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Non, le problème, il était trois étages plus haut... Pourquoi il avait refusé de lui ouvrir d'abord ? Parce qu'il était en transe ou parce qu'il était en manque?

Est-ce que c'était vrai cette histoire de cure? A d'autres... Du pipeau pour charmer les petites bourges et leurs concierges, oui ! Pourquoi il ne sortait que la nuit ? Pour aller se faire mettre avant de s'en coller une sous le garrot? Tous les mêmes... Des menteurs qui vous jetaient de la poudre aux yeux et festoyaient à genoux pendant que vous vous mordiez les poings jusqu'au sang, ces salauds...

Quand elle avait eu Pierre au téléphone il y a quinze jours, elle avait recommencé ses conneries : elle s'était remise à mentir, elle aussi.

« Camille. Kessler à l'appareil. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qui c'est ce type qui vit chez moi ? Rappelle-moi immédiatement. »

Merci la grosse Perreira, merci.

Notre-Dame de Fatima, priez pour nous.

Elle avait pris les devants :

— C'est un modèle, avait-elle annoncé avant même de le saluer, on travaille ensemble...

Coupée, la chique.

— C'est un modèle ?

- Oui.

— Tu vis avec lui ?

— Non. Je viens de vous le dire : je travaille.

— Camille... Je... J'ai tellement envie de te faire confiance aujourd'hui... Est-ce que je peux ?

— C'est pour qui ?

— Pour vous.

— Ah?

— ...

- Tu... tu...

- Je ne sais pas encore. Sanguine, j'imagine...

- Bon...

- Ben salut...

— Hé!

— Oui ?

- Qu'est-ce que t'as comme papier ?

- Du bon.

— T'es sûre ?

— C'est Daniel qui m'a servie...

— Très bien. Et sinon, ça va, toi ?

— Je m'adresse au marchand, là. Pour les risettes je vous rappellerai sur l'autre ligne.

Clic.

Elle secoua sa boîte d'allumettes en soupirant. Elle n'avait plus le choix.

Ce soir, après avoir bordé une petite vieille qui n'aurait pas sommeil de toute façon, elle remonterait ces marches et viendrait lui parler.

La dernière fois qu'elle avait essayé de retenir un toxico à la tombée de la nuit, elle s'était mangé un coup de couteau dans l'épaule... OK. C'était différent. C'était son mec, elle l'aimait et tout, mais quand même... Ça lui avait fait mal, cette petite faveur...

Merde. Plus d'allumettes. Oh misère... Notre-Dame-de Fatima et Hans Christian Andersen, restez là, bordel. Restez encore un peu.

Et comme dans l'histoire, elle se releva, tira sur les jambes de son pantalon et alla rejoindre sa grand-mère au paradis...

9

— C'est quoi ?

— Oh... dodelina Philibert, presque rien en vérité...

— Un drame antique ?

— Nooon...

— Un vaudeville ?

Il attrapa son dictionnaire :

— varice... vasouillard... vau... vaudeville... Comédie légère, fondée sur les rebondissements de l'intrigue, les quiproquos et les bons mots... Oui. C'est exactement ça, fit-il en le refermant d'un coup sec. Une comédie légère avec des bons mots.

— Ça parle de quoi ?

— De moi.

- De toi ? s'étrangla Camille, mais je croyais que c'était tabou chez vous de parler de soi ?

- Ma foi, je prends du recul, ajouta-t-il en prenant la pause.

- Et... euh... Et la barbichette, là... C'est ... C'est pour le rôle?

- Tu n'aimes pas ?

- Si, si... c'est... c'est dandy... On dirait un peu Les Brigades du Tigre, non ?

- Les quoi ?

- C'est vrai que tu découvres la télévision avec Julien Lepers, toi... Dis donc euh... Il faut que je monte là... Je vais voir mon locataire du septième... Je peux te confier Paulette ?

Il hocha la tête en lissant ses petites moustaches:

— Va, cours, vole et monte vers ton destin, mon enfant...

— Philou ?

— Oui?

— Si je suis pas redescendue dans une heure, tu pourras venir voir ?

10

La chambre était impeccablement rangée. Le lit était fait et il avait posé deux tasses et un paquet de sucre sur la table de camping. Il était assis sur une chaise, dos au mur et referma son livre quand elle gratta à la porte.

