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Quand il était enfant, il souffrait d'insomnie, cauchemardait, hurlait, l'appelait et lui soutenait que lorsqu'elle fermait la porte, ses jambes partaient dans un trou et qu'il devait s'accrocher aux barreaux du lit pour ne pas les suivre. Toutes les institutrices lui avaient suggéré de consulter un psychologue, les voisines hochaient la tête gravement et lui conseillaient plutôt de le mener au rebouteux pour qu'il lui remette les nerfs en place. Quant à son mari, lui, il voulait l'empêcher de monter. C'est toi qui nous le gâtes ! il disait, c'est toi qui le détraques ce gamin ! Bon sang, t'as qu'à moins l'aimer aussi ! T'as qu'à le laisser chialer un moment, d'abord y pissera moins et tu verras qu'y s'endormira quand même...

Elle disait oui oui gentiment à tout le monde mais n'écoutait personne. Elle lui préparait un verre de lait chaud sucré avec un peu d'eau de fleur d'oranger, lui soutenait la tête pendant qu'il buvait et s'asseyait sur une chaise. Là, tu vois, juste à côté. Elle croisait les bras, soupirait et s'assoupissait avec lui. Avant lui souvent. Ce n'était pas grave, tant qu'elle était là, ça allait. Il pouvait allonger ses jambes...

— Je te préviens, y a plus d'eau chaude... lâcha Franck.

— Ah, c'est ennuyeux... Je suis confus, tu...

— Mais arrête de t'excuser, merde ! C'est moi qui l'ai vidé le ballon, OK ? C'est moi. Alors t'excuse pas !

— Pardon, je croyais que...

— Oh, et puis tu fais chier à la fin, si tu veux toujours faire la carpette, c'est ton problème après tout...

Il quitta la pièce et alla repasser sa tenue. Il fallait absolument qu'il se rachète des vestes parce qu'il n'arrivait plus à assurer un bon roulement. Il n'avait pas le temps. Jamais le temps. Jamais le temps de rien faire, merde !

Il n'avait qu'un jour de libre par semaine, il n'allait quand même pas le passer dans une maison de vieux à Pétaouchnoque, à regarder sa grand-mère chialer !

L'autre s'était déjà installé dans son fauteuil avec ses parchemins et tout son bordel d'écussons.

— Philibert...

— Pardon ?

— Écoute... euh... Je m'excuse pour tout à l'heure, je... J'ai des galères en ce moment, et je suis à cran, tu vois... En plus j'suis crevé...

— C'est sans importance...

— Si, c'est important.

— Ce qui est important, vois-tu, c'est de dire « excuse-moi » et pas « je m'excuse ». Tu ne peux pas t'excuser tout seul, linguistiquement ce n'est pas correct...

Franck le dévisagea un moment avant de secouer la tête:

— T'es vraiment un drôle de zigue, toi...

Avant de passer la porte, il ajouta :

— Hé, tu regarderas dans le frigo, je t'ai ramené un truc. Je ne sais plus ce que c'est... Du canard, je crois...

Philibert remercia un courant d'air. Notre charretier était déjà dans l'entrée en train de pester parce qu'il ne retrouvait pas ses clefs.

Il assura son service sans prononcer la moindre parole, ne broncha pas quand le chef vint lui prendre la casserole des mains pour faire son intéressant, serra les dents quand on lui renvoya un magret pas assez cuit et frotta sa plaque de chauffe pour la nettoyer comme s'il avait voulu récupérer des copeaux de fonte.

La cuisine se vida et il attendit dans un coin que son pote Kermadec ait fini de trier ses nappes et de compter ses serviettes. Quand ce dernier l'avisa, assis dans un coin en train de feuilleter Moto Journal, il l'interrogea du menton :

— Qu'est-ce qui veut, le cuistot ?

Lestafier renversa sa tête en arrière et mit son pouce devant sa bouche.

— J'arrive. Encore trois bricoles et je suis à toi...

Ils avaient l'intention de faire la tournée des bars, mais Franck était déjà ivre mort en sortant du second.

Il retomba dans un trou cette nuit-là, mais pas celui de son enfance. Un autre.

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— Bon, ben, c'était pour m'excuser quoi... Enfin, pour vous les demander...

— Me demander quoi, mon gars ?

— Ben des excuses...

