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— Euh... rétorqua Philibert, ne vaudrait-il pas mieux que Camille, hum, prenne le grand lit, hum...

Ils le regardèrent en souriant.

— Je suis myope certes, mais pas à ce point tout de même...

— Non, non, répliqua Franck, elle va dans ma chambre... On fait comme tes cousins... Jamais avant le mariage...

C'est parce qu'il voulait dormir avec elle dans son lit d'enfant. Sous ses posters de foot et ses coupes de motocross. Ce ne serait pas très confortable ni très romantique mais c'était la preuve que la vie était une bonne fille malgré tout.

Il s'était tellement ennuyé dans cette chambre... Tellement ennuyé...

Si on lui avait dit qu'un jour il ramènerait une princesse ici et qu'il s'allongerait, là, à côté d'elle, dans ce petit lit en laiton où il y avait un trou autrefois, où il se perdait enfant et où il se frottait ensuite en rêvant à des créatures tellement moins jolies qu'elle... Il s'y aurait jamais cru... Lui, le boutonneux avec ses grands pieds et sa cassolette de bronze au-dessus de la tête... Non, ce n'était pas gagné d'avance, cette affaire...

Oui, la vie était une drôle de cuisinière... Des années en chambre froide et tac ! du jour au lendemain, sur le gril mon gars !

— À quoi tu penses ? demanda Camille

— À rien... Des conneries... Ça va, toi ?

— J'arrive pas à croire que t'aies grandi ici...

- Pourquoi ?

- Pff... C'est tellement paumé... C'est même pas un village— c'est... C'est rien... Que des petites maisons avec des petits vieux aux fenêtres... Et cette baraque, là... Où rien n'a changé depuis les années 50... J'avais jamais vu une cuisinière comme ça... Et le poêle qui prend toute la place ! Et les cabinets dans le jardin ! Comment un enfant peut-il s'épanouir ici ? Comment t'as fait ? Comment t'as fait pour t'en sortir ?

— Je te cherchais...

— Arrête... Pas de ça, on a dit...

Tu as dit...

— Allez...

— Tu sais bien comment j'ai fait, t'as connu la même chose... Sauf que moi, j'avais la nature... J'ai eu cette chance... J'étais tout le temps dehors... Et Philou a beau dire ce qu'il veut, c'était un rossignol. Je le sais, c'est mon pépé qui me l'a dit et mon pépé c'était la pie qui chante... Il avait pas besoin d'appeaux, lui...

— Et comment tu fais pour vivre à Paris ?

— Je ne vis pas...

— Il n'y a pas de travail par ici ?

— Non. Rien d'intéressant. Mais si j'ai des gosses un jour, je te jure que je les laisserai pas pousser au milieu des voitures, ça non... Un enfant qu'a pas une paire de bottes, une canne à pêche et un lance-pierre, c'est pas un vrai. Pourquoi tu souris ?

—Rien. Je te trouve mignon.

- J'aimerais mieux que tu me trouves autre chose...

- T'es jamais content.

- T'en voudras combien ?

- Pardon ?

- Des gamins ?

- Hé... râla-t-elle. Tu le fais exprès ou quoi ?

- Attends, mais je te dis ça, c'est pas forcément avec moi!

- J'en veux pas.

- Ah bon ? fit-il déçu.

- Non.

— Pourquoi ?

— Parce que.

Il l'attrapa par le cou et la ramena de force tout près de son oreille.

— Dis-moi...

— Non.

— Si. Dis-moi. Je le répéterai à personne...

— Parce que si je meurs, je veux pas qu'il reste tout seul...

— T'as raison. C'est pour ça qu'il faut en faire plein... Et puis tu sais...

Il la serrait encore plus fort.

— Tu vas pas mourir, toi... T'es un ange... et les anges ça meurt jamais...

Elle pleurait.

— Ben alors ?

— Nan, rien... C'est parce que je vais avoir mes règles... À chaque fois, c'est pareil... Ça me plombe de partout et je pleure pour un oui ou pour un non...

Elle souriait dans sa morve :

— Tu vois que je suis pas un ange...

5

Ils étaient dans le noir depuis longtemps, inconfortables et enlacés, quand Franck lâcha :

— Y a un truc qui me chiffonne, là...

— Quoi ?

