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— Camille ? Vous avez le courage de prendre une douche ?

Pas de réponse.

Il secoua la tête de désapprobation, alla dans la salle de bains, remplit un broc d'eau chaude dans lequel il versa un peu d'eau de Cologne et s'arma d'un gant de toilette.

Courage, soldat !

Il défit le drap et la rafraîchit du bout du gant d'abord, puis plus vaillamment.

Il lui frotta la tête, le cou, le visage, le dos, les aisselles, les seins puisqu'il le fallait, et pouvait-on appeler cela des seins, d'ailleurs ? Le ventre et les jambes. Pour le reste, ma foi, elle verrait... Il essora le gant et le posa sur son front.

Il lui fallait de l'aspirine à présent... Il empoigna si fort le tiroir de la cuisine qu'il en renversa tout le contenu sur le sol. Fichtre. De l'aspirine, de l'aspirine...

Franck se tenait sur le pas de la porte, le bras passé sous son tee-shirt en train de se gratter le bas-ventre :

— Houâââ, fit-il en bâillant, qu'est-ce qui se passe ici ? C'est quoi tout ce merdier ?

— Je cherche de l'aspirine...

— Dans le placard...

— Merci.

— T'as mal au crâne ?

— Non, c'est pour une amie...

— Ta copine du septième ?

— Oui. Franck ricana :

— Attends, t'étais avec elle, là ? T'étais là-haut ?

— Oui. Pousse-toi, s'il te plaît...

— Arrête, j'y crois pas... Ben t'es plus puceau alors !

Ses sarcasmes le poursuivaient dans le couloir :

— Hé ? Elle te fait le coup de la migraine dès le premier soir, c'est ça ? Putain, ben t'es mal barré, mon gars...

Philibert referma la porte derrière lui, se retourna et murmura distinctement : « Ta gueule à toi aussi... »

Il attendit que le comprimé ait rendu toutes ses bulles puis la dérangea une dernière fois. Il crut l'entendre chuchoter « papa... ». À moins que ce ne fût « pas... pas... » car elle n'avait probablement plus soif. Il ne savait pas.

Il remouilla le gant, tira les draps et resta là un moment.

Interdit, effrayé et fier de lui.

Oui, fier de lui.

21

Camille fut réveillée par la musique de U2. Elle crut d'abord être chez les Kessler et s'assoupit de nouveau. Non, s'embrouillait-elle, non, ce n'était pas possible ça... Ni Pierre, ni Mathilde, ni leur bonne ne pouvaient balancer Bono à plein volume de cette manière. Il y avait un truc qui ne collait pas, là... Elle ouvrit lentement les yeux, gémit à cause de son crâne et attendit dans la pénombre de pouvoir reconnaître quelque chose.

Mais où était-elle ? Qu'est-ce que... ?

Elle tourna la tête. Tout son corps regimbait. Ses muscles, ses articulations et son peu de chair lui refusaient le moindre mouvement. Elle serra les dents et se releva de quelques centimètres. Elle frissonnait et était de nouveau couverte de transpiration.

Son sang lui battait les tempes. Elle attendit un moment, immobile et les yeux clos, que la douleur s'apaise.

Elle rouvrit délicatement les paupières et constata qu'elle se trouvait dans un lit étrange. Le jour passait à peine entre les interstices des volets intérieurs et d'énormes rideaux en velours, à moitié décrochés de leur tringle, pendaient misérablement de chaque côté. Une cheminée en marbre lui faisait face, surplombée d'un miroir tout piqueté. La pièce était tendue d'un tissu à fleurs dont elle ne distinguait pas très bien les couleurs. Il y avait des tableaux partout. Des portraits d'homme et de femmes vêtus de noir qui semblaient aussi étonnés qu'elle de la trouver là. Elle se tourna ensuite vers la table de nuit et aperçut une très jolie carafe gravée à côté d'un verre à moutarde Scoubidou. Elle mourait de soif et la carafe était remplie d'eau, mais elle n'osa pas y toucher : à quel siècle l'avait-on remplie ?

Où était-elle bon sang, et qui l'avait amenée dans ce musée ?

