aussi... Je fais des ménages...
Ils échangèrent un sourire fataliste et se quittèrent tout penauds.
Tout penauds et soulagés.
Ce fut un dîner russe très réussi.
12
— Qu'est-ce qu'on entend ?
— T'inquiète, c'est le grand Duduche...
— Mais qu'est-ce qu'il fout ? On dirait qu'il inonde la cuisine...
— Laisse tomber, on s'en tape... Viens plutôt par là toi...
— Non, laisse-moi.
— Allez, viens quoi... Viens... Pourquoi t'enlèves pas ton tee-shirt ?
— J'ai froid.
— Viens je te dis.
— Il est bizarre, non ?
— Complètement givré... Tu l'aurais vu partir tout à l'heure, avec sa canne et son chapeau de clown... J'ai cru qu'il allait à un bal costumé...
— Il allait où ?
— Voir une fille, je crois...
— Une fille !
— Ouais, je crois, j'en sais rien... On s'en fout... Allez, retourne-toi, merde...
— Laisse-moi.
— Hé, Aurélie, tu fais chier à la fin...
— Aurélia, pas Aurélie.
— Aurélia, Aurélie, c'est pareil. Bon... Et tes chaussettes, tu vas les garder toute la nuit aussi ?