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Athos rentra désespéré.

– Mon cher, lui dit d’Artagnan, vous vous entêtez inutilement, et je vous proteste, moi, que la position est mauvaise. Pour mon compte je ne m’y attache qu’à cause de vous et par un certain intérêt d’artiste en politique à la mousquetaire; je trouve qu’il serait très plaisant d’arracher leur proie à tous ces hurleurs et de se moquer d’eux. J’y songerai.

Dès le lendemain, en se mettant à sa fenêtre qui donnait sur les quartiers les plus populeux de la Cité, Athos entendit crier le bill du parlement qui traduisait à la barre l’ex-roi Charles Ier, coupable présumé de trahison et d’abus de pouvoir.

D’Artagnan était près de lui. Aramis consultait une carte, Porthos était absorbé dans les dernières délices d’un succulent déjeuner.

– Le parlement! s’écria Athos, il n’est pas possible que le parlement ait rendu un pareil bill.

– Écoutez, dit d’Artagnan, je comprends peu l’anglais; mais, comme l’anglais n’est que du français mal prononcé, voici ce que j’entends: Parliament’s bill ; ce qui veut dire bill du parlement, ou Dieu me damne, comme ils disent ici.

En ce moment l’hôte entrait; Athos lui fit signe de venir.

– Le parlement a rendu ce bill? lui demanda Athos en anglais.

– Oui milord, le parlement pur.

– Comment, le parlement pur! il y a donc deux parlements?

– Mon ami, interrompit d’Artagnan, comme je n’entends pas l’anglais, mais que nous entendons tous l’espagnol, faites-nous le plaisir de nous entretenir dans cette langue, qui est la vôtre, et que, par conséquent, vous devez parler avec plaisir quand vous en retrouvez l’occasion.

– Ah! parfait, dit Aramis.

Quant à Porthos, nous l’avons dit, toute son attention était concentrée sur un os de côtelette qu’il était occupé à dépouiller de son enveloppe charnue.

– Vous demandiez donc? dit l’hôte en espagnol.

– Je demandais, reprit Athos dans la même langue, s’il y avait deux parlements, un pur et un impur.

– Oh! que c’est bizarre! dit Porthos en levant lentement la tête et en regardant ses amis d’un air étonné, je comprends donc maintenant l’anglais? j’entends ce que vous dites.

– C’est que nous parlons espagnol, cher ami, dit Athos avec son sang-froid ordinaire.

– Ah! diable! dit Porthos, j’en suis fâché, cela m’aurait fait une langue de plus.

– Quand je dis le parlement pur, señor, reprit l’hôte, je parle de celui que M. le colonel Pride a épuré.

– Ah! vraiment, dit d’Artagnan, ces gens-ci sont bien ingénieux; il faudra qu’en revenant en France je donne ce moyen à M. de Mazarin et à M. le coadjuteur. L’un épurera au nom de la cour, l’autre au nom du peuple, de sorte qu’il n’y aura plus de parlement du tout.

– Qu’est-ce que le colonel Pride? demanda Aramis, et de quelle façon s’y est-il pris pour épurer le parlement?

– Le colonel Pride, dit l’espagnol, est un ancien charretier, homme de beaucoup d’esprit, qui avait remarqué une chose en conduisant sa charrette: c’est que lorsqu’une pierre se trouvait sur sa route, il était plus court d’enlever la pierre que d’essayer de faire passer la roue par-dessus. Or, sur deux cent cinquante et un membres dont se composait le parlement, cent quatre-vingt-onze le gênaient et auraient pu faire verser sa charrette politique. Il les a pris comme autrefois il prenait les pierres, et les a jetés hors de la Chambre.

– Joli! dit d’Artagnan, qui, homme d’esprit surtout, estimait fort l’esprit partout où il le rencontrait.

– Et tous ces expulsés étaient stuartistes? demanda Athos.

– Sans aucun doute, señor, et vous comprenez qu’ils eussent sauvé le roi.

– Pardieu! dit majestueusement Porthos, ils faisaient majorité.

– Et vous pensez, dit Aramis, qu’il consentira à paraître devant un tel tribunal?

– Il le faudra bien, répondit l’espagnol; s’il essayait d’un refus, le peuple l’y contraindrait.

– Merci, maître Perez, dit Athos; maintenant je suis suffisamment renseigné.

