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« Quelle ironie... J'avais tout fait pour la fuir et voilà... Retour à la case départ, les rêves en moins... J'ai vivoté, je m'interdisais de boire seule et cherchais une issue de secours dans mon dix mètres carrés... Et puis je suis tombée malade au début de l'hiver et Philibert m'a portée dans les escaliers jusque dans la chambre d'à côté... La suite, tu la connais...

Long silence.

— Eh ben... répéta Franck plusieurs fois. Eh ben...

Il s'était redressé et avait croisé ses bras.

— Eh ben... Tu parles d'une vie... C'est dingue... Et maintenant ? Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ?

— ... 

Elle dormait.

Il remonta la couette jusque sous son nez, prit ses affaires et sortit sur la pointe des pieds. Maintenant qu'il la connaissait, il n'osait plus s'allonger à côté d'elle. En plus elle prenait toute la place...

Toute la place.

18

Il était perdu.

Il erra un moment dans l'appartement, se dirigea vers la cuisine, ouvrit des placards et les referma en secouant la tête.

Sur le rebord de la fenêtre, le cœur de laitue était tout ratatiné. Il le jeta aux ordures et revint s'asseoir avec un crayon pour terminer son dessin. Il hésita pour les yeux... Est-ce qu'il fallait dessiner deux points noirs au bout des cornes ou un seul en dessous ?

Putain... Même en escargot, il était nul !

Allez, un. C'était plus mignon.

Il se rhabilla. Poussa sa moto en serrant les fesses devant la loge. Pikouch le regarda passer sans broncher. C'est bien mon gars, c'est bien... Cet été t'auras un petit Lacoste pour tomber les pékinoises... Il parcourut encore plusieurs mètres avant d'oser kicker et s'élança dans la nuit.

Il prit la première à gauche et roula toujours tout droit. Arrivé à la mer, il posa son casque sur son ventre et regarda les manœuvres des marins pêcheurs. Il en profita pour dire deux trois mots à sa moto. Qu'elle comprenne un peu la situation...

Légère envie de craquer.

Trop de vent, peut-être ?

Il s'ébroua.

Voilà ! C'était ça qu'il cherchait tout à l'heure : un filtre à café ! Ses idées se remettaient en place... Il marcha donc le long du port jusqu'au premier troquet ouvert et but un jus au milieu des cirés luisants. En levant les yeux, il découvrit une vieille connaissance dans le reflet du miroir : lui-même.

— Et alors... Te v'là, toi ? s'étonnait son double en silence.

— Hé ouais...

— Qu'est-ce que tu fous là ?

— Je suis venu boire un café.

— Dis donc, t'as une sale gueule...

— Fatigué...

— Toujours en train de courir le guilledou ?

— Non.

— Allez... T'étais pas avec une fille, cette nuit ?

— C'était pas vraiment une fille...

— C'était quoi ?

— Je sais pas.

— Ho là, mon gars... Hé patronne ! Rincez-lui sa tasse, y a mon pote qui s'écaille, là ! lança le fantôme.

— Non, non... Laisse...

— Laisse quoi ?

— Tout.

— Ben qu'est-ce t'as Lestaf ? ?Mal au cœur...

—Oooh, t'es amoureux, toi ?

- Ça se pourrait...

—Hé ben ! C'est une bonne nouvelle, ça ! Exulte mon vieux ! Exulte ! Monte sur le bar ! Chante !

- Arrête.

- Mais qu'est-ce t'as ?

- Rien... Elle... Elle est bien, celle-ci... Trop bien pour moi en tout cas...

- Meuh non... C'est des conneries, ça ! Personne n'est jamais trop bien pour personne... Surtout les gonzesses!

- C’est pas une gonzesse je te dis...

— C'est un mec ? !

— Mais nan...

— C'est un androïde ? C'est Lara Croft ?

— Mieux que ça...

— Mieux que Lara Croft ? Oh poudiou ! Y a du monde au balcon, alors ?

— 85 A je dirais...

Il se souriait :

— Ah ben ouais... Si t'en pinces pour une planche à pain, t'es dans la merde, je comprends mieux, là...

