La reine chercha une chose sainte sur laquelle elle pût jurer; et tirant d’une armoire perdue dans la tapisserie un petit coffret de bois de rose incrusté d’argent, et le posant sur l’autel:
– Je le jure, reprit-elle, sur ces reliques sacrées, j’aimais M. de Buckingham, mais M. de Buckingham n’était pas mon amant!
– Et quelles sont ces reliques sur lesquelles vous faites ce serment, Madame? dit en souriant Mazarin; car je vous en préviens, en ma qualité de Romain je suis incrédule: il y a relique et relique.
La reine détacha une petite clef d’or de son cou et la présenta au cardinal.
– Ouvrez, monsieur, dit-elle, et voyez vous-même.
Mazarin étonné prit la clef et ouvrit le coffret, dans lequel il ne trouva qu’un couteau rongé par la rouille et deux lettres dont l’une était tachée de sang.
– Qu’est-ce que cela? demanda Mazarin.
– Qu’est-ce que cela, monsieur? dit Anne d’Autriche avec son geste de reine et en étendant sur le coffret ouvert un bras resté parfaitement beau malgré les années, je vais vous le dire. Ces deux lettres sont les deux seules lettres que je lui aie jamais écrites. Ce couteau, c’est celui dont Felton l’a frappé. Lisez ces lettres, monsieur, et vous verrez si j’ai menti.
Malgré la permission qui lui était donnée, Mazarin, par un sentiment naturel, au lieu de lire les lettres, prit le couteau que Buckingham mourant avait arraché de sa blessure, et qu’il avait, par Laporte, envoyé à la reine; la lame en était toute rongée; car le sang était devenu de la rouille; puis après un instant d’examen, pendant lequel la reine était devenue aussi blanche que la nappe de l’autel sur lequel elle était appuyée, il le replaça dans le coffret avec un frisson involontaire.
– C’est bien, Madame, dit-il, je m’en rapporte à votre serment.
– Non, non! lisez, dit la reine en fronçant le sourcil; lisez, je le veux, je l’ordonne, afin, comme je l’ai résolu, que tout soit fini de cette fois, et que nous ne revenions plus sur ce sujet. Croyez-vous, ajouta-t-elle avec un sourire terrible, que je sois disposée à rouvrir ce coffret à chacune de vos accusations à venir?
Mazarin, dominé par cette énergie, obéit presque machinalement et lut les deux lettres. L’une était celle par laquelle la reine redemandait les ferrets à Buckingham; c’était celle qu’avait portée d’Artagnan, et qui était arrivée à temps. L’autre était celle que Laporte avait remise au duc, dans laquelle la reine le prévenait qu’il allait être assassiné et qui était arrivée trop tard.
– C’est bien, Madame, dit Mazarin, et il n’y a rien à répondre à cela.
– Si, monsieur, dit la reine en refermant le coffret et en appuyant sa main dessus; si, il y a quelque chose à répondre: c’est que j’ai toujours été ingrate envers ces hommes qui m’ont sauvée, moi, et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour le sauver, lui; c’est que je n’ai rien donné à ce brave d’Artagnan, dont vous me parliez tout à l’heure, que ma main à baiser, et ce diamant.
La reine étendit sa belle main vers le cardinal et lui montra une pierre admirable qui scintillait à son doigt.
– Il l’a vendu, à ce qu’il paraît, reprit-elle, dans un moment de gêne; il l’a vendu pour me sauver une seconde fois, car c’était pour envoyer un messager au duc et pour le prévenir qu’il devait être assassiné.
– D’Artagnan le savait donc?
– Il savait tout. Comment faisait-il? Je l’ignore. Mais enfin il l’a vendu à M. des Essarts, au doigt duquel je l’ai vu, et de qui je l’ai racheté; mais ce diamant lui appartient, Monsieur, rendez-le-lui donc de ma part, et, puisque vous avez le bonheur d’avoir près de vous un pareil homme, tâchez de l’utiliser.
– Merci, Madame! dit Mazarin, je profiterai du conseil.
– Et maintenant, dit la reine comme brisée par l’émotion, avez-vous autre chose à me demander?
– Rien, Madame, répondit le cardinal de sa voix la plus caressante, que de vous supplier de me pardonner mes injustes soupçons; mais je vous aime tant, qu’il n’est pas étonnant que je sois jaloux, même du passé.
