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Il riait. Il pleurait.

— Putain, mon Philou... de grosses larmes coulaient sur ses joues, ça faisait des mois que j'arrivais plus à me regarder dans une glace... T'y crois à ça ? Putain, t'y crois ? tremblait-il.

Philibert lui tendit son mouchoir.

— Tout va bien. Tout va bien. On va te la chouchouter, nous... T'inquiète pas...

Franck se moucha et avança la voiture, il se précipita vers les filles pendant que Philibert récupérait la valise.

— Non, non, restez devant jeune homme ! Vous avez des grandes jambes, vous...

Silence de mort pendant quelques kilomètres. Chacun se demandant s'il ne venait pas de faire une énorme bêtise justement... Puis, tout à coup, ingénue, Paulette chassa les nuées :

— Dites... Vous m'emmènerez au spectacle ? On ira voir des opérettes ?

Philibert se retourna en chantonnant : « Je souis Brésilien, jé de l'ol, Et j'allive dé Rio Janèl, Plous liche aujould'houi qué naguel, Palis, Palis, je té léviens encol ! »

Camille lui prit la main et Franck sourit à Camille dans le rétroviseur.

Nous quatre, ici, maintenant, dans cette Clio pourrie, libérés, ensemble, et que vogue la galère...

Tou cé que là-baaas jééé voléééééé ! reprirent-ils tous en chœur.

QUATRIÈME PARTIE

1

C'est une hypothèse. L'histoire n'ira pas assez loin pour le confirmer. Et puis nos certitudes ne tiennent jamais debout. Un jour on voudrait mourir et le lendemain on réalise qu'il suffisait de descendre quelques marches pour trouver le commutateur et y voir un peu plus clair... Pourtant ces quatre-là s'apprêtaient à vivre ce qui allait rester, peut-être, comme les plus beaux jours de leurs vies.

A partir de ce moment précis où ils sont en train de lui montrer sa nouvelle maison en guettant, mi-émus, mi-inquiets, ses réactions et ses commentaires (elle n'en fera pas) et jusqu'au prochain badaboum du destin -ce plaisantin — un vent tiède soufflera sur leurs visages fatigués.

Une caresse, une trêve, un baume.

Sentimental healing comme dirait l'autre...

Dans la famille Bras Cassés, nous avions désormais la grand-mère, et même si la tribu n'était pas complète, elle ne le serait jamais, ils n'avaient pas l'intention de se laisser abattre.

Aux sept familles, ils étaient dans les choux ? Eh bien parlons poker ! Là, ils étaient servis et l'on appelait cela un carré. Bon, un carré d'as, peut-être pas... Trop de bosses, de bafouillages et de coutures dans tous les sens pour y prétendre mais... Hé ! Un carré !

Ce n'étaient pas de très bons joueurs, hélas...

Même concentrés. Même déterminés à garder la main pour une fois, comment demander à un chouan désarmé, à une fée fragile, à un garçon taillé dans l'échine et à une vieille dame couverte de bleus de savoir bluffer ?

Impossible.

Bah... tant pis... Une petite mise et des gains ridicules valaient toujours mieux que de se coucher...

2

Camille n'alla pas jusqu'au bout de son préavis : Josy B. sentait décidément trop mauvais. Elle devait passer au siège (ce mot...) pour négocier son départ et pouvoir toucher son... Comment disaient-ils déjà ?.. Son solde de tout compte. Elle avait travaillé plus d'un an et n'avait jamais pris de vacances. Elle soupesa le pour et le contre et décida de s'asseoir dessus.

Mamadou lui en voulait :

— Alors toi... Alors toi... ne cessa-t-elle de répéter le dernier soir en lui donnant des coups de balai dans les jambes. Alors toi...

— Alors moi, quoi ? s'énerva Camille au bout de la centième fois. Finis ta phrase, merde ! Moi quoi ?

L' autre secoua la tête tristement :

— Alors toi... rien.

Camille changea de pièce.

Elle habitait dans la direction opposée, mais monta dans la même rame déserte qu'elle et la força à se pousser un peu pour partager la même banquette. Elles étaient comme Astérix et Obélix quand ils sont fâchés. Elle lui donna un petit coup de coude dans le gras et l'autre l'envoya presque dinguer par terre.

