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Alors que c'était formellement interdit, strictly forbidden, Camille posait ses vêtements sur le linteau de sa cheminée, restait au lit le plus longtemps possible, s'habillait sous sa couette et réchauffait les boutons de son jean entre ses mains avant de l'enfiler.

Le bourrelet en PVC n'avait pas l'air très efficace et elle avait dû changer son matelas de place pour ne plus sentir l'affreux courant d'air qui lui vrillait le front. Maintenant son lit était contre la porte et c'était tout un binz pour entrer et sortir. Elle était sans cesse en train de le tirer ici ou là pour faire trois pas. Quelle misère, songeait-elle, quelle misère... Et puis, ça y est, elle avait craqué, elle faisait pipi dans son lavabo en se tenant au mur pour ne pas risquer de le desceller. Quant à ses bains turcs, n'en parlons pas...

Elle était donc sale. Enfin sale peut-être pas, mais moins propre que d'habitude. Une ou deux fois par semaine, elle se rendait chez les Kessler quand elle était sûre de ne pas les trouver. Elle connaissait les horaires de leur femme de ménage et cette dernière lui tendait une grande serviette-éponge en soupirant. Personne n'était dupe. Elle repartait toujours avec un petit frichti ou une couverture supplémentaire... Un jour pourtant, Mathilde avait réussi à la coincer alors qu'elle était en train de se sécher les cheveux :

— Tu ne veux pas revenir vivre ici un moment ? Tu pourrais reprendre ta chambre ?

— Non, je vous remercie, je vous remercie tous les deux, mais ça va. Je suis bien...

— Tu travailles ?

Camille ferma les yeux.

— Oui, oui...

— Tu en es où ? Tu as besoin d'argent ? Donne-nous quelque chose, Pierre pourrait te faire une avance, tu sais...

— Non. Je n'ai rien terminé pour le moment...

— Et toutes les toiles qui sont chez ta mère ?

— Je ne sais pas... Il faudrait les trier... Je n'ai pas envie...

— Et tes autoportraits ?

— Ils ne sont pas à vendre.

— Qu'est-ce que tu fabriques exactement ?

— Des bricoles...

— Tu es passée quai Voltaire ?

— Pas encore.

— Camille ?

— Oui.

— Tu ne veux pas éteindre ce fichu séchoir ? Qu'on s'entende un peu ?

— Je suis pressée.

— Tu fais quoi exactement ?

— Pardon ?

— C'est quoi ta vie, là... Ça ressemble à quoi en ce moment ?

Pour ne plus jamais avoir à répondre à ce genre de question, Camille dévala les escaliers de leur immeuble quatre à quatre et poussa la porte du premier coiffeur venu.

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— Rasez-moi, demanda-t-elle au jeune homme qui se trouvait au-dessus d'elle dans le miroir.

— Pardon ?

— Je voudrais que vous me rasiez la tête, s'il vous plaît.

— La boule à zéro ?

— Oui.

— Non. Je ne peux pas faire ça...

— Si, si, vous pouvez. Prenez votre tondeuse et allez-y.

— Non, c'est pas l'armée ici. Je veux bien vous couper très court, mais pas la boule à zéro. C'est pas le genre de la maison... Hein Carlo ?

Carlo lisait Tiercé Magazine derrière sa caisse.

— De quoi ?

— La petite dame, elle veut qu'on la tonde... L'autre esquissa un geste qui voulait dire à peu près

j'en ai rien à foutre, je viens de perdre dix euros dans la septième, alors me faites pas chier...

— Cinq millimètres...

— Pardon ?

— Je vous la fais à cinq millimètres sinon vous n'oserez même plus sortir d'ici...

— J'ai mon bonnet.

— J'ai mes principes.

Camille lui sourit, hocha la tête en signe d'acquiescement et sentit le crissement des lames sur sa nuque. Des mèches de cheveux s'éparpillaient sur le sol pendant qu'elle dévisageait la drôle de personne qui lui faisait face. Elle ne la reconnaissait pas, ne se souvenait plus à quoi elle ressemblait l'instant précédent. Elle s'en moquait. Désormais, ce serait beaucoup moins galère pour elle d'aller prendre une douche sur le palier et c'était la seule chose qui comptait.

Elle interpella son reflet en silence : Alors ? C'était ça le programme ? Se démerder, quitte à s'enlaidir, quitte à se perdre de vue, pour ne jamais rien devoir à personne ?