— T'as une sœur, non ?

— Oui...

— Pourquoi tu la vois pas ?

— Je ne sais pas.

— C'est débile, ça ! Il faut que tu la voies !

— Pourquoi ?

— Parce que ! C'est super d'avoir une sœur ! Moi j'aurais tout donné pour avoir un frangin ! Tout ! Même mon biclou ! Même mes coins de pêche top secrets ! Même mes extra balls de flipper ! Comme dans la chan-son, tu sais... Les paires de gants, les paires de claques...

— Je sais... J'y ai pensé à un moment mais ie n'ai pas osé...

- Pourquoi ?

- À cause de ma mère peut-être...

- Arrête avec ta mère... Elle t'a fait que du mal... Sois pas maso... Tu lui dois rien, tu sais ?

- Bien sûr que si.

- Bien sûr que non. Quand ils se tiennent mal, on n'est pas obligé d'aimer ses parents.

- Bien sûr que si.

- Pourquoi ?

— Ben parce que ce sont tes parents justement...

— Pff... C'est pas dur d'être parents, y suffit de baiser. C'est après que ça se complique... Moi par exemple, je vais pas aimer une femme sous prétexte qu'elle s'est fait mettre dans un parking... J'y peux rien...

— Mais moi, c'est pas pareil...

— Nan, c'est pire. Dans quel état tu reviens à chaque fois que tu la vois... C'est affreux. T'as le visage tout...

— Stop. J'ai pas envie d'en parler.

— OK, OK, juste un dernier truc. T'es pas obligée de l'aimer. C'est tout ce que j'ai à dire. Tu vas me répondre que je suis comme ça à cause de mon malus et t'aurais raison. Mais c'est justement parce que j'ai déjà parcouru ce chemin-là que je te le montre : on n'est pas obligé d'aimer ses parents quand ils se comportent comme des grosses merdes, c'est tout.

— ...

— T'es fâchée ?

— Non.

— Excuse-moi.

— ...

— T'as raison. Toi, c'est pas pareil... Elle s'est toujours occupée de toi quand même... Mais elle ne doit pas t'empêcher de voir ta sœur si tu en as une... Franchement, elle ne vaut pas ce sacrifice-là...

— Non...

— Non.

6

Le lendemain, Camille jardina selon les instructions de Paulette, Philibert s'installa au fond du jardin pour écrire et Franck leur prépara une salade délicieuse.

Après le café, c'est lui qui s'endormit sur la chaise longue. Ouh, qu'il avait mal au dos...

Il allait commander un matelas pour la prochaine fois. Pas deux nuits comme ça... Oh non... La vie était bonne fille mais ce n'était pas la peine de prendre des risques idiots... Oh non...

Ils revinrent tous les week-ends. Avec ou sans Philibert. Plutôt avec.

Camille — elle le savait depuis toujours — était en train de devenir une pro du jardinage.

Paulette calmait ses ardeurs :

- Non. On ne peut pas planter ça ! Rappelle-toi qu'on ne vient qu'une fois par semaine. Il nous faut du costaud, du vivace... Des lupins si tu veux, des phlox, des cosmos... C'est très joli, ça, les cosmos... Tout légers... Ça te plairait, tiens...

Et Franck, par l'intermédiaire du beau-frère du collèguee de la sœur du gros Titi, se dégota une vieille moto pour aller au marché ou dire bonjour à René...

Il avait donc tenu trente-deux jours sans bécane et se demandait encore comment il avait fait...

Elle était vieille, elle était moche mais elle pétaradait du tonnerre :

— Écoutez-moi ça, leur criait-il depuis l'appentis où il échouait quand il n'était pas en cuisine, écoutez-moi cette merveille !

Tous levèrent mollement la tête de leurs semis ou de leur livre.

« Pêêêêt pet pet pet pet »

— Alors ? C'est dingue non ? On dirait une Harley !

Mouaif... Ils retournèrent à leurs distractions sans se fendre du moindre commentaire...

— Pff... Vous comprenez rien...

— Qui c'est ça, Ariette ? demanda Paulette à Camille.

— Ariette Davidson... Une super chanteuse...

— Connais pas.

Philibert inventa un jeu pour les trajets. Chacun devait apprendre quelque chose aux autres dans l'idée de transmettre un savoir.

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