Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Cette pensée avait fort préoccupé le ministre pendant son sommeil; aussi, lorsqu’à sept heures du matin Bernouin entra dans sa chambre pour le réveiller, son premier mot fut:

– Eh! qu’y a-t-il? Est-ce que M. de Beaufort s’est sauvé de Vincennes?

– Je ne crois pas, Monseigneur, dit Bernouin, dont le calme officiel ne se démentait jamais; mais en tout cas vous allez en avoir des nouvelles, car l’exempt La Ramée, que l’on a envoyé chercher ce matin à Vincennes, est là qui attend les ordres de Votre Éminence.

– Ouvrez et faites-le entrer ici, dit Mazarin en accommodant ses oreillers de manière à le recevoir assis dans son lit.

L’officier entra. C’était un grand et gros homme joufflu et de bonne mine. Il avait un air de tranquillité qui donna des inquiétudes à Mazarin.

– Ce drôle-là m’a tout l’air d’un sot, murmura-t-il.

L’exempt demeurait debout et silencieux à la porte.

– Approchez, monsieur! dit Mazarin.

L’exempt obéit.

– Savez-vous ce qu’on dit ici? continua le cardinal.

– Non, Votre Éminence.

– Eh bien! l’on dit que M. de Beaufort va se sauver de Vincennes, s’il ne l’a déjà fait.

La figure de l’officier exprima la plus profonde stupéfaction. Il ouvrit tout ensemble ses petits yeux et sa grande bouche, pour mieux humer la plaisanterie que Son Éminence lui faisait l’honneur de lui adresser; puis ne pouvant tenir plus longtemps son sérieux à une pareille supposition, il éclata de rire, mais d’une telle façon, que ses gros membres étaient secoués par cette hilarité comme par une fièvre violente.

Mazarin fut enchanté de cette expansion peu respectueuse, mais cependant il ne cessa de garder son air grave.

Quand La Ramée eut bien ri et qu’il se fut essuyé les yeux, il crut qu’il était temps enfin de parler et d’excuser l’inconvenance de sa gaieté.

– Se sauver, Monseigneur! dit-il, se sauver! Mais Votre Éminence ne sait donc pas où est M. de Beaufort?

– Si fait, monsieur, je sais qu’il est au donjon de Vincennes.

– Oui, Monseigneur, dans une chambre dont les murs ont sept pieds d’épaisseur, avec des fenêtres à grillages croisés dont chaque barreau est gros comme le bras.

– Monsieur, dit Mazarin, avec de la patience on perce tous les murs, et avec un ressort de montre on scie un barreau.

– Mais Monseigneur ignore donc qu’il a près de lui huit gardes, quatre dans son antichambre et quatre dans sa chambre, et que ces gardes ne le quittent jamais.

– Mais il sort de sa chambre, il joue au mail, il joue à la paume!

– Monseigneur, ce sont les amusements permis aux prisonniers. Cependant, si Votre Éminence le veut, on les lui retranchera.

– Non pas, non pas, dit le Mazarin, qui craignait, en lui retranchant ces plaisirs, que si son prisonnier sortait jamais de Vincennes, il n’en sortît encore plus exaspéré contre lui. Seulement je demande avec qui il joue.

– Monsieur, il joue avec l’officier de garde, ou bien avec moi, ou bien avec les autres prisonniers.

– Mais n’approche-t-il point des murailles en jouant?

– Monseigneur, Votre Éminence ne connaît-elle point les murailles? Les murailles ont soixante pieds de hauteur et je doute que M. de Beaufort soit encore assez las de la vie pour risquer de se rompre le cou en sautant du haut en bas.

– Hum! fit le cardinal, qui commençait à se rassurer. Vous dites donc, mon cher monsieur La Ramée?…

– Qu’à moins que M. de Beaufort ne trouve moyen de se changer en petit oiseau, je réponds de lui.

– Prenez garde! vous vous avancez fort, reprit Mazarin. M. de Beaufort a dit aux gardes qui le conduisaient à Vincennes, qu’il avait souvent pensé au cas où il serait emprisonné, et que, dans ce cas, il avait trouvé quarante manières de s’évader de prison.

– Monseigneur, si parmi ces quarante manières il y en avait eu une bonne, répondit La Ramée, il serait dehors depuis longtemps.