– Commencez-vous à croire enfin que c’est une cause perdue, Athos, dit d’Artagnan, et qu’avec les Harrison, les Joyce, les Pride et les Cromwell, nous ne serons jamais à la hauteur?

– Le roi sera délivré au tribunal, dit Athos; le silence même de ses partisans indique un complot.

D’Artagnan haussa les épaules.

– Mais, dit Aramis, s’ils osent condamner leur roi, ils le condamneront à l’exil ou à la prison, voilà tout.

D’Artagnan siffla d’un petit air d’incrédulité.

– Nous le verrons bien, dit Athos; car nous irons aux séances, je le présume.

– Vous n’aurez pas longtemps à attendre, dit l’hôte, car elles commencent demain.

– Ah çà! répondit Athos, la procédure était donc instruite avant que le roi eût été pris?

– Sans doute, dit d’Artagnan, on l’a commencée du jour où il a été acheté.

– Vous savez, dit Aramis, que c’est notre ami Mordaunt qui a fait, sinon le marché, du moins les premières ouvertures de cette petite affaire.

– Vous savez, dit d’Artagnan, que partout où il me tombe sous la main, je le tue, M. Mordaunt.

– Fi donc! dit Athos, un pareil misérable!

– Mais c’est justement parce que c’est un misérable que je le tue, reprit d’Artagnan. Ah! cher ami, je fais assez vos volontés pour que vous soyez indulgent aux miennes; d’ailleurs, cette fois, que cela vous plaise ou non, je vous déclare que ce Mordaunt ne sera tué que par moi.

– Et par moi, dit Porthos.

– Et par moi, dit Aramis.

– Touchante unanimité, s’écria d’Artagnan, et qui convient bien à de bons bourgeois que nous sommes. Allons faire un tour par la ville; ce Mordaunt lui-même ne nous reconnaîtrait point à quatre pas avec le brouillard qu’il fait.

Allons boire un peu de brouillard.

– Oui, dit Porthos, cela nous changera de la bière.

Et les quatre amis sortirent en effet pour prendre, comme on le dit vulgairement, l’air du pays.

LXVIII. Le procès

Le lendemain une garde nombreuse conduisait Charles Ier devant la haute cour qui devait le juger.

La foule envahissait les rues et les maisons voisines du palais; aussi, dès les premiers pas que firent les quatre amis, ils furent arrêtés par l’obstacle presque infranchissable de ce mur vivant; quelques hommes du peuple, robustes et hargneux, repoussèrent même Aramis si rudement, que Porthos leva son poing formidable et le laissa retomber sur la face farineuse d’un boulanger, laquelle changea immédiatement de couleur et se couvrit de sang, écachée qu’elle était comme une grappe de raisins mûrs. La chose fit grande rumeur; trois hommes voulurent s’élancer sur Porthos; mais Athos en écarta un, d’Artagnan l’autre, et Porthos jeta le troisième par-dessus sa tête. Quelques Anglais amateurs de pugilat apprécièrent la façon rapide et facile avec laquelle avait été exécutée cette manœuvre, et battirent des mains. Peu s’en fallut alors qu’au lieu d’être assommés, comme ils commençaient à le craindre, Porthos et ses amis ne fussent portés en triomphe; mais nos quatre voyageurs, qui craignaient tout ce qui pouvait les mettre en lumière, parvinrent à se soustraire à l’ovation. Cependant ils gagnèrent une chose à cette démonstration herculéenne, c’est que la foule s’ouvrit devant eux et qu’ils parvinrent au résultat qui un instant auparavant leur avait paru impossible, c’est-à-dire à aborder le palais.

Tout Londres se pressait aux portes des tribunes; aussi, lorsque les quatre amis réussirent à pénétrer dans une d’elles, trouvèrent-ils les trois premiers bancs occupés. Ce n’était que demi-mal pour des gens qui désiraient ne pas être reconnus; ils prirent donc leurs places, fort satisfaits d’en être arrivés là, à l’exception de Porthos, qui désirait montrer son pourpoint rouge et ses chausses vertes, et qui regrettait de ne pas être au premier rang.

Les bancs étaient disposés en amphithéâtre, et de leur place les quatre amis dominaient toute l’assemblée. Le hasard avait fait justement qu’ils étaient entrés dans la tribune du milieu et qu’ils se trouvaient juste en face du fauteuil préparé pour Charles Ier.

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