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— Euh...

- S'il'il n'a pas l'habitude, montrez-lui ce code-là : 401 A02.1. Pour le reste, vous verrez ça avec votre CNAM, n'est pas?

- Ah... d'accord... euh... C'est quoi ?

Une fois sur le trottoir, Paulette chancela :

- Si tu me fais voir un docteur, il va me renvoyer à l'hospice...

- Hé! Ma Paulette, du calme... On n'ira jamais, je les déteste autant que vous, on va s'arranger... Ne vous inquiétez pas...

— Ils vont me retrouver... Ils vont me retrouver... pleurait-elle.

Elle n'eut pas d'appétit et resta prostrée sur son lit toute l'après-midi.

— Qu'est-ce qu'elle a ? s'inquiéta Franck.

— Rien. On est allées à la pharmacie pour un fauteuil et comme la bonne femme a parlé de voir un médecin, ça l'a traumatisée...

— Un fauteuil de quoi ?

— Ben... un fauteuil roulant !

— Pour quoi faire ?

— Ben pour rouler, idiot ! Pour voir du pays !

— Putain mais qu'est-ce que tu fous aussi ? Elle est bien, là ! Pourquoi tu veux la secouer comme une bouteille d'Orangina ?

— Oh... Tu commences à me gonfler, toi, tu sais? T'as qu'à t'en occuper aussi ! T'as qu'à la torcher de temps en temps, ça te remettrait les idées en place, tiens ! Pour moi, c'est pas un problème de me la coltiner, elle est adorable ta mémé, mais j'ai besoin de bouger, d'aller me balader, de m'ouvrir la tête, merde ! Pour toi, c'est sûr, c'est nickel, ça va en ce moment ? Rassure-moi, y a rien qui te contrarie ? Que ce soit Philou, Paulette ou toi, le périmètre maison-, miam-miam, boulot, dodo, ça vous suffit... Eh ben moi, non ! Moi je commence à étouffer, là ! En plus j'adore marcher et ça va être les beaux jours... Alors je te le répète : faire la garde-malade, je veux bien, mais avec l'option grand tourisme, sinon vous vous dém...

— Quoi ?

— Rien !

— Te mets pas dans cet état...

— Mais je suis obligée ! T'es tellement égoïste que si je gueule pas, tu feras jamais rien pour m'aider !

Il partit en claquant la porte et elle s'enferma dans sa chambre.

Quand elle en ressortit, ils étaient tous les deux dans l'entrée. Paulette était aux anges : son petit s'occupait d'elle.

— Allez la grosse, assieds-toi. C'est comme avec une bécane, il faut de bons réglages pour aller loin...

Il était accroupi et bidouillait toutes les manettes :

— Ils sont bien là, tes pieds ?

— Oui.

— Et tes bras ?

— Un peu trop hauts...

— Bon Camille, amène-toi. Puisque c'est toi qui vas pousser, viens par là qu'on te règle les poignées...

— Parfait. Allez faut que j'y aille... Accompagnez-moi au taf on va l'essayer...

— Y rentre dans l'ascenseur ?

— Non. Il faut le plier, s'énerva-t-il... Mais tant mieux, elle est pas impotente que je sache ?

— Broum, brrroum... Attache ta ceinture Fangio, je suis à la bourre.

Ils traversèrent le parc à toute allure. Au feu rouge, Paulette avait les cheveux en pagaille et les joues toutes roses.

— Bon allez... Je vous laisse, les filles. Envoyez-moi une carte postale quand vous serez à Katmandou...

Il avait déjà parcouru quelques mètres quand il se retourna :

- Ho! Camille ?

- T'oublies pas ce soir ?

- De quoi ?

- Les crêpes...

- Merde!

Elle avait posé sa main sur sa bouche :

- J'avais oublié... Je suis pas là.

Il venait de perdre quelques centimètres.

- En plus, c'est important... Je peux pas annuler... C'est pour le boulot...

— Et elle ?

— J'ai demandé à Philou de prendre la relève...

— Bon, ben... Tant pis, hein ? On les mangera sans toi...

Il eut le désespoir stoïque et s'éloigna en se tortillant.

L'étiquette de son nouveau slip le grattait.

