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«Ma lettre est donc toute confidentielle, et c’est pour cela que je vous l’envoie par un homme de mon intime confiance; elle précédera, par un sentiment que Votre Éminence appréciera, les mesures que je prendrai d’après les événements. Olivier Cromwell a pensé qu’il ferait mieux entendre la raison à un esprit intelligent comme celui de Mazarini, qu’à une reine admirable de fermeté sans doute, mais trop soumise aux vains préjugés de la naissance et du pouvoir divin.

«Adieu, Monseigneur, si je n’ai pas de réponse dans quinze jours, je regarderai ma lettre comme non avenue.

«OLIVIER CROMWELL»

– Monsieur Mordaunt, dit le cardinal en élevant la voix comme pour éveiller le songeur, ma réponse à cette lettre sera d’autant plus satisfaisante pour le général Cromwell, que je serai plus sûr qu’on ignorera que je la lui aurai faite. Allez donc l’attendre à Boulogne-sur-Mer, et promettez-moi de partir demain matin.

– Je vous le promets, Monseigneur, répondit Mordaunt, mais combien de jours Votre Éminence me fera-t-elle attendre cette réponse?

– Si vous ne l’avez pas reçue dans dix jours, vous pouvez partir.

Mordaunt s’inclina.

– Ce n’est pas tout, monsieur, continua Mazarin, vos aventures particulières m’ont vivement touché; en outre, la lettre de M. Cromwell vous rend important à mes yeux comme ambassadeur. Voyons, je vous le répète, dites-moi, que puis-je faire pour vous?

Mordaunt réfléchit un instant, et, après une visible hésitation, il allait ouvrir la bouche pour parler, quand Bernouin entra précipitamment, se pencha vers l’oreille du cardinal et lui parla tout bas.

– Monseigneur, lui dit-il, la reine Henriette accompagnée d’un gentilhomme anglais entre en ce moment au Palais-Royal.

Mazarin fit sur sa chaise un bond qui n’échappa point au jeune homme et réprima la confidence qu’il allait sans doute faire.

– Monsieur, dit le cardinal, vous avez entendu, n’est-ce pas? Je vous fixe Boulogne parce que je pense que toute ville de France vous est indifférente; si vous en préférez une autre, nommez-là; mais vous concevez facilement qu’entouré comme je le suis d’influences auxquelles je n’échappe qu’à force de discrétion, je désire qu’on ignore votre présence à Paris.

– Je partirai, monsieur, dit Mordaunt en faisant quelques pas vers la porte par laquelle il était entré.

– Non, point par là, monsieur, je vous prie! s’écria vivement le cardinal: veuillez passer par cette galerie d’où vous gagnerez le vestibule. Je désire qu’on ne vous voie pas sortir, notre entrevue doit être secrète.

Mordaunt suivit Bernouin, qui le fit passer dans une salle voisine et le remit à un huissier en lui indiquant une porte de sortie.

Puis il revint à la hâte vers son maître pour introduire près de lui la reine Henriette, qui traversait déjà la galerie vitrée.

XLI. Mazarin et Madame Henriette

Le cardinal se leva et alla recevoir en hâte la reine d’Angleterre. Il la joignit au milieu de la galerie qui précédait son cabinet.

Il témoignait d’autant plus de respect à cette reine sans suite et sans parure, qu’il sentait lui-même qu’il avait bien quelque reproche à se faire sur son avarice et son manque de cœur.

Mais les suppliants savent contraindre leur visage à prendre toutes les expressions, et la fille de Henri IV souriait en venant au-devant de celui qu’elle haïssait et méprisait.

– Ah! se dit à lui-même Mazarin, quel doux visage! Viendrait-elle pour m’emprunter de l’argent?

Et il jeta un regard inquiet sur le panneau de son coffre-fort; il tourna même en dedans le chaton du diamant magnifique dont l’éclat attirait les yeux sur sa main, qu’il avait d’ailleurs blanche et belle. Malheureusement cette bague n’avait pas la vertu de celle de Gygès, qui rendait son maître invisible lorsqu’il faisait ce que venait de faire Mazarin.

Or, Mazarin eût bien désiré être invisible en ce moment, car il devinait que Madame Henriette venait lui demander quelque chose; du moment où une reine qu’il avait traitée ainsi apparaissait avec le sourire sur les lèvres, au lieu d’avoir la menace sur la bouche, elle venait en suppliante.