Elles recommencèrent plusieurs fois.

— Hé Mamadou... Fais pas la gueule...

— Je fais pas la gueule et je t'interdis deu m'appeler Mamadou encore une fois. Je m'appelle pas Mamadou! Je déteste ce nom ! C'est les filles du boulot qui me traitent comme ça mais je m'appelle pas du tout Mamadou. Et comme tu n'es plus une fille du boulot que je sache, je t'interdis deu me traiter comme ça une seule fois deu plus, tu as compris ?

— Ah bon ? Ben tu t'appelles comment alors ?

— Je te le dirai pas.

— Écoute Mam... euh ma chère... à toi, je vais dire la vérité : je ne pars pas à cause de Josy. Je ne pars pas à cause du boulot. Je ne pars pas pour le plaisir de partir. Je ne pars pas à cause de l'argent. La vérité c'est... que je pars parce que j'ai un autre métier... Un métier que... enfin, je crois... je... Je ne suis pas sûre, hein... mais un métier où je suis meilleure qu'ici et... où je crois que je pourrais être plus heureuse...

Silence.

— Et puis ce n'est pas la seule raison... Je m'occupe d'une vieille dame maintenant et je ne veux plus partir le soir, tu comprends ? J'ai peur qu'elle tombe...

Silence.

— Bon, ben je vais descendre, hein... Parce que sinon je serai encore bonne pour payer le tacos...

L'autre lui tira sur le bras et la rassit de force.

— Reste encore je te dis. Il est que minuit trente quatre...

— C'est quoi ?

— Pardon?

— Ton autre métier, c'est quoi ?

Camille lui tendit son carnet.

— Tiens, lâcha-t-elle en le lui rendant, c'est bien. Je suis d'accord alors. Tu peux y aller maintenant mais quand même... J'étais bien contente deu te connaître, petite sauterelle, ajouta-t-elle en se retournant.

— J'ai encore un service à te demander, Mama...

- Tu veux que mon Léopold, il te fasse le succès

garanti et l'attraction de clientèle aussi ?

- Non. Je voudrais que tu poses pour moi...

— Que je pose quoi ?

- Ben, toi ! Que tu me serves de modèle...

— Moi?

— Oui.

— Tu te moques ou quoi dis donc ?

— Depuis le premier jour où je t'ai vue, à l'époque on travaillait à Neuilly, je me souviens... J'ai envie de faire ton portrait...

— Arrête Camille ! Je ne suis même pas belle, moi !

— Pour moi si.

Silence.

— Pour toi si ?

— Pour moi si...

— Qu'est-ce qui est beau là-deudans ? demanda-t-elle en avisant du doigt son reflet dans la vitre noire. Hein ? Où c'est ce que tu dis ?

— Si j'arrive à faire ton portrait, si je le réussis, on verra dedans tout ce que tu m'as raconté depuis qu'on se connaît... Tout... On verra ta mère et ton père. Et tes enfants. Et la mer. Et... comment elle s'appelait déjà ?

— De qui ?

— Ta petite chèvre ?

— Bouli...

— On verra Bouli. Et ta cousine qui est morte et... Et tout le reste...

- Tu parles comme mon frère, toi ! Tu jacasses des drôles deu fantaisies dis donc !

Silence.

- Mais... je ne suis pas sûre de le réussir...

- Ah bon ? Note que si on voit pas ma Bouli sur ma tête ça m'arrange aussi ! rigola-t-elle. Mais... Ce que tu me demandes, là, c'est long, non ?

- Oui.

- Alors je peux pas...

- Tu as mon numéro... Dépose un jour ou deux chez Touclean et viens me voir. Je te payerai tes heures... On paye toujours ses modèles... C'est un métier, tu sais... Bon, je te quitte, là. On... on s'embrasse pas?

L'autre l'étouffa sur son cœur.

— Comment tu t'appelles Mamadou ?

— Je te le dirai pas. Je l'aime pas mon nom...

Camille courut le long du quai en mimant un téléphone contre son oreille. Son ancienne collègue fit un geste las de la main. Oublie-moi, petite toubab, oublie-moi. Tu m'as déjà oubliée d'ailleurs...

64
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