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À la vue de cet homme pâle et ensanglanté, la femme saisit fortement le bras de son mari.

– Eh bien! qu’y a-t-il? demanda celui-ci. Est-ce que par hasard tu te trouverais mal?

– Non, mais regarde! dit l’hôtesse en montrant à son mari le blessé.

– Dame! répondit celui-ci, il me paraît bien malade.

– Ce n’est pas cela que je veux dire, continua la femme toute tremblante, je te demande si tu le reconnais?

– Cet homme? attends donc…

– Ah! je vois que tu le reconnais, dit la femme, car tu pâlis à ton tour.

– En vérité! s’écria l’hôte. Malheur à notre maison, c’est l’ancien bourreau de Béthune.

– L’ancien bourreau de Béthune! murmura le jeune moine en faisant un mouvement d’arrêt et en laissant voir sur son visage le sentiment de répugnance que lui inspirait son pénitent.

M. d’Arminges, qui se tenait à la porte, s’aperçut de son hésitation.

– Sire moine, dit-il, pour être ou pour avoir été bourreau, ce malheureux n’en est pas moins un homme. Rendez-lui donc le dernier service qu’il réclame de vous, et votre œuvre n’en sera que plus méritoire.

Le moine ne répondit rien, mais il continua silencieusement son chemin vers la chambre basse où les deux valets avaient déjà déposé le mourant sur un lit.

En voyant l’homme de Dieu s’approcher du chevet du blessé, les deux laquais sortirent en fermant la porte sur le moine et sur le moribond.

D’Arminges et Olivain les attendaient; ils remontèrent à cheval, et tous quatre partirent au trot, suivant le chemin à l’extrémité duquel avaient déjà disparu Raoul et son compagnon.

Au moment où le gouverneur et son escorte disparaissaient à leur tour, un nouveau voyageur s’arrêtait devant le seuil de l’auberge.

– Que désire monsieur? dit l’hôte, encore pâle et tremblant de la découverte qu’il venait de faire.

Le voyageur fit le signe d’un homme qui boit, et, mettant pied à terre, montra son cheval et fit le signe d’un homme qui frotte.

– Ah diable! se dit l’hôte, il paraît que celui-ci est muet.

– Et où voulez-vous boire? demanda-t-il.

– Ici, dit le voyageur en montrant une table.

– Je me trompais, dit l’hôte, il n’est pas tout à fait muet.

Et il s’inclina, alla chercher une bouteille de vin et des biscuits, qu’il posa devant son taciturne convive.

– Monsieur ne désire pas autre chose? demanda-t-il.

– Si fait, dit le voyageur.

– Que désire monsieur?

– Savoir si vous avez vu passer un jeune gentilhomme de quinze ans, monté sur un cheval alezan et suivi d’un laquais.

– Le vicomte de Bragelonne? dit l’hôte.

– Justement.

– Alors c’est vous qui vous appelez M. Grimaud?

Le voyageur fit signe que oui.

– Eh bien! dit l’hôte, votre jeune maître était ici il n’y a qu’un quart d’heure; il dînera à Mazingarbe et couchera à Cambrin.

– Combien d’ici à Mazingarbe?

– Deux lieues et demie.

– Merci.

Grimaud, assuré de rencontrer son jeune maître avant la fin du jour, parut plus calme, s’essuya le front et se versa un verre de vin, qu’il but silencieusement.

Il venait de poser son verre sur la table et se disposait à le remplir une seconde fois, lorsqu’un cri terrible partit de la chambre où étaient le moine et le mourant.

Grimaud se leva tout debout.

– Qu’est-ce que cela, dit-il, et d’où vient ce cri?

– De la chambre du blessé, dit l’hôte.

– Quel blessé? demanda Grimaud.

– L’ancien bourreau de Béthune, qui vient d’être assassiné par les partisans espagnols, qu’on a apporté ici, et qui se confesse en ce moment à un frère augustin: il paraît qu’il souffre bien.

– L’ancien bourreau de Béthune? murmura Grimaud rappelant ses souvenirs… un homme de cinquante-cinq à soixante ans, grand, vigoureux, basané, cheveux et barbe noirs?

– C’est cela, excepté que sa barbe a grisonné et que ses cheveux ont blanchi. Le connaissez-vous? demanda l’hôte.