Il se leva. Ils étaient aussi embarrassés l'un que l'autre. C'était la première fois qu'ils se voyaient finalement... Un ange passa.

— Tu... Tu veux boire quelque chose ?

— Volontiers...

- Thé ? Café ? Coca ?

— Café, c'est parfait.

Camille prit place sur le tabouret et se demanda comment elle avait fait pour vivre ici pendant si longtemps. C'était si humide, si sombre, tellement... inexorable. Le plafond était si bas et les murs si sales... Non, ce n'était pas possible... Ce devait être une autre, alors ?

Il s'activait devant les plaques électriques et lui indiqua le pot de Nescafé. Barbès dormait sur le lit en ouvrant un œil de temps en temps.

Il finit par tirer la chaise et s'assit en face d'elle:

— Je suis content de te voir... Tu aurais pu venir plus tôt...

— Je n'osais pas.

— Ah?

— Tu regrettes de m'avoir amené ici, n'est-ce pas?

— Non.

— Si. Tu regrettes. Mais ne t'en fais pas... J'attends un feu vert et je partirai... C'est une question de jours maintenant.

— Tu vas où ?

— En Bretagne.

— Dans ta famille ?

— Non. Dans un centre de... De déchets humains. Nan, je suis con. Dans un centre de vie, c'est comme ça qu'il faut dire...

— ...

— C'est mon toubib qui m'a trouvé ça... Un truc où l'on fabrique de l'engrais avec des algues... Des algues, de la merde et des handicapés mentaux... Génial, non? Je serai le seul ouvrier normal. Enfin « normal », c'est relatif...

Il souriait.

— Tiens, regarde la brochure... Classieux, hein?

Deux gogols avec une fourche à la main se tenaient

devant une espèce de puisard.

— Je vais faire de l'Algo-Foresto, un truc avec du compost, des algues et du fumier de cheval... Je sens déjà que je vais adorer... Bon, y paraît qu'au début, c'est dur à cause de l'odeur mais qu'après on s'en rend même plus compte...

Il reposa la photo et s'alluma une cigarette.

— Les grandes vacances, quoi...

— T'y restes combien de temps ?

— Le temps qu'il faudra...

— T'es sous méthadone ?

— Oui.

— Depuis quand ?

Geste vague.

- Ça va ?

- Non.

- Allez... Tu vas voir la mer !

- Super... Et toi ? Pourquoi t'es là ?

- C'est la concierge... Elle pensait que t'étais mort...

— Elle va être déçue...

— C'est clair.

Ils riaient.

- Tu... T'es HIV aussi ?

— Nan. Ça c'était juste pour lui faire plaisir... Pour qu'elle s'attache à mon clebs... Nan, nan... J'ai fait ça bien. Je me suis bousillé proprement.

— C'est ta première cure ?

— Oui.

— Tu vas y arriver ?

— Oui

- ...

— J'ai eu de la chance... Il faut croiser les bonnes personnes, j'imagine... et je... je crois que je les tiens, là...

— Ton médecin ?

Ma médecin ! Oui mais pas seulement... Un psy aussi... Un vieux pépé qui m'a arraché la tête... Tu connais le V33 ?

— C'est quoi ? Un médicament ?

Non, c'est un produit pour décaper le bois...

— Ah oui ! Une bouteille vert et rouge, non ?

— Si tu le dis... Eh ben ce mec, c'est mon V33. Il met et le produit, ça brûle, ça fait des cloques et le coup d'après, il prend sa spatule et décolle toute la merde... Regarde-moi. Sous mon crâne je suis nu comme un ver !

Il n'arrivait plus à sourire, ses mains tremblaient :

- Putain, c'est dur... C'est trop dur... Je pensais pas que...

Il releva la tête.

- Et puis euh... Y a eu quelqu'un d'autre aussi... Une petite nana avec des cuisses de mouche qu'a remonté son fute avant que j'aie eu le temps d'en voir plus, hélas...

— C'est quoi ton nom ?

— Camille.

Il le répéta encore et se tourna vers le mur :

— Camille... Camille... Le jour où t'es apparue, Camille, j'avais un mauvais rencard... Il faisait trop froid et j'avais plus tellement envie de me battre, il me semble... Mais, bon. T'étais là... Alors je t'ai suivie... Je suis galant comme mec...

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