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– Monsieur, dit Raoul en recevant l’épée de la main du comte, je vous dois tout; cependant, cette épée est le plus précieux présent que vous m’ayez fait. Je la porterai, je vous jure, en homme reconnaissant.

Et il approcha ses lèvres de la poignée, qu’il baisa avec respect.

– C’est bien, dit Athos. Relevez-vous, vicomte, et embrassons-nous.

Raoul se releva et se jeta avec effusion dans les bras d’Athos.

– Adieu, murmura le comte, qui sentait son cœur se fondre, adieu, et pensez à moi.

– Oh! éternellement! éternellement! s’écria le jeune homme. Oh! je le jure, monsieur, et s’il m’arrive malheur, votre nom sera le dernier nom que je prononcerai, votre souvenir ma dernière pensée.

Athos remonta précipitamment pour cacher son émotion, donna une pièce d’or au gardien des tombeaux, s’inclina devant l’autel et gagna à grands pas le porche de l’église, au bas duquel Olivain attendait avec les deux autres chevaux.

– Olivain, dit-il en montrant le baudrier de Raoul, resserrez la boucle de cette épée qui tombe un peu bas. Bien. Maintenant, vous accompagnerez M. le vicomte jusqu’à ce que Grimaud vous ait rejoints; lui venu, vous quitterez le vicomte. Vous entendez, Raoul? Grimaud est un vieux serviteur plein de courage et de prudence, Grimaud vous suivra.

– Oui, monsieur, dit Raoul.

– Allons, à cheval, que je vous voie partir.

Raoul obéit.

– Adieu! Raoul, dit le comte, adieu, mon cher enfant.

– Adieu, monsieur, dit Raoul, adieu, mon bien-aimé protecteur!

Athos fit signe de la main, car il n’osait parler, et Raoul s’éloigna, la tête découverte.

Athos resta immobile et le regardant aller jusqu’au moment où il disparut au tournant d’une rue.

Alors le comte jeta la bride de son cheval aux mains d’un paysan, remonta lentement les degrés, rentra dans l’église, alla s’agenouiller dans le coin le plus obscur et pria.

XXV. Un des quarante moyens d’évasion de Monsieur de Beaufort

Cependant le temps s’écoulait pour le prisonnier comme pour ceux qui s’occupaient de sa fuite: seulement, il s’écoulait plus lentement. Tout au contraire des autres hommes qui prennent avec ardeur une résolution périlleuse et qui se refroidissent à mesure que le moment de l’exécuter se rapproche, le duc de Beaufort, dont le courage bouillant était passé en proverbe, et qu’avait enchaîné une inaction de cinq années, le duc de Beaufort semblait pousser le temps devant lui et appelait de tous ses vœux l’heure de l’action. Il y avait dans son évasion seule, à part les projets qu’il nourrissait pour l’avenir, projets, il faut l’avouer, encore fort vagues et fort incertains, un commencement de vengeance qui lui dilatait le cœur. D’abord sa fuite était une mauvaise affaire pour M. de Chavigny, qu’il avait pris en haine à cause des petites persécutions auxquelles il l’avait soumis; puis, une plus mauvaise affaire contre le Mazarin, qu’il avait pris en exécration à cause des grands reproches qu’il avait à lui faire. On voit que toute proportion était gardée entre les sentiments que M. de Beaufort avait voués au gouverneur et au ministre, au subordonné et au maître.

Puis M. de Beaufort, qui connaissait si bien l’intérieur du Palais-Royal, qui n’ignorait pas les relations de la reine et du cardinal, mettait en scène, de sa prison, tout ce mouvement dramatique qui allait s’opérer, quand ce bruit retentirait du cabinet du ministre à la chambre d’Anne d’Autriche: M. de Beaufort est sauvé! En se disant tout cela à lui-même, M. de Beaufort souriait doucement, se croyait déjà dehors, respirant l’air des plaines et des forêts, pressant un cheval vigoureux entre ses jambes et criant à haute voix: «Je suis libre!»

Il est vrai qu’en revenant à lui, il se trouvait entre ses quatre murailles, voyait à dix pas de lui La Ramée qui tournait ses pouces l’un autour de l’autre, et dans l’antichambre, ses gardes qui riaient ou qui buvaient.