Un sourire d’une indéfinissable expression passa sur les lèvres de la reine.
– Eh bien, alors, monsieur, dit-elle, si vous n’avez rien autre chose à me demander, laissez-moi; vous devez comprendre qu’après une pareille scène j’ai besoin d’être seule.
Mazarin s’inclina.
– Je me retire, Madame, dit-il; me permettez-vous de revenir?
– Oui, mais demain; je n’aurai pas trop de tout ce temps pour me remettre.
Le cardinal prit la main de la reine et la lui baisa galamment, puis il se retira.
À peine fut-il sorti que la reine passa dans l’appartement de son fils et demanda à Laporte si le roi était couché. Laporte lui montra de la main l’enfant qui dormait.
Anne d’Autriche monta sur les marches du lit, approcha ses lèvres du front plissé de son fils et y déposa doucement un baiser; puis elle se retira silencieuse comme elle était venue, se contentant de dire au valet de chambre.
– Tâchez donc, mon cher Laporte, que le roi fasse meilleure mine à M. le cardinal, auquel lui et moi avons de si grandes obligations.
V. Gascon et Italien
Pendant ce temps le cardinal était revenu dans son cabinet, à la porte duquel veillait Bernouin, à qui il demanda si rien ne s’était passé de nouveau et s’il n’était venu aucune nouvelle du dehors. Sur sa réponse négative il lui fit signe de se retirer.
Resté seul, il alla ouvrir la porte du corridor, puis celle de l’antichambre; d’Artagnan, fatigué, dormait sur une banquette.
– Monsieur d’Artagnan! dit-il d’une voix douce.
D’Artagnan ne broncha point.
– Monsieur d’Artagnan! dit-il plus haut.
D’Artagnan continua de dormir.
Le cardinal s’avança vers lui et lui toucha l’épaule du bout du doigt.
Cette fois d’Artagnan tressaillit, se réveilla, et, en se réveillant, se trouva tout debout et comme un soldat sous les armes.
– Me voilà, dit-il; qui m’appelle?
– Moi, dit Mazarin avec son visage le plus souriant.
– J’en demande pardon à Votre Éminence, dit d’Artagnan, mais j’étais si fatigué…
– Ne me demandez pas pardon, monsieur, dit Mazarin, car vous vous êtes fatigué à mon service.
D’Artagnan admira l’air gracieux du ministre.
– Ouais! dit-il entre ses dents, est-il vrai le proverbe qui dit que le bien vient en dormant?
– Suivez-moi, monsieur! dit Mazarin.
– Allons, allons, murmura d’Artagnan, Rochefort m’a tenu parole; seulement, par où diable est-il passé?
Et il regarda jusque dans les moindres recoins du cabinet mais il n’y avait plus de Rochefort.
– Monsieur d’Artagnan, dit Mazarin en s’asseyant et en s’accommodant sur son fauteuil, vous m’avez toujours paru un brave et galant homme.
«C’est possible, pensa d’Artagnan, mais il a mis le temps à me le dire.»
Ce qui ne l’empêcha pas de saluer Mazarin jusqu’à terre pour répondre à son compliment.
– Eh bien, continua Mazarin, le moment est venu de mettre à profit vos talents et votre valeur!
Les yeux de l’officier lancèrent comme un éclair de joie qui s’éteignit aussitôt, car il ne savait pas où Mazarin en voulait venir.
– Ordonnez, Monseigneur, dit-il, je suis prêt à obéir à Votre Éminence.
– Monsieur d’Artagnan, continua Mazarin, vous avez fait sous le dernier règne certains exploits…
– Votre Éminence est trop bonne de se souvenir… C’est vrai, j’ai fait la guerre avec assez de succès.
– Je ne parle pas de vos exploits guerriers, dit Mazarin car, quoiqu’ils aient fait quelque bruit, ils ont été surpassés par les autres.
D’Artagnan fit l’étonné.
– Eh bien, dit Mazarin, vous ne répondez pas?
– J’attends, reprit d’Artagnan, que Monseigneur me dise de quels exploits il veut parler.
– Je parle de l’aventure… Hé! vous savez bien ce que je veux dire.
– Hélas! non, Monseigneur, répondit d’Artagnan tout étonné.