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– Dînons toujours en attendant, dit Porthos.

– Ma foi, oui, dit Athos, car j’ai grand’faim.

– Gare aux poules noires! dit Aramis.

Et les quatre amis, conduits par Mousqueton, s’acheminèrent vers la maison, déjà presque rendus à leur insouciance première, car ils étaient maintenant tous les quatre unis et d’accord, comme l’avait dit Athos.

LXIV. Salut à la Majesté tombée

À mesure qu’ils approchaient de la maison, nos fugitifs voyaient la terre écorchée comme si une troupe considérable de cavaliers les eût précédés; devant la porte les traces étaient encore plus visibles; cette troupe, quelle qu’elle fût, avait fait là une halte.

– Pardieu! dit d’Artagnan, la chose est claire, le roi et son escorte ont passé par ici.

– Diable! dit Porthos, en ce cas ils auront tout dévoré.

– Bah! dit d’Artagnan, ils auront bien laissé une poule. Et il sauta à bas de son cheval et frappa à la porte; mais personne ne répondit.

Il poussa la porte qui n’était pas fermée, et vit que la première chambre était vide et déserte.

– Eh bien? demanda Porthos.

– Je ne vois personne, dit d’Artagnan. Ah! ah!

– Quoi?

– Du sang!

À ce mot, les trois amis sautèrent à bas de leurs chevaux et entrèrent dans la première chambre; mais d’Artagnan avait déjà poussé la porte de la seconde, et à l’expression de son visage, il était clair qu’il y voyait quelque objet extraordinaire.

Les trois amis s’approchèrent et aperçurent un homme encore jeune étendu à terre et baigné dans une mare de sang.

On voyait qu’il avait voulu gagner son lit, mais il n’en avait pas eu la force, il était tombé auparavant.

Athos fut le premier qui se rapprocha de ce malheureux: il avait cru lui voir faire un mouvement.

– Eh bien? demanda d’Artagnan.

– Eh bien! dit Athos, s’il est mort, il n’y a pas longtemps car il est chaud encore. Mais non, son cœur bat. Eh! mon ami!

Le blessé poussa un soupir; d’Artagnan prit de l’eau dans le creux de sa main et la lui jeta au visage.

L’homme rouvrit les yeux, fit un mouvement pour relever sa tête et retomba.

Athos alors essaya de la lui porter sur son genou, mais il s’aperçut que la blessure était un peu au-dessus du cervelet et lui fendait le crâne; le sang s’en échappait avec abondance.

Aramis trempa une serviette dans l’eau et l’appliqua sur la plaie; la fraîcheur rappela le blessé à lui, il rouvrit une seconde fois les yeux.

Il regarda avec étonnement ces hommes qui paraissaient le plaindre, et qui, autant qu’il était en leur pouvoir, essayaient de lui porter secours.

– Vous êtes avec des amis, dit Athos en anglais, rassurez-vous donc, et, si vous en avez la force, racontez-nous ce qui est arrivé.

– Le roi, murmura le blessé, le roi est prisonnier.

– Vous l’avez vu? demanda Aramis dans la même langue.

L’homme ne répondit pas.

– Soyez tranquille, reprit Athos, nous sommes de fidèles serviteurs de Sa Majesté.

– Est-ce vrai ce que vous me dites là? demanda le blessé.

– Sur notre honneur de gentilshommes.

– Alors je puis donc vous dire?

– Dites.

– Je suis le frère de Parry, le valet de chambre de Sa Majesté.

Athos et Aramis se rappelèrent que c’était de ce nom que de Winter avait appelé le laquais qu’ils avaient trouvé dans le corridor de la tente royale.

– Nous le connaissons, dit Athos; il ne quittait jamais le roi!