– Je l’ai vu une fois, dit Grimaud, dont le front s’assombrit au tableau que lui présentait ce souvenir.

La femme était accourue toute tremblante.

– As-tu entendu? dit-elle à son mari.

– Oui, répondit l’hôte en regardant avec inquiétude du côté de la porte.

En ce moment, un cri moins fort que le premier, mais suivi d’un gémissement long et prolongé, se fit entendre.

Les trois personnages se regardèrent en frissonnant.

– Il faut voir ce que c’est, dit Grimaud.

– On dirait le cri d’un homme qu’on égorge, murmura l’hôte.

– Jésus! dit la femme en se signant.

Si Grimaud parlait peu, on sait qu’il agissait beaucoup. Il s’élança vers la porte et la secoua vigoureusement, mais elle était fermée par un verrou intérieur.

– Ouvrez! cria l’hôte, ouvrez; sire moine, ouvrez à l’instant!

Personne ne répondit.

– Ouvrez, ou j’enfonce la porte! dit Grimaud.

Même silence.

Grimaud jeta les yeux autour de lui et avisa une pince qui d’aventure se trouvait dans un coin; il s’élança dessus, et, avant que l’hôte eût pu s’opposer à son dessein, il avait mis la porte en dedans.

La chambre était inondée du sang qui filtrait à travers les matelas, le blessé ne parlait plus et râlait; le moine avait disparu.

– Le moine? cria l’hôte; où est le moine?

Grimaud s’élança vers une fenêtre ouverte qui donnait sur la cour.

– Il aura fui par là, s’écria-t-il.

– Vous croyez? dit l’hôte effaré. Garçon, voyez si la mule du moine est à l’écurie.

– Plus de mule! cria celui à qui cette question était adressée.

Grimaud fronça le sourcil, l’hôte joignit les mains et regarda autour de lui avec défiance. Quant à la femme, elle n’avait pas osé entrer dans la chambre et se tenait debout, épouvantée, à la porte.

Grimaud s’approcha du blessé, regardant ses traits rudes et marqués qui lui rappelaient un souvenir si terrible.

Enfin, après un moment de morne et muette contemplation:

– Il n’y a plus de doute, dit-il, c’est bien lui.

– Vit-il encore? demanda l’hôte.

Grimaud, sans répondre, ouvrit son justaucorps pour lui tâter le cœur, tandis que l’hôte s’approchait à son tour; mais tout à coup tous deux reculèrent, l’hôte en poussant un cri d’effroi, Grimaud en pâlissant.

La lame d’un poignard était enfoncée jusqu’à la garde du côté gauche de la poitrine du bourreau.

– Courez chercher du secours, dit Grimaud, moi je resterai près de lui.

L’hôte sortit de la chambre tout égaré; quant à la femme, elle s’était enfuie au cri qu’avait poussé son mari.

XXXV. L’absolution

Voici ce qui s’était passé.

Nous avons vu que ce n’était point par un effet de sa propre volonté, mais au contraire assez à contrecœur que le moine escortait le blessé qui lui avait été recommandé d’une si étrange manière. Peut-être eût-il cherché à fuir, s’il en avait vu la possibilité; mais les menaces des deux gentilshommes, leur suite qui était restée après eux et qui sans doute avait reçu leurs instructions, et pour tout dire enfin, la réflexion même avait engagé le moine, sans laisser paraître trop de mauvais vouloir, à jouer jusqu’au bout son rôle de confesseur, et, une fois entré dans la chambre, il s’était approché du chevet du blessé.

Le bourreau examina de ce regard rapide, particulier à ceux qui vont mourir et qui, par conséquent, n’ont pas de temps à perdre, la figure de celui qui devait être son consolateur; il fit un mouvement de surprise et dit:

– Vous êtes bien jeune, mon père?

– Les gens qui portent ma robe n’ont point d’âge, répondit sèchement le moine.

– Hélas! parlez-moi plus doucement, mon père, dit le blessé, j’ai besoin d’un ami à mes derniers moments.

– Vous souffrez beaucoup? demanda le moine.

– Oui; mais de l’âme bien plus que du corps.

– Nous sauverons votre âme, dit le jeune homme; mais êtes-vous réellement le bourreau de Béthune, comme le disaient ces gens?

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