— Je t'ai déjà pardonné, va... Tu ne les pensais pas tes paroles, je le sais bien, mais y faut que tu fasses attention quand même... Tu sais, faut en prendre soin des gens qui sont corrects avec toi... Tu le verras en vieillissant que tu n'en croiseras pas tant que ça...

— Vous savez, j'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit hier et même si ça m'arrache la bouche de vous le dire, je sais bien que c'est vous qui avez raison...

— Bien sûr que j'ai raison... Je les connais bien les vieux, j'en vois toute la journée par ici...

— Alors euh...

— Quoi ?

— Le problème, c'est que j'ai pas le temps de m'en occuper, je veux dire de trouver une place et tout ça...

— Tu veux que je m'en charge ?

— Je peux vous payer vos heures, vous savez...

— Ne recommence pas avec tes grossièretés, petit bezot, je veux bien t'aider, mais c'est toi qui dois lui annoncer. C'est à toi de lui expliquer la situation...

— Vous viendrez avec moi ?

— Je veux bien, si ça t'arrange, mais tu sais, moi, elle sait parfaitement ce que j'en pense... Depuis le temps que je lui monte le bourrichon...

— Il faut lui trouver quelque chose de classe, hein ? Avec une belle chambre et un grand parc surtout...

— C'est très cher, ça, tu sais...

— Cher comment ?

— Plus d'un million par mois...

— Euh... Attendez, Yvonne, vous parlez en quoi, là ? C'est les euros maintenant...

— Oh, les euros... Moi, je te parle comme j'ai l'habitude de parler et pour une bonne maison, il faut compter plus d'un million ancien par mois...

— Franck ?

— C'est... C'est ce que je gagne...

— Tu dois aller à la CAF pour demander une allocation logement, voir ce que représente la retraite de ton grand-père, et puis monter un dossier APA auprès du Conseil général...

— C'est quoi l'apa ?

— C'est une aide pour les personnes dépendantes ou handicapées.

— Mais... Elle est pas vraiment handicapée, si ?

— Non, mais il faudra qu'elle joue le jeu quand ils lui enverront un expert. Faudra pas qu'elle ait l'air trop vaillante, sinon vous toucherez pas grand-chose...

— Oh, putain, quel bordel... Pardon.

— Je me bouche les oreilles.

— J'aurai jamais le temps de remplir tous ces papiers... Vous voulez bien débroussailler un peu le terrain pour moi ?

— Ne t'inquiète pas, je vais lancer le sujet au Club vendredi prochain, et je suis sûre de faire un tabac !

— Je vous remercie, madame Carminot...

— Penses-tu... C'est bien le moins, va...

— Bon, ben, je vais aller bosser, moi...

— Y paraît que tu cuisines comme un chef maintenant ?

— Qui c'est qui vous a dit ça ?

— Madame Mandel...

— Ah...

— Oh, là là, si tu savais... Elle en parle encore ! Tu leur avais fait un lièvre à la royale, ce soir-là...

— Je me rappelle plus.

— Elle, elle s'en souvient, tu peux me croire ! Dis-moi, Franck ?

— Oui?

— Je sais bien que ce ne sont pas mes affaires, mais... Ta mère ?

— Ma mère, quoi ?

— Je ne sais pas, mais je me disais qu'il faudrait peut-être la contacter, elle aussi... Elle pourrait peut-être t'aider à payer...

— Là, c'est vous qui êtes grossière Yvonne, c'est pas faute de l'avoir connue, pourtant...

— Tu sais, les gens changent quelquefois...

— Pas elle.

— Non. Pas elle... Bon, j'y vais, je suis à la bourre...

— Au revoir, mon petit.

— Euh?

— Oui?

— Essayez de trouver un peu moins cher quand même...

— Je vais voir, je te dirai...

— Merci.

Il faisait si froid ce jour-là que Franck fut content de retrouver la chaleur de la cuisine et son poste de galérien. Le chef était de bonne humeur. On avait encore refusé du monde et il venait d'apprendre qu'il aurait une bonne critique dans un magazine de bourges.

— Avec ce temps, mes enfants, on va en dépoter du foie gras et des grands crus ce soir ! Ah, c'est fini les salades, les chiffonnades et toutes ces conneries ! C'est bien fini ! Je veux du beau, je veux du bon et je veux que les clients ressortent d'ici avec dix degrés de plus ! Allez ! Mettez-moi le feu, mes petits gars !

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