Il y avait une feuille de papier pliée en deux contre un bougeoir : « Je n'ai pas osé vous déranger ce matin. Je suis parti travailler. Je reviens vers sept heures. Vos vêtements sont plies sur la bergère. Il y a du canard dans le réfrigérateur et une bouteille d'eau minérale au pied du lit. Philibert. »

Philibert ? Mais qu'est-ce qu'elle fichait dans le pieu de ce garçon ?

Au secours.

Elle se concentra pour retrouver les bribes d'une improbable débauche, mais ses souvenirs n'allaient pas au-delà du boulevard Brune... Elle était assise, pliée en deux sous un Abribus et suppliait un grand type avec un manteau sombre de lui appeler un taxi... Était-ce Philibert ? Non, pourtant... Non, ce n'était pas lui, elle s'en serait souvenue...

Quelqu'un venait d'éteindre la musique. Elle entendit encore des pas, des grognements, une porte qui claquait, une deuxième et puis plus rien. Le silence.

Elle avait une envie pressante mais attendit encore un moment, attentive au moindre bruit et déjà épuisée à l'idée de bouger sa pauvre carcasse.

Elle poussa les draps et souleva l'édredon qui lui sembla peser aussi lourd qu'un âne mort.

Au contact du plancher, ses orteils se recroquevillèrent. Deux babouches en chevreau l'attendaient à la lisière du tapis. Elle se leva, vit qu'elle était vêtue d'un haut de pyjama d'homme, enfila les chaussons et mit sa veste en jean sur ses épaules.

Elle tourna la poignée tout doucement et se retrouva dans un immense couloir, très sombre, d'au moins quinze mètres de long.

Elle chercha les toilettes...

Non, là, c'était un placard, ici une chambre d'enfant avec deux lits jumeaux et un cheval à bascule tout mité. Ici... Elle ne savait pas... Un bureau peut-être ? Il y avait tant de livres posés sur une table devant la fenêtre que le jour n'entrait qu'à peine. Un sabre et une écharpe blanche étaient pendus au mur ainsi qu'une queue de cheval accrochée au bout d'un anneau en laiton. Une vraie queue d'un vrai cheval. C'était assez spécial comme relique...

Là ! Les toilettes !

Le battant était en bois ainsi que la poignée de la chasse d'eau. La cuvette, vu son âge, avait dû voir des générations de popotins en crinolines... Camille eut quelques réticences d'abord, mais non, tout cela fonctionnait parfaitement. Le bruit de la chasse était déroutant. Comme si les chutes du Niagara venaient de lui tomber sur la tête...

Elle avait le vertige, mais continua son périple à la recherche d'une boîte d'aspirine. Elle entra dans une chambre où régnait un bazar indescriptible. Des vêtements traînaient partout au milieu de magazines, de canettes vides et de feuilles volantes : bulletins de paye, fiches techniques de cuisine, manuel d'entretien GSXR ainsi que différentes relances du Trésor public. On avait posé sur le joli lit Louis XVI une horrible couette bariolée et du matos à fumette attendait son heure sur la fine marqueterie de la table de nuit. Bon, ça sentait le fauve là-dedans...

La cuisine se trouvait tout au bout du couloir. C'était une pièce froide, grise, triste, avec un vieux carrelage pâle rehaussé de cabochons noirs. Les plans de travail étaient en marbre et les placards presque tous vides. Rien, si ce n'était la présence bruyante d'un antique Frigidaire, ne pouvait laisser supposer que des gens vivaient là... Elle trouva le tube de comprimés, prit un verre près de l'évier et s'assit sur une chaise en formica. La hauteur sous plafond était vertigineuse et le blanc des murs retint son attention. Ce devait être une peinture très ancienne, à base de plomb, et les années lui avaient donné une patine veloutée. Ni cassé, ni coquille d'œuf, c'était le blanc du riz au lait ou des entremets fades de la cantine... Elle procéda mentalement à quelques mélanges et se promit de revenir un jour avec deux ou trois tubes pour y voir plus clair. Elle se perdit dans l'appartement et crut qu'elle n'allait jamais retrouver sa chambre. Elle s'écroula sur le lit, songea un instant à appeler l'autre commère de chez Touclean et s'endormit aussitôt.

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