– Oui, c’est cela, dit le blessé. Eh bien! voyant le roi pris, il songea à moi; on passait devant la maison, il demanda au nom du roi qu’on s’y arrêtât. La demande fut accordée. Le roi, disait-on, avait faim; on le fit entrer dans la chambre où je suis, afin qu’il y prit son repas, et l’on plaça des sentinelles aux portes et aux fenêtres. Parry connaissait cette chambre, car plusieurs fois, tandis que Sa Majesté était à Newcastle, il était venu me voir. Il savait que dans cette chambre il y avait une trappe, que cette trappe conduisait à la cave, et que de cette cave on pouvait gagner le verger. Il me fit un signe. Je le compris. Mais sans doute ce signe fut intercepté par les gardiens du roi et les mit en défiance. Ignorant qu’on se doutait de quelque chose, je n’eus plus qu’un désir, celui de sauver Sa Majesté. Je fis donc semblant de sortir pour aller chercher du bois, en pensant qu’il n’y avait pas de temps à perdre. J’entrai dans le passage souterrain qui conduisait à la cave à laquelle cette trappe correspondait. Je levai la planche avec ma tête; et tandis que Parry poussait doucement le verrou de la porte, je fis signe au roi de me suivre. Hélas! il ne le voulait pas; on eût dit que cette fuite lui répugnait. Mais Parry joignit les mains en le suppliant; je l’implorai aussi de mon côté pour qu’il ne perdit pas une pareille occasion. Enfin il se décida à me suivre. Je marchai devant par bonheur; le roi venait à quelques pas derrière moi, lorsque tout à coup, dans le passage souterrain, je vis se dresser comme une grande ombre. Je voulus crier pour avertir le roi, mais je n’en eus pas le temps. Je sentis un coup comme si la maison s’écroulait sur ma tête, et je tombai évanoui.

– Bon et loyal Anglais! fidèle serviteur! dit Athos.

– Quand je revins à moi, j’étais étendu à la même place. Je me traînai jusque dans la cour; le roi et son escorte étaient partis. Je mis une heure peut-être à venir de la cour ici; mais les forces me manquèrent, et je m’évanouis pour la seconde fois.

– Et à cette heure, comment vous sentez-vous?

– Bien mal, dit le blessé.

– Pouvons-nous quelque chose pour vous? demanda Athos.

– Aidez-moi à me mettre sur le lit; cela me soulagera, il me semble.

– Aurez-vous quelqu’un qui vous porte secours?

– Ma femme est à Durham, et va revenir d’un moment à l’autre. Mais vous-mêmes, n’avez-vous besoin de rien, ne désirez-vous rien?

– Nous étions venus dans l’intention de vous demander à manger.

– Hélas! ils ont tout pris, il ne reste pas un morceau de pain dans la maison.

– Vous entendez, d’Artagnan? dit Athos, il nous faut aller chercher notre dîner ailleurs.

– Cela m’est bien égal, maintenant, dit d’Artagnan; je n’ai plus faim.

– Ma foi, ni moi non plus, dit Porthos.

Et ils transportèrent l’homme sur son lit. On fit venir Grimaud, qui pansa sa blessure. Grimaud avait, au service des quatre amis, eu tant de fois l’occasion de faire de la charpie et des compresses, qu’il avait pris une certaine teinte de chirurgie.

Pendant ce temps, les fugitifs étaient revenus dans la première chambre et tenaient conseil.

– Maintenant, dit Aramis, nous savons à quoi nous en tenir: c’est bien le roi et son escorte qui sont passés par ici; il faut prendre du côté opposé. Est-ce votre avis, Athos?

Athos ne répondit pas, il réfléchissait.

– Oui, dit Porthos, prenons du côté opposé. Si nous suivons l’escorte, nous trouverons tout dévoré et nous finirons par mourir de faim; quel maudit pays que cette Angleterre! c’est la première fois que j’aurai manqué à dîner. Le dîner est mon meilleur repas, à moi.

– Que pensez-vous, d’Artagnan? dit Athos, êtes-vous de l’avis d’Aramis?

– Non point, dit d’Artagnan, je suis au contraire de l’avis tout opposé.

– Comment! vous voulez suivre l’escorte? dit Porthos effrayé.

– Non, mais faire route avec elle.

Les yeux d’Athos brillèrent de joie.

– Faire route avec l’escorte! s’écria Aramis.

– Laissez dire d’Artagnan, vous savez que c’est l’homme aux bons conseils, dit Athos.

– Sans doute, dit d’Artagnan, il faut aller où l’on ne nous cherchera pas. Or, on se gardera bien de nous chercher parmi les puritains; allons donc parmi les puritains.

– Bien, ami, bien! excellent conseil, dit Athos, j’allais le donner quand vous m’avez devancé.

– C’est donc aussi votre avis? demanda Aramis.

– Oui. On croira que nous voulons quitter l’Angleterre, on nous cherchera dans les ports; pendant ce temps nous arriverons à Londres avec le roi; une fois à Londres, nous sommes introuvables; au milieu d’un million d’hommes, il n’est pas difficile de se cacher; sans compter, continua Athos en jetant un regard à Aramis, les chances que nous offre ce voyage.

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