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Le mourant parut rassembler toutes ses forces. Les yeux du moine étincelaient.

– Anne de Bueil, murmura le blessé.

– Anne de Bueil! s’écria le moine en se redressant et en levant les deux mains au ciel; Anne de Bueil! tu as bien dit Anne de Bueil, n’est-ce pas?

– Oui, oui, c’était son nom, et maintenant absolvez-moi, car je me meurs.

– Moi, t’absoudre! s’écria le prêtre avec un rire qui fit dresser les cheveux sur la tête du mourant, moi, t’absoudre? je ne suis pas prêtre!

– Vous n’êtes pas prêtre! s’écria le bourreau, mais qu’êtes-vous donc alors?

– Je vais te le dire à mon tour, misérable!

– Ah! Seigneur! mon Dieu!

– Je suis John Francis de Winter!

– Je ne vous connais pas! s’écria le bourreau.

– Attends, attends, tu vas me connaître: je suis John Francis de Winter, répéta-t-il, et cette femme…

– Eh bien! cette femme?

– C’était ma mère!

Le bourreau poussa le premier cri, ce cri si terrible qu’on avait entendu d’abord.

– Oh! pardonnez-moi, pardonnez-moi, murmura-t-il, sinon au nom de Dieu, du moins en votre nom; sinon comme prêtre, du moins comme fils.

– Te pardonner! s’écria le faux moine, te pardonner! Dieu le fera peut-être, mais moi, jamais!

– Par pitié, dit le bourreau en tendant ses bras vers lui.

– Pas de pitié pour qui n’a pas eu de pitié; meurs impénitent, meurs désespéré, meurs et sois damné!

Et tirant de sa robe un poignard et le lui enfonçant dans la poitrine:

– Tiens, dit-il, voilà mon absolution!

Ce fut alors que l’on entendit ce second cri plus faible que le premier, qui avait été suivi d’un long gémissement.

Le bourreau, qui s’était soulevé, retomba renversé sur son lit. Quant au moine, sans retirer le poignard de la plaie, il courut à la fenêtre, l’ouvrit, sauta sur les fleurs d’un petit jardin, se glissa dans l’écurie, prit sa mule, sortit par une porte de derrière, courut jusqu’au prochain bouquet de bois, y jeta sa robe de moine, tira de sa valise un habit complet de cavalier, s’en revêtit, gagna à pied la première poste, prit un cheval et continua à franc étrier son chemin vers Paris.

XXXVI. Grimaud parle

Grimaud était resté seul auprès du bourreau: l’hôte était allé chercher du secours; la femme priait.

Au bout d’un instant, le blessé rouvrit les yeux.

– Du secours! murmura-t-il; du secours! Ô mon Dieu, mon Dieu! ne trouverai-je donc pas un ami dans ce monde qui m’aide à vivre ou à mourir?

Et il porta avec effort sa main à sa poitrine; sa main rencontra le manche du poignard.

– Ah! dit-il comme un homme qui se souvient.

Et il laissa retomber son bras près de lui.

– Ayez courage, dit Grimaud, on est allé chercher du secours.

– Qui êtes-vous? demanda le blessé en fixant sur Grimaud des yeux démesurément ouverts.

– Une ancienne connaissance, dit Grimaud.

– Vous?

Le blessé chercha à se rappeler les traits de celui qui lui parlait ainsi.

– Dans quelles circonstances nous sommes-nous donc rencontrés? demanda-t-il.

– Il y a vingt ans, une nuit; mon maître vous avait pris à Béthune et vous conduisit à Armentières.

– Je vous reconnais bien, dit le bourreau, vous êtes un des quatre laquais.

– C’est cela.

– D’où venez-vous?

– Je passais sur la route; je me suis arrêté dans cette auberge pour faire rafraîchir mon cheval. On me racontait que le bourreau de Béthune était là blessé, quand vous avez poussé deux cris. Au premier nous sommes accourus, au second nous avons enfoncé la porte.

– Et le moine? dit le bourreau; avez-vous vu le moine?

– Quel moine?

– Le moine qui était enfermé avec moi?

– Non, il n’y était déjà plus; il paraît qu’il a fui par cette fenêtre. Est-ce donc lui qui vous a frappé?

– Oui, dit le bourreau.

Grimaud fit un mouvement pour sortir.

– Qu’allez-vous faire? demanda le blessé.

– Il faut courir après lui.

– Gardez-vous-en bien!

– Et pourquoi?

– Il s’est vengé, et il a bien fait. Maintenant j’espère que Dieu me pardonnera, car il y a expiation.

