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Elle riait.

— Et puis quoi ? Il était là ce gosse. Il avait rien demandé à personne, lui... On l'a aimé, tiens. On l'a aimé tant qu'on pouvait... Et peut-être même qu'on a été trop durs à certains moments... On voulait pas recommencer les mêmes erreurs alors on en a fait d'autres... Et tu n'as pas honte, toi, de me dessiner, là, maintenant ?

— Non.

- Tu as raison. La honte ça ne mène nulle part, crois-moi... La honte que t'as elle te sert à rien. Elle est juste là pour faire plaisir aux braves gens... Après quand y referment leurs volets ou qu'y reviennent du café, y se sentent bien chez eux. Tout rengorgés, y z'enfilent leurs chaussons et se regardent en souriant. C'est pas dans leur famille que ça serait tombé toute cette chienlit, ça non ! Mais... Rassure-moi. Tu ne me fais pas avec le verre à la main, tout de même ?

— Non, sourit Camille.

Silence.

— Mais après ? Ça s'est bien passé...

— Avec le petit ? Oui... C'était un bon gamin ma foi.., Bêtiseux mais franc du collier. Quand il était pas en cuisine avec moi, il était au jardin avec son pépé... Ou à la pêche... Il était enragé mais il poussait droit malgré tout. Il poussait droit... Même si la vie ne devait pas être très amusante tous les jours avec deux vieux comme nous qu'avions perdu l'envie de causer depuis si longtemps, mais enfin... On faisait ce qu'on pouvait... On jouait... On ne tuait plus les petits chats... On l'emmenait à la ville... Au cinéma... On lui payait ses autocollants de football et des bicyclettes neuves... Il travaillait bien à l'école, tu sais... Oh ! il n'était pas le premier mais il s'appliquait... Et puis elle est revenue encore et là, on a pensé que c'était bien qu'il parte. Qu'une drôle de mère c'était toujours mieux que rien... Qu'il aurait un père, un petit frère, que c'était pas une vie de grandir dans un village à moitié mort et que pour ses études, c'était une chance d'aller à la ville... Comment on est tombés dans le panneau encore une fois... Comme des bleus. Des bégassiaux sans cervelle... La suite, tu la connais : elle l'a cassé-en deux et elle la remis dans le direct de 16 h 12...

— Et vous n'avez plus jamais eu de nouvelles ?

— Non. Sauf en rêve... En rêve, je la vois souvent-Elle rit... Elle est belle... Montre-moi ce que t'as dessiné ?

— Rien. Votre main sur la table...

— Pourquoi tu me laisses radoter ainsi ? Pourquoi tu t'intéresses à tout ça, toi ?

— J'aime bien quand les gens ouvrent leur boîte...

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. C'est comme un autoportrait, non? Un autoportrait avec des mots...

— Et toi ?

- Moi, je ne sais pas raconter...

- Mais, pour toi non plus, ce n'est pas normal de passer tout son temps avec une vieille femme comme moi...

- Ah bon ? Et vous le savez ce qui est normal, vous ?

— Tu devrais sortir... Voir du monde... Des jeunes de ton âge ! Allez... Soulève-moi donc ce couvercle, là... Tu les as lavés les champignons ?

6

— Elle dort ? demanda Franck.

— Je crois...

— Dis donc, je viens de me faire choper par la gardienne, il faut que t'y ailles...

— On s'est encore planté dans les poubelles ?

— Non. C'est rapport au mec que t'héberges là-haut...

— Oh merde... Il a fait une connerie ?

Il écarta les bras en secouant la tête.

7

Pikou cracha sa bile et madame Perreira ouvrit sa porte-fenêtre en posant la main sur sa poitrine.

— Entrez, entrez... Assoyez-vous...

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Assoyez-vous, je vous dis.

Camille écarta les coussins et posa une demi-fesse sur sa banquette à ramages.

— Je le vois plus...

— De qui ? Vincent ? Mais... Je l'ai croisé l'autre jour, il prenait le métro...

— L'autre jour quand ?

— Je ne sais plus... En début de semaine...

— Eh ben moi, je vous dis que je le vois plus ! Il a disparu. Avec mon Pikou qui nous réveille toutes les nuits je peux pas le manquer, vous pensez... Et là, plus rien. J'ai peur qu'y lui soit arrivé quelque chose... Faut aller voir, mon petit... Faut monter.

- Bon.

— Doux Jésus. Vous croyez qu'il est mort ?

Camille ouvrit la porte.

- Dites... S'il est mort, vous venez me voir de suite, hein? C'est que... ajouta-t-elle en tripotant sa médaille,

je voudrais pas de scandale dans l'immeuble, vous comprenez ?