— Mais nan, tu comprends rien ! se maudissait-il. D'façon t'as jamais rien compris ! T'es toujours là, à ramener ta grande gueule pour faire oublier que tu comprends rien ! Depuis que t'es gamin, tu fais chier ton monde ! Tu me fais pitié, tiens... Cette fille, quand elle me parle, y a la moitié des mots que je comprends pas, tu piges ? Je me sens comme une merde à côté d'elle. Tu verrais tout ce qu'elle a vécu déjà... Putain, moi j'assure pas, là... Je crois que je vais laisser tomber...

Le reflet fit la moue.

— Quoi ? grogna Franck.

— Trop teigneux...

— J'ai changé.

— Mais non... T'es juste fatigué...

— Ça fait vingt ans que je suis fatigué...

— Qu'est-ce qu'elle a vécu ?

— Que de la daube.

— Hé ben, c'est parfait, ça ! T'as qu'à lui proposer aut'chose !

— Quoi ?

— Ho ! Tu fais exprès ou quoi ?

— Non.

— Si. Tu fais exprès pour que je m'apitoie... Réfléchis un peu. Je suis sûr que tu vas trouver...

— J'ai peur.

— C'est bon signe.

— Oui mais si je me...

Le miroir se brouilla.

- Messieurs, gouailla la patronne, l'pain est arrivé. Oui c'est qui veut un sandwich ? Le jeune homme ?

- Merci, ça ira.

Oui, ça ira.

Dans le mur ou ailleurs...

On verra.

Ils installaient le marché. Franck acheta des fleurs au cul du camion, t'as l'appoint, mon gars ? et les aplatit sous son blouson.

Des fleurs, c'était pas mal pour commencer, non ?

T'as l'appoint mon gars ? Et comment, la vieille ! Et comment !

Et, pour la première fois de sa vie, il roula vers Paris en regardant le soleil se lever.

Philibert prenait sa douche. Il apporta son petit déjeuner à Paulette et l'embrassa en lui frictionnant les bajoues :

— Alors mémé, t'es pas bien, là ?

— Mais t'es gelé, toi ? D'où c'est que t'arrives encore ?

— Oh là... fit-il en se relevant.

Son pull puait le mimosa. Faute de vase, il découpa une bouteille en plastique avec le couteau à pain.

— Hé, Philou ?

- Attends une minute, je me dose mon Nesquick... Tu nous prépares la liste des courses ?

- Ouais... Comment ça s'écrit la riviéra ?

- Avec une majuscule et sans accent.

- Merci.

Du mimosa comme sur la rivié... Riviera... Il plia son petit mot et le déposa avec le vase près de l'escargotte.

Il se rasa.

- On en était où déjà ? demanda l'autre, de nouveau dans le miroir.

— Nan, c'est bon. Je vais me démerder...

— Bon, ben... bonne chance, hein ?

Franck grimaça.

C'était l'after-shave.

Il avait dix minutes de retard et la réunion avait déjà commencé.

— Vlà not' joli cœur... signala le chef. Il s'assit en souriant.

19

Comme à chaque fois qu'il était épuisé, il se brûla gravement. Son commis insista pour le soigner et il finit par lui tendre son bras en silence. Pas l'énergie de se plaindre, ni d'avoir mal. Machine explosée. Hors service, hors d'usage, hors d'état de nuire, hors tout...

Il revint en titubant, régla son réveil pour être sûr de ne pas dormir jusqu'au lendemain matin, se déchaussa sans défaire ses lacets et tomba sur son lit les bras en croix. Maintenant oui, sa main le lançait et il réprima un lllssch de douleur avant de sombrer.

Il dormait depuis plus d'une heure quand Camille — si légère ce ne pouvait être qu'elle — vint le voir en rêve...

Hélas, il ne vit pas si elle était nue... Elle était allongée sur lui. Cuisses contre cuisses, ventre contre ventre et épaules contre épaules.

Elle avait posé sa bouche sur son oreille et murmu?Lestafier, je vais te violer...

Il souriait dans son sommeil. D'abord parce que c'était un joli délire et ensuite parce que son souffle le chatouillait par-delà les abîmes.

- Oui... Qu'on en finisse... Je vais te violer pour avoir une bonne raison de te prendre dans mes bras...

Mais ne bouge pas surtout... Si tu te débats, je t'étouffe mon petit gars...

Il voulut tout rassembler, son corps, ses mains et ses draps pour être sûr de ne pas se réveiller mais quelqu'un le retenait par les poignets.

79
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