– Expliquez-vous, dit Grimaud.

– Cette femme que vous et vos maîtres m’avez fait tuer…

– Milady?

– Oui, Milady, c’est vrai, vous l’appeliez ainsi…

– Qu’a de commun Milady et le moine?

– C’était sa mère.

Grimaud chancela et regarda le mourant d’un œil terne et presque hébété.

– Sa mère? répéta-t-il.

– Oui, sa mère.

– Mais il sait donc ce secret?

– Je l’ai pris pour un moine, et je le lui ai révélé en confession.

– Malheureux! s’écria Grimaud, dont les cheveux se mouillèrent de sueur à la seule idée des suites que pouvait avoir une pareille révélation; malheureux! vous n’avez nommé personne, j’espère?

– Je n’ai prononcé aucun nom, car je n’en connais aucun, excepté le nom de fille de sa mère, et c’est à ce nom qu’il l’a reconnue; mais il sait que son oncle était au nombre des juges.

Et il retomba épuisé, Grimaud voulut lui porter secours et avança sa main vers le manche du poignard.

– Ne me touchez pas, dit le bourreau; si l’on retirait ce poignard, je mourrais.

Grimaud resta la main étendue, puis tout à coup se frappant le front du poing:

– Ah! mais si jamais cet homme apprend qui sont les autres, mon maître est perdu alors.

– Hâtez-vous, hâtez-vous! s’écria le bourreau, prévenez-le, s’il vit encore; prévenez ses amis; ma mort, croyez-le bien, ne sera pas le dénouement de cette terrible aventure.

– Où allait-il? demanda Grimaud.

– Vers Paris.

– Qui l’a arrêté?

– Deux jeunes gentilshommes qui se rendaient à l’armée, et dont l’un d’eux, j’ai entendu son nom prononcé par son camarade, s’appelle le vicomte de Bragelonne.

– Et c’est ce jeune homme qui vous a amené ce moine?

– Oui.

Grimaud leva les yeux au ciel.

– C’était donc la volonté de Dieu? dit-il.

– Sans doute, dit le blessé.

– Alors voilà qui est effrayant, murmura Grimaud; et cependant cette femme, elle avait mérité son sort. N’est-ce donc plus votre avis?

– Au moment de mourir, dit le bourreau, on voit les crimes des autres bien petits en comparaison des siens.

Et il tomba épuisé en fermant les yeux.

Grimaud était retenu entre la pitié qui lui défendait de laisser cet homme sans secours et la crainte qui lui commandait de partir à l’instant même pour aller porter cette nouvelle au comte de La Fère, lorsqu’il entendit du bruit dans le corridor et vit l’hôte qui rentrait avec le chirurgien, qu’on avait enfin trouvé.

Plusieurs curieux suivaient, attirés par la curiosité; le bruit de l’étrange événement commençait à se répandre.

Le praticien, s’approcha du mourant, qui semblait évanoui.

– Il faut d’abord extraire le fer de la poitrine, dit-il en secouant la tête d’une façon significative.

Grimaud se rappela la prophétie que venait de faire le blessé et détourna les yeux.

Le chirurgien écarta le pourpoint, déchira la chemise et mit la poitrine à nu.

Le fer, comme nous l’avons dit, était enfoncé jusqu’à la garde.

Le chirurgien le prit par l’extrémité de la poignée; à mesure qu’il l’attirait, le blessé ouvrait les yeux avec une fixité effrayante. Lorsque la lame fut sortie entièrement de la plaie, une mousse rougeâtre vint couronner la bouche du blessé, puis au moment où il respira, un flot de sang jaillit de l’orifice de sa blessure; le mourant fixa son regard sur Grimaud avec une expression singulière, poussa un râle étouffé, et expira sur-le-champ.

Alors, Grimaud ramassa le poignard inondé de sang qui gisait dans la chambre et faisait horreur à tous, fit signe à l’hôte de le suivre, paya la dépense avec une générosité digne de son maître et remonta à cheval.

Grimaud avait pensé tout d’abord à retourner droit à Paris, mais il songea à l’inquiétude où son absence prolongée tiendrait Raoul; il se rappela que Raoul n’était qu’à deux lieues de l’endroit où il se trouvait lui-même, qu’en un quart d’heure il serait près de lui, et qu’allée, retour et explication ne lui prendraient pas une heure: il mit son cheval au galop, et dix minutes après il descendait au Mulet-Couronné, la seule auberge de Mazingarbe.

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