La seule chose qui le reposait de cet odieux tableau, tant est grande l’instabilité de l’esprit humain, c’était la figure refrognée de Grimaud, cette figure qu’il avait prise d’abord en haine, et qui depuis était devenue toute son espérance. Grimaud lui semblait un Antinoüs.

Il est inutile de dire que tout cela était un jeu de l’imagination fiévreuse du prisonnier. Grimaud était toujours le même. Aussi avait-il conservé la confiance entière de son supérieur La Ramée, qui maintenant se serait fié à lui mieux qu’à lui-même: car, nous l’avons dit, La Ramée se sentait au fond du cœur un certain faible pour M. de Beaufort.

Aussi ce bon La Ramée se faisait-il une fête de ce petit souper en tête à tête avec son prisonnier. La Ramée n’avait qu’un défaut, il était gourmand; il avait trouvé les pâtés bons, le vin excellent. Or, le successeur du père Marteau lui avait promis un pâté de faisan au lieu d’un pâté de volaille, et du vin de Chambertin au lieu du vin de Mâcon. Tout cela, rehaussé de la présence de cet excellent prince qui était si bon au fond, qui inventait de si drôles de tours contre M. de Chavigny, et de, si bonnes plaisanteries contre le Mazarin, faisait pour La Ramée, de cette belle Pentecôte qui allait venir, une des quatre grandes fêtes de l’année.

La Ramée attendait donc six heures du soir avec autant d’impatience que le duc.

Dès le matin il s’était préoccupé de tous les détails, et, ne se fiant qu’à lui-même, il avait fait en personne une visite au successeur du père Marteau. Celui-ci s’était surpassé: il lui montra un véritable pâté monstre, orné sur sa couverture des armes de M. de Beaufort: le pâté était vide encore, mais près de lui étaient un faisan et deux perdrix, piqués si menu, qu’ils avaient l’air chacun d’une pelote d’épingles. L’eau en était venue à la bouche de La Ramée, et il était rentré dans la chambre du duc en se frottant les mains.

Pour comble de bonheur, comme nous l’avons dit, M. de Chavigny, se reposant sur La Ramée, était allé faire lui-même un petit voyage, et était parti le matin même, ce qui faisait de La Ramée le sous-gouverneur du château.

Quant à Grimaud, il paraissait plus refrogné que jamais.

Dans la matinée, M. de Beaufort avait fait avec La Ramée une partie de paume; un signe de Grimaud lui avait fait comprendre de faire attention à tout.

Grimaud, marchant devant, traçait le chemin qu’on avait à suivre le soir. Le jeu de paume était dans ce qu’on appelait l’enclos de la petite cour du château. C’était un endroit assez désert, où l’on ne mettait de sentinelles qu’au moment où M. de Beaufort faisait sa partie; encore, à cause de la hauteur de la muraille, cette précaution paraissait-elle superflue.

Il y avait trois portes à ouvrir avant d’arriver à cet enclos. Chacune s’ouvrait avec une clef différente.

En arrivant à l’enclos, Grimaud alla machinalement s’asseoir près d’une meurtrière, les jambes pendantes en dehors de la muraille. Il devenait évident que c’était à cet endroit qu’on attacherait l’échelle de corde.

Toute cette manœuvre, compréhensible pour le duc de Beaufort, était, on en conviendra, inintelligible pour La Ramée.

La partie commença. Cette fois, M. de Beaufort était en veine, et l’on eût dit qu’il posait avec la main les balles où il voulait qu’elles allassent. La Ramée fut complètement battu.

Quatre des gardes de M. de Beaufort l’avaient suivi et ramassaient les balles: le jeu terminé, M. de Beaufort, tout en raillant à son aise La Ramée sur sa maladresse, offrit aux gardes deux louis pour aller boire à sa santé avec leurs quatre autres camarades.

Les gardes demandèrent l’autorisation de La Ramée, qui la leur donna, mais pour le soir seulement. Jusque-là, La Ramée avait à s’occuper de détails importants; il désirait, comme il avait des courses à faire, que le prisonnier ne fût pas perdu de vue.

M. de Beaufort aurait arrangé les choses lui-même que, selon toute probabilité, il les eût faites moins à sa convenance que ne le faisait son gardien.

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