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A
A

Je fais ce que je peux, je fais ce que je peux...

Vas-y, on te fait confiance.

Non, non, ne me faites pas confiance, ça me stresse.

Ttt tt, allez... Dépêche-toi. Tu es déjà très en retard...

10

Philibert était malheureux. Il poursuivait Franck à travers tout l'appartement :

— Ce n'est pas raisonnable. Vous partez trop tard... Dans une heure il fera nuit... Il va geler... Non, ce n'est pas raisonnable... Partez de... demain matin...

— Demain matin, on tue le cochon.

— Mais que... quelle idée aussi ! Ca... Camille, il se tordait les mains, res... reste avec moi, je t'emmènerai au Pa... Palais des Thés...

— Ça va, bougonna Franck en glissant sa brosse à dents dans une paire de chaussettes, c'est pas le bout du monde quand même... On y sera dans une heure...

— Oh, ne... ne dis pas... pas ça... Tu... tu vas encore rou... rouler co... comme un fou...

— Mais non...

— Mais si, je... je te co... connais...

— Philou, arrête ! Je vais pas te l'abîmer, je te le jure... Tu viens, la miss ?

— Oh... Je... Je...

— Tu quoi ? fit-il excédé.

— Je n'ai que... que vous au monde...

Silence.

— Oh là là... J'y crois pas... Les violons maintenant...

Camille se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser :

— Moi aussi, je n'ai que toi au monde... Ne t'inquiète pas...

Franck soupira.

— Mais qui c'est qui m'a foutu une équipe de branquignols pareils ! On nage en plein mélo, là ! On va pas à la guerre, putain ! On part quarante-huit heures !

— Je te ramènerai un bon steak, lui lança Camille en s'engouffrant dans l'ascenseur.

Les portes se refermèrent sur eux.

— Hé?

— Quoi ?

— Y a pas de steaks dans le cochon...

— Ah bon ?

— Ben non.

— Ben y a quoi alors ?

Il leva les yeux au ciel.

11

Ils n'étaient pas encore à la porte d'Orléans, qu'il s'arrêta sur le bas-côté et lui fit signe de descendre :

— Attends, y a un truc qui va pas du tout, là...

— Quoi ?

— Quand je me penche, tu dois te pencher avec moi.

— Tu es sûr ?

— Mais oui, je suis sûr ! Tu vas nous foutre dans le décor avec tes conneries !

— Mais... Je croyais qu'en me penchant dans l'autre sens, je nous équilibrais...

— Putain, Camille... Je saurais pas te faire un cours de physique mais c'est une question d'axe de gravité, tu comprends ? Si on se penche ensemble, les pneus adhèrent mieux...

— T'es sûr ?

— Certain. Penche-toi avec moi. Fais-moi confiance...

— Franck ?

— Quoi encore ? T'as peur ? Il est encore temps de reprendre le métro, tu sais ?

— J'ai froid.

— Déjà ?

— Oui...

— Bon... Lâche les poignées et colle-toi contre moi... Colle-toi le plus possible et passe tes mains sous mon blouson...

— D'accord.

— Hé?

— Quoi ?

— T'en profites pas, hein ? ajouta-t-il goguenard, en lui rabattant sa visière d'un coup sec.

Cent mètres plus loin, elle était de nouveau frigorifiée, au péage elle était congelée et dans la cour de la ferme, elle fut incapable de récupérer ses bras.

Il l'aida à descendre et la soutint jusqu'à la porte.

— Ah ben, te v'ià, toi... Ben qu'est-ce tu nous amènes là?

— Une fille panée.

— Entrez donc, mais entrez, je vous dis!... Jeannine ! Vlà le Franck avec sa copine...

— Oh la petiote... se lamenta la bonne femme, ben qu'est-ce tu lui as fait ? Oh... C'est pas malheureux ça... Elle est toute bleue, la gamine... Poussez-vous, vous autres... Jean-Pierre ! Mets-y donc une chaise dans la cheminée !

Franck s'agenouilla devant elle :

— Hé, il faut que tu enlèves ton manteau maintenant...

Elle ne réagissait pas.

— Attends, je vais t'aider... Tiens, donne-moi tes pieds...

Il lui ôta ses chaussures et ses trois paires de chaussettes.

— Là... c'est bien... Allez... Le haut maintenant...

Elle était si contractée qu'il eut toutes les peines du monde à sortir ses bras des emmanchures... Voilà... Laisse-toi faire, mon petit glaçon...

— Bon Dieu ! mais donnez-lui queque chose de chaud ! cria-t-on dans l'assemblée...

Elle était le nouveau centre d'attraction.

Ou comment décongeler une Parisienne sans la casser...