8

— C'est Camille, tu m'ouvres ?

Aboiements et confusions.

— Tu m'ouvres ou je demande qu'on défonce la porte ?

— Nan, là je peux pas... fit une voix rauque. Je suis trop mal... Reviens plus tard...

— Plus tard quand ?

— Ce soir.

— T'as besoin de rien ?

— Nan. Laisse-moi.

Camille revint sur ses pas :

— Tu veux que je te sorte ton chien ?

Pas de réponse.

Elle descendit les escaliers lentement.

Elle était dans la merde.

Elle n'aurait jamais dû le faire venir ici... être généreuse avec le bien d'autrui, c'était facile... Ah, c'est sur. elle l'avait sa belle auréole aujourd'hui ! Un camé au septième, une mémé dans son lit, tout ce petit monde sous sa responsabilité et elle qui était toujours obligeé de se tenir à la rampe pour ne pas se casser la gueule. Super comme tableau... Clap, clap. Quelle gloire, vraiment. T'es contente de toi, là ? Elles te gênent pas tes ailes quand tu marches ?

Oh, vos gueules... C'est sûr quand on ne fait rien, hein?

Nan, mais on te dit ça euh... le prends pas mal, mais v en a d'autres des clodos dans la rue... Y en a un juste devant la boulangerie, tiens... Pourquoi tu le ramasses pas lui ? Parce qu'il a pas de chien ? Merde, s'il avait su...

Tu me fatigues... répondit Camille à Camille. Tu me fatigues énormément...

Allez, on va lui dire... Mais pas un gros, hein ? Un petit. Un petit bichon frisé qui tremble de froid. Ah ouais, ça serait bien ça... Ou un chiot, alors ? Un chiot recroquevillé dans son blouson... Alors là, tu craques direct. En plus, il en reste plein, des chambres, chez Philibert...

Accablée, Camille s'assit sur une marche et posa sa tête sur ses genoux.

Récapitulons.

Elle avait pas vu sa mère depuis presque un mois. Il fallait qu'elle se bouge sinon l'autre allait encore lui faire une crise de foie chimique avec Samu et sonde gastrique à la clef. Elle avait l'habitude depuis le temps, mais bon, ce n'était jamais une partie de plaisir... Après elle mettait du temps à s'en remettre... Ttt tt... Encore trop sensible cette petite...

Paulette assurait parfaitement entre 1930 et 1990 mais perdait pied entre hier et aujourd'hui et ça n'allait pas en s'arrangeant. Trop de bonheur, peut-être? C'était comme si elle se laissait aller tranquillement vers le fond... En plus, elle n'y voyait vraiment que dalle... Bon. Jusque-là ça allait... Là, elle était en train de faire la sieste et tout à l'heure Philou viendrait regarder Questions pour un champion avec elle en donnant toutes les réponses sans se tromper. Ils adoraient ça tous les deux. Parfait.

Philibert, parlons-en, c'était Louis Jouvet et Sacha Guitry dans le même frac. Il écrivait maintenant, il s'enfermait pour écrire et répétait deux soirs par semaine. Pas de nouvelles sur le front des amours? Bon. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.

Franck... Rien de spécial. Rien de nouveau. Tout allait bien. Sa même était au chaud et sa moto aussi. Il ne revenait que l'après-midi pour dormir et continuait de travailler le dimanche. « Encore un peu, tu comprends ? Je peux pas les planter comme ça... Faut que je me trouve un remplaçant... »

Ben voyons... Un remplaçant ou une moto encore plus grosse ? Très malin, le garçon. Très malin... Pourquoi il se gênerait d'ailleurs ? Où était le problème ? Il n'avait rien demandé, lui. Et, passé les premiers jours d'euphorie, il était retombé le nez dans sa marmite. La nuit, il devait appuyer sur la tête de sa copine pendant qu'elle se relevait pour éteindre la télé de la vieille. Mais... pas de problème. Pas de problème... Elle préférerait encore ça, les documentaires sur la vessie natatoire des grondins et le dernier pissou de la tisanière à son boulot chez Touclean. Bien sûr, elle aurait pu ne pas travailler du tout, mais elle n'était pas assez forte pour assumer ça... La société l'avait bien dressée... Était-ce parce qu'elle manquait de confiance en elle ou était-ce le contraire, justement ? La peur de se retrouver dans une situation où elle pouvait gagner sa vie en la piétinant ? Il lui restait quelques contacts... Mais quoi? Se cracher dessus encore une fois ? Refermer ses carnets et reprendre une loupe ? Elle n'en avait plus le courage. Elle n'était pas devenue meilleure, elle avait vieilli. Ouf.

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