– Monsieur le cardinal, dit l’auguste visiteuse, j’avais d’abord eu l’idée de parler de l’affaire qui m’amène avec la reine ma sœur, mais j’ai réfléchi que les choses politiques regardent avant tout les hommes.

– Madame, dit Mazarin, croyez que Votre Majesté me confond avec cette distinction flatteuse.

– Il est bien gracieux, pensa la reine, m’aurait-il donc devinée?

On était arrivé au cabinet du cardinal. Il fit asseoir la reine, et lorsqu’elle fut accommodée dans son fauteuil:

– Donnez, dit-il, vos ordres au plus respectueux de vos serviteurs.

– Hélas! monsieur, répondit la reine, j’ai perdu l’habitude de donner des ordres, et pris celle de faire des prières. Je viens vous prier, trop heureuse si ma prière est exaucée par vous.

– Je vous écoute, Madame, dit Mazarin.

– Monsieur le cardinal, il s’agit de la guerre que le roi mon mari soutient contre ses sujets rebelles. Vous ignorez peut-être qu’on se bat en Angleterre, dit la reine avec un sourire triste, et que dans peu l’on se battra d’une façon bien plus décisive encore qu’on ne l’a fait jusqu’à présent.

– Je l’ignore complètement, madame, dit le cardinal en accompagnant ces paroles d’un léger mouvement d’épaule. Hélas! nos guerres à nous absorbent le temps et l’esprit d’un pauvre ministre incapable et infirme comme je le suis.

– Eh bien! monsieur le cardinal, dit la reine, je vous apprendrai donc que Charles Ier, mon époux, est à la veille d’engager une action décisive. En cas d’échec… Mazarin fit un mouvement… Il faut tout prévoir, continua la reine; en cas d’échec, il désire se retirer en France et y vivre comme un simple particulier. Que dites-vous de ce projet?

Le cardinal avait écouté sans qu’une fibre de son visage trahit l’impression qu’il éprouvait; en écoutant, son sourire resta ce qu’il était toujours, faux et câlin, et quand la reine eut fini:

– Croyez-vous, Madame, dit-il de sa voix la plus soyeuse, que la France, tout agitée et toute bouillante comme elle est elle-même, soit un port bien salutaire pour un roi détrôné? La couronne est déjà peu solide sur la tête du roi Louis XIV, comment supporterait-il un double poids?

– Ce poids n’a pas été bien lourd, quant à ce qui me regarde, interrompit la reine avec un douloureux sourire, et je ne demande pas qu’on fasse plus pour mon époux qu’on n’a fait pour moi. Vous voyez que nous sommes des rois bien modestes, monsieur.

– Oh! vous, Madame, vous, se hâta de dire le cardinal pour couper court aux explications qu’il voyait arriver, vous, c’est autre chose, une fille de Henri IV, de ce grand, de ce sublime roi…

– Ce qui ne vous empêche pas de refuser l’hospitalité à son gendre, n’est-ce pas, monsieur? Vous devriez pourtant vous souvenir que ce grand, ce sublime roi, proscrit un jour comme va l’être mon mari, a été demander du secours à l’Angleterre, et que l’Angleterre lui en a donné; il est vrai de dire que la reine Élisabeth n’était pas sa nièce.

– Peccato! dit Mazarin se débattant sous cette logique si simple, Votre Majesté ne me comprend pas; elle juge mal mes intentions, et cela sans doute parce que je m’explique mal en français.

– Parlez italien, monsieur; la reine Marie de Médicis, notre mère, nous a appris cette langue avant que le cardinal votre prédécesseur l’ait envoyée mourir en exil. S’il est resté quelque chose de ce grand, de ce sublime roi Henri dont vous parliez tout à l’heure, il doit bien s’étonner de cette profonde admiration pour lui jointe à si peu de pitié pour sa famille.

La sueur coulait à grosses gouttes sur le front de Mazarin.

– Cette admiration est, au contraire, si grande et si réelle, Madame, dit Mazarin sans accepter l’offre que lui faisait la reine de changer d’idiome, que, si le roi Charles Ier - que Dieu le garde de tout malheur! - venait en France, je lui offrirais ma maison, ma propre maison; mais, hélas! ce serait une retraite peu sûre. Quelque jour le peuple brûlera cette maison comme il a brûlé celle du maréchal d’Ancre. Pauvre Concino Concini! il ne voulait cependant que le bien de la France.

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