— J'ai des rognons tout chauds ! tonna Jeannine.

Vent de panique dans la cheminée. Franck lui sauva la mise :

— Non, non, laissez-moi faire... Y a bien du bouillon qui traîne, par là... demanda-t-il en soulevant tous les couvercles.

— C'est la poule d'hier...

— Parfait. Je m'en occupe... Servez-lui un coup à boire pendant ce temps-là.

Au fur et à mesure qu'elle lapait son bol, ses joues reprirent des couleurs.

— Ça va mieux ?

Elle acquiesça.

— De quoi ?

— Je disais que c'était la deuxième fois que tu me préparais le meilleur bouillon du monde...

— Je t'en ferai d'autres, va... Tu viens t'asseoir à table avec nous ?

— Je peux rester encore un peu dans la cheminée ?

— Mais oui ! gueulèrent les autres, laisse-la donc ! On va la fumer comme les jambons !

Franck se releva à contrecœur...

— Tu peux bouger tes doigts ?

— Euh... oui...

— Y faut que tu dessines, hein ? Moi je veux bien te faire à manger, mais toi, tu dois dessiner... Tu dois jamais t'arrêter de dessiner, compris ?

— Maintenant ?

— Nan, pas maintenant, mais toujours...

Elle ferma les yeux.

— D'accord.

— Bon... j'y vais. Donne-moi ton verre, je vais te resservir...

Et Camille fondit peu à peu. Quand elle vint les rejoindre, ses joues étaient en feu.

Elle assista à leur conversation sans rien y comprendre et regardait leurs trognes admirables en souriant aux anges.

— Allez... Le dernier coup de gnôle et au plume ! Parce que demain, on se lève tôt les enfants ! Y a le Gaston qui sera là à sept heures...

Tout le monde se leva.

— C'est qui le Gaston ?

— C'est le tueur, murmura Franck, tu vas voir le personnage... C'est quelque chose...

— Bon ben, c'est là... ajouta Jeannine, la salle de bains est en face et je vous ai mis des serviettes propres sur la table... Ça ira ?

— Super, répondit Franck, super... Merci...

— Dis pas ça, mon grand, on est drôlement content de te voir, tu le sais bien... Et la Paulette ?

Il piqua du nez.

— Allez, allez... On n'en parle pas, fit-elle en lui serrant le bras, ça s'arrangera, va...

— Vous la reconnaîtriez pas, Jeannine...

— Parlons pas de ça, je te dis... T'es en vacances, là...

Quand elle eut refermé la porte, Camille s'inquiéta :

— Hé ! Mais y a qu'un lit...

— Bien sûr que y a qu'un lit. C'est la campagne ici, pas l'hôtel Ibis !

— Tu leur as dit qu'on était ensemble ? fulmina-t-elle.

— Mais non ! J'ai juste dit que je venais avec une copine, c'est tout !

— Ben voyons...

— Ben voyons quoi ? s'énerva-t-il.

— Une copine, ça veut dire une fille que tu sautes. Où donc avais-je la tête, moi ?

— Putain, t'es vraiment casse-couilles dans ton genre, hein ?

Il s'assit au bord du lit pendant qu'elle sortait ses affaires.

— C'est la première fois...

— Pardon ?

— C'est la première fois que j'amène quelqu'un ici.

— C'est sûr... Tuer le cochon c'est pas ce qu'il y a de plus glamour pour emballer...

— Ça n'a rien à voir avec le cochon. Ça n'a rien à voir avec toi. C'est...

— C'est quoi ?

Franck s'allongea en travers du lit et s'adressa au plafond :

— Jeannine et Jean-Pierre, y z'avaient un fils... Frédéric... Un mec super... C'était mon pote... Le seul que j'aie jamais eu d'ailleurs... On a fait l'école hôtelière ensemble et s'il avait pas été là, je serais pas là, moi non plus... Je sais pas où je serais, mais... Enfin, bref... Il est mort y a dix ans... Accident de voiture... Même pas de sa faute... Un connard qui s'est pas arrêté au stop... Alors, voilà, moi, je suis pas Fred bien sûr, mais ça y ressemble... Je viens tous les ans... Le cochon c'est prétexte... Y me regardent et puis qu'est-ce qu'y voient ? Des souvenirs, des paroles et le visage de leur gamin quand il avait même pas vingt ans... La Jeannine, elle est toujours en train de me toucher, de me peloter... Pourquoi elle fait ça, à ton avis ? Parce que je suis la preuve qu'il est encore là... Je suis sûr qu'elle nous a mis ses plus beaux draps et qu'elle est en train de se retenir à la rampe d'escalier, à l'heure qu'il est...

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