– Allons, allons, pas si bête que je croyais, murmura Mazarin.

– D’ailleurs, Monseigneur oublie que M. de Chavigny est gouverneur de Vincennes, continua La Ramée, et que M. de Chavigny n’est pas des amis de M. de Beaufort.

– Oui, mais M. de Chavigny s’absente.

– Quand il s’absente, je suis là.

– Mais quand vous vous absentez vous-même?

– Oh! quand je m’absente moi-même, j’ai en mon lieu et place un gaillard qui aspire à devenir exempt de Sa Majesté, et qui, je vous en réponds, fait bonne garde. Depuis trois semaines que je l’ai pris à mon service, je n’ai qu’un reproche à lui faire, c’est d’être trop dur au prisonnier.

– Et quel est ce cerbère? demanda le cardinal.

– Un certain M. Grimaud, Monseigneur.

– Et que faisait-il avant d’être près de vous à Vincennes?

– Mais il était en province, à ce que m’a dit celui qui me l’a recommandé; il s’y est fait je ne sais quelle méchante affaire, à cause de sa mauvaise tête, et je crois qu’il ne serait pas fâché de trouver l’impunité sous l’uniforme du roi.

– Et qui vous a recommandé cet homme?

– L’intendant de M. le duc de Grammont.

– Alors, on peut s’y fier, à votre avis?

– Comme à moi-même, Monseigneur.

– Ce n’est pas un bavard?

– Jésus-Dieu! Monseigneur, j’ai cru longtemps qu’il était muet, il ne parle et ne répond que par signes; il paraît que c’est son ancien maître qui l’a dressé à cela.

– Eh bien! dites-lui, mon cher monsieur La Ramée, reprit le cardinal, que s’il nous fait bonne et fidèle garde, on fermera les yeux sur ses escapades de province, qu’on lui mettra sur le dos un uniforme qui le fera respecter, et dans les poches de cet uniforme quelques pistoles pour boire à la santé du roi.

Mazarin était fort large en promesses: c’était tout le contraire de ce bon M. Grimaud, que vantait La Ramée, lequel parlait peu et agissait beaucoup.

Le cardinal fit encore à La Ramée une foule de questions sur le prisonnier, sur la façon dont il était nourri, logé et couché, auxquelles celui-ci répondit d’une façon si satisfaisante, qu’il le congédia presque rassuré.

Puis, comme il était neuf heures du matin, il se leva, se parfuma, s’habilla et passa chez la reine pour lui faire part des causes qui l’avaient retenu chez lui. La reine, qui ne craignait guère moins M. de Beaufort que le cardinal le craignait lui-même, et qui était presque aussi superstitieuse que lui, lui fit répéter mot pour mot toutes les promesses de La Ramée et tous les éloges qu’il donnait à son second; puis lorsque le cardinal eut fini:

– Hélas! monsieur, dit-elle à demi-voix, que n’avons-nous un Grimaud auprès de chaque prince!

– Patience, dit Mazarin avec son sourire italien, cela viendra peut-être un jour; mais en attendant…

– Eh bien! en attendant?

– Je vais toujours prendre mes précautions.

Sur ce, il avait écrit à d’Artagnan de presser son retour.

XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de Vincennes

Le prisonnier qui faisait si grand’peur à M. le cardinal, et dont les moyens d’évasion troublaient le repos de toute la cour, ne se doutait guère de tout cet effroi qu’à cause de lui on ressentait au Palais-Royal.

Il se voyait si admirablement gardé qu’il avait reconnu l’inutilité de ses tentatives; toute sa vengeance consistait à lancer nombre d’imprécations et d’injures contre le Mazarin. Il avait même essayé de faire des couplets, mais il y avait bien vite renoncé. En effet, M. de Beaufort non seulement n’avait pas reçu du ciel le don d’aligner des vers, mais encore ne s’exprimait souvent en prose qu’avec la plus grande peine du monde. Aussi Blot, le chansonnier de l’époque, disait-il de lui:

Dans un combat il brille, il tonne!

On le redoute avec raison;

Mais de la façon qu’il raisonne,

On le prendrait pour un oison.

Gaston, pour faire une harangue,

Éprouve bien moins d’embarras;

40
{"b":"125143","o":1}