Non, sérieusement ? C'était ça ?

Elle passa sa main sur son crâne râpeux et eut très envie de pleurer.

— Ça vous plaît ?

— Non.

— Je vous avais prévenue...

— Je sais.

— Ça repoussera...

— Vous croyez ?

— J'en suis sûr.

— Encore un de vos principes...

— Je peux vous demander un stylo ?

— Carlo ?

— Mmm...

— Un stylo pour la jeune fille...

— On ne prend pas de chèque à moins de quinze euros...

— Non, non, c'est pour autre chose...

Camille prit son bloc et dessina ce qu'elle voyait dans la glace.

Une fille chauve au regard dur tenant dans sa main le crayon d'un turfiste aigri sous le regard amusé d'un garçon qui s'appuyait sur son manche à balai. Elle nota son âge et se leva pour payer.

— C'est moi, là ?

— Oui.

— Mince, vous dessinez vachement bien !

— J'essaye...

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Le pompier, ce n'était pas le même que la dernière fois, Yvonne l'aurait reconnu, tournait inlassablement sa petite cuillère dans son bol :

— Il est trop chaud ?

— Pardon ?

— Le café ? Il est trop chaud ?

— Non, ça va, merci. Bon, ben, c'est pas le tout, mais il faut que je fasse mon rapport, moi...

Paulette restait prostrée à l'autre bout de la table. Son compte était bon.

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— Tu avais des poux ? lui demanda Mamadou. Camille était en train d'enfiler sa blouse. Elle n'avait

pas envie de parler. Trop de cailloux, trop froid, trop fragile.

— Tu fais la gueule ?

Elle secoua la tête, sortit son chariot du local à poubelles et se dirigea vers les ascenseurs.

— Tu montes au cinquième ?

— Hon hon...

— Eh pourquoi c'est toujours toi qui fais le cinquième ? C'est pas normal ça ! Faut pas te laisser faire ! Tu veux que je lui parle à la chef ? Moi, je m'en fous deu gueuler tu sais ! Oh, mais oui ! Je m'en fous bien !

— Non merci. Le cinquième ou un autre, pour moi c'est pareil...

Les filles n'aiment pas cet étage parce que c'était celui des chefs et des bureaux fermés. Les autres, les «aupènes spaices» comme disait la Bredart, étaient plus faciles et surtout plus rapides à nettoyer. Il suffisait de vider les poubelles, d'aligner les fauteuils contre les murs et de passer un grand coup d'aspirateur. On pouvait même y aller gaiement et se permettre de cogner dans les pieds des meubles parce que c'était de la camelote et que tout le monde s'en fichait.

Au cinquième, chaque pièce exigeait tout un cérémonial assez fastidieux : vider les poubelles, les cendriers, purger les déchiqueteuses à papier, nettoyer les bureaux avec la consigne de ne toucher à rien, de ne pas déplacer le moindre trombone, et se taper en plus, les petits salons attenants et les bureaux des secrétaires. Ces garces qui collaient des Post-it partout comme si elles s'adressaient à leur propre femme de ménage, elles qui n'étaient même pas foutues de s'en payer une à la maison... Et vous me ferez ci et vous me ferez ça, et la dernière fois, vous avez bougé cette lampe et cassé ce truc et gnagnagna... Le genre de réflexions sans intérêt qui avaient le don d'irriter Carine ou Samia au plus haut point, mais qui laissaient Camille totalement indifférente. Quand un mot était trop pète-sec, elle écrivait en dessous : Moi pas comprendre le français et le recollait bien au milieu de l'écran.

Aux étages inférieurs, les cols blancs rangeaient à peu près leur bordel, mais ici, c'était plus chic de tout laisser en plan. Histoire de montrer qu'on était débordé, que l'on était parti à contrecœur sans doute, mais que l'on pouvait revenir à n'importe quel moment reprendre sa place, son poste et ses responsabilités au Grand Gouvernail de ce monde. Bon, pourquoi pas... soupirait Camille. Admettons. À chacun ses chimères... Mais il y en avait un, là-bas, tout au bout du couloir sur la gauche, qui commençait à les lui briser menu. Grand ponte ou pas, ce mec-là était un goret et ça commençait à bien faire. En plus d'être crade, son bureau puait le mépris.

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