14

Mathilde Daens-Kessler était la plus jolie femme que Camille ait jamais rencontrée. Très grande, beaucoup plus grande que son mari, très mince, très gaie, très cultivée. Elle foulait notre petite planète sans y prendre garde, s'intéressait à tout, s'étonnait d'un rien, s'amusait, s'indignait mollement, posait sa main sur la vôtre quelquefois, parlait toujours à voix basse, connaissait parfaitement quatre ou cinq langues et cachait son jeu derrière un sourire décourageant.

Si belle qu'elle n'eut jamais l'idée de la dessiner...

C'était trop risqué. Elle était trop vivante.

Une petite esquisse, une fois. Son profil... Le bas de sn chignon et ses boucles d'oreilles... Pierre la lui avait volée mais ce n'était pas elle. Manquait sa voix grave, son éclat et le creux de ses fossettes quand elle riait.

Elle avait la bienveillance, l’arrogance et la désinvolture de ceux qui sont nés dans des draps bien tissés. Son père avait été un grand collectionneur, elle avait toujours vécu au milieu de belles choses et n’avait jamais rien compté de sa vie, ni ses biens, ni ses amis et encore moins ses ennemis.

Elle était riche, Pierre était entreprenant.

Elle se taisait quand il parlait et rattrapait ses conneries dès qu’il avait le dos tourné. Il rabattait de jeunes poulains. Il ne se trompait jamais, c'est lui qui avait lancé Voulys et Barcarès par exemple et elle s'arrangeait pour les retenir.

Elle retenait qui elle voulait.

Leur première rencontre, Camille s'en souvenait très bien, avait eu lieu aux Beaux-Arts lors d'une exposition de travaux de fin d'année. Une espèce d'aura les précédait... Le marchand terrible et la fille de Witold Daens... On espérait leur venue, on les craignait et l'on guettait leurs moindres réactions. Elle s'était sentie misérable lorsqu'ils étaient venus les saluer, elle et sa bande de pouilleux... Elle avait baissé la tête en lui serrant la main, esquivé maladroitement quelques compliments et cherché du regard un trou de souris où disparaître enfin.

C'était en juin, il y a presque dix ans... Des hirondelles donnaient un concert dans la cour de l'école et ils buvaient un mauvais punch en écoutant pieusement les propos de Kessler. Camille n'entendait rien. Elle regardait sa femme. Ce jour-là, elle portait une tunique bleue et une large ceinture en argent où s'affolaient de minuscules grelots lorsqu'elle bougeait.

Le coup de foudre...

Ensuite ils les avaient invités dans un restaurant de la rue Dauphine et, à la fin d'un dîner bien arrosé, son petit ami l'avait sommée d'ouvrir son carton. Elle avait refusé.

Quelques mois plus tard, elle était revenue les voir. Seule.

Pierre et Mathilde possédaient des dessins de Tiepolo, de Degas et de Kandinsky mais n'avaient pas d'enfant. Camille n'osa jamais aborder ce sujet et s'abandonna dans leurs filets sans retenue. Ensuite, elle s'avéra si décevante que les mailles se distendirent...

— C'est n'importe quoi ! Tu fais n'importe quoi! l'engueulait Pierre.

- Pourquoi tu ne t'aimes pas ? Pourquoi ? ajoutait Mathilde plus doucement.

Et elle ne vint plus à leurs vernissages.

Dans l'intimité, il se désolait encore :

— Pourquoi ?

— On ne l'a pas assez aimée, répondait sa femme.

— Nous ?

— Tout le monde...

Il s'abandonnait sur son épaule en gémissant :

— Oh... Mathilde... Ma toute belle... Pourquoi tu l'as laissée filer, celle-ci ?

— Elle reviendra...

— Non. Elle va tout gâcher...

— Elle reviendra.

Elle était revenue.

— Pierre n'est pas là ?

— Non, il dîne avec ses Anglais, je ne lui ai pas dit que tu venais, j'avais envie de te voir un peu...

Puis, avisant son carton :

- Mais... Tu... tu as quelque chose là ?

- Nan, c'est rien... Un petit truc que je lui avais promis l'autre jour...

- Je peux voir ?

Camille ne répondit pas.

— Bon, je l'attendrai...

- C'est de toi ?

- Hon hon...

- Mon Dieu... Quand il va savoir que tu n'es pas venue toute seule, il va hurler de désespoir... Je vais l'appeler...

- Non, non ! répliqua Camille, laissez ! Ce n'est rien je vous dis... C'est entre nous. Une sorte de quittance de loyer...

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