Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

M. le duc de Beaufort faisait son entrée à la cour avec toutes les réparations dues aux offenses qui lui avaient été faites et tous les honneurs qu’avait droit de réclamer son rang. On lui accordait la grâce pleine et entière de ceux qui l’avaient aidé dans sa fuite, la survivance de l’amirauté que tenait le duc de Vendôme son père, et une indemnité pour ses maisons et châteaux que le parlement de Bretagne avait fait démolir.

Le duc de Bouillon recevait des domaines d’une égale valeur à sa principauté de Sedan, une indemnité pour les huit ans de non-jouissance de cette principauté, et le titre de prince accordé à lui et à ceux de sa maison.

M. le duc de Longueville, le gouvernement du Pont-de-l’Arche, cinq cent mille livres pour sa femme et l’honneur de voir son fils tenu sur les fonts de baptême par le jeune roi et la jeune Henriette d’Angleterre.

Aramis stipula que ce serait Bazin qui officierait à cette solennité et que ce serait Planchet qui fournirait les dragées.

Le duc d’Elbeuf obtint le paiement de certaines sommes dues à sa femme, cent mille livres pour l’aîné de ses fils et vingt-cinq mille pour chacun des trois autres.

Il n’y eut que le coadjuteur qui n’obtint rien; on lui promit bien de négocier l’affaire de son chapeau avec le pape; mais il savait quel fonds il fallait faire sur de pareilles promesses venant de la reine et de Mazarin. Tout au contraire de M. de Conti, ne pouvant devenir cardinal, il était forcé de demeurer homme d’épée.

Aussi, quand tout Paris se réjouissait de la rentrée du roi, fixée au surlendemain, Gondy seul, au milieu de l’allégresse générale, était-il de si mauvaise humeur, qu’il envoya chercher à l’instant deux hommes qu’il avait l’habitude de faire appeler quand il était dans cette disposition d’esprit.

Ces deux hommes étaient, l’un le comte de Rochefort, l’autre le mendiant de Saint-Eustache.

Ils vinrent avec leur ponctualité ordinaire, et le coadjuteur passa une partie de la nuit avec eux.

XCVII. Où il est prouvé qu’il est quelquefois plus difficile aux rois de rentrer dans la capitale de leur royaume que d’en sortir

Pendant que d’Artagnan et Porthos étaient allés conduire le cardinal à Saint-Germain, Athos et Aramis, qui les avaient quittés à Saint-Denis, étaient rentrés à Paris.

Chacun d’eux avait sa visite à faire.

À peine débotté, Aramis courut à l’Hôtel de Ville, où était madame de Longueville. À la première nouvelle de la paix la belle duchesse jeta les hauts cris. La guerre la faisait reine, la paix amenait son abdication; elle déclara qu’elle ne signerait jamais au traité et qu’elle voulait une guerre éternelle.

Mais lorsque Aramis lui eut présenté cette paix sous son véritable jour, c’est-à-dire avec tous ses avantages, lorsqu’il lui eut montré, en échange de sa royauté précaire et contestée de Paris, la vice-royauté de Pont-de-l’Arche, c’est-à-dire de la Normandie tout entière, lorsqu’il eut fait sonner à ses oreilles les cinq cent mille livres promises par le cardinal, lorsqu’il eut fait briller à ses yeux l’honneur que lui ferait le roi en tenant son enfant sur les fonts de baptême, madame de Longueville ne contesta plus que par l’habitude qu’ont les jolies femmes de contester, et ne se défendit plus que pour se rendre.

Aramis fit semblant de croire à la réalité de son opposition, et ne voulut pas à ses propres yeux s’ôter le mérite de l’avoir persuadée.

– Madame, lui dit-il, vous avez voulu battre une bonne fois M. le Prince votre frère, c’est-à-dire le plus grand capitaine de l’époque, et lorsque les femmes de génie le veulent, elles réussissent toujours. Vous avez réussi, M. le prince est battu, puisqu’il ne peut plus faire la guerre. Maintenant, attirez-le à notre parti. Détachez-le tout doucement de la reine, qu’il n’aime pas, et de M. de Mazarin, qu’il méprise. La Fronde est une comédie dont nous n’avons encore joué que le premier acte. Attendons M. de Mazarin au dénouement, c’est-à-dire au jour où M. le Prince, grâce à vous, sera tourné contre la cour.

Madame de Longueville fut persuadée. Elle était si bien convaincue du pouvoir de ses beaux yeux, la frondeuse duchesse, qu’elle ne douta point de leur influence, même sur M. de Condé, et la chronique scandaleuse du temps dit qu’elle n’avait pas trop présumé.

Athos, en quittant Aramis à la place Royale, s’était rendu chez madame de Chevreuse. C’était encore une frondeuse à persuader, mais celle-là était plus difficile à convaincre que sa jeune rivale; il n’avait été stipulé aucune condition en sa faveur. M. de Chevreuse n’était nommé gouverneur d’aucune province, et si la reine consentait à être marraine, ce ne pouvait être que de son petit-fils ou de sa petite-fille.

Aussi, au premier mot de paix, madame de Chevreuse fronça-t-elle le sourcil, et malgré toute la logique d’Athos pour lui montrer qu’une plus longue guerre était impossible, elle insista en faveur des hostilités.

– Belle amie, dit Athos, permettez-moi de vous dire que tout le monde est las de la guerre; qu’excepté vous et M. le coadjuteur peut-être, tout le monde désire la paix. Vous vous ferez exiler comme du temps du roi Louis XIII. Croyez-moi, nous avons passé l’âge des succès en intrigue, et vos beaux yeux ne sont pas destinés à s’éteindre en pleurant Paris, où il y aura toujours deux reines tant que vous y serez.

– Oh! dit la duchesse, je ne puis faire la guerre toute seule, mais je puis me venger de cette reine ingrate et de cet ambitieux favori, et… foi de duchesse! je me vengerai.

– Madame, dit Athos, je vous en supplie, ne faites pas un avenir mauvais à M. de Bragelonne; le voilà lancé, M. le Prince lui veut du bien, il est jeune, laissons un jeune roi s’établir! Hélas! excusez ma faiblesse, madame, il vient un moment où l’homme revit et rajeunit dans ses enfants.

La duchesse sourit, moitié tendrement, moitié ironiquement.

– Comte, dit-elle, vous êtes, j’en ai bien peur, gagné au parti de la cour. N’avez-vous pas quelque cordon bleu dans votre poche?

– Oui, madame, dit Athos, j’ai celui de la Jarretière, que le roi Charles Ier, m’a donné quelques jours avant sa mort.

Le comte disait vrai; il ignorait la demande de Porthos et ne savait pas qu’il en eût un autre que celui-là.

– Allons! il faut devenir vieille femme, dit la duchesse rêveuse.

Athos lui prit la main et la lui baisa. Elle soupira en le regardant.

– Comte, dit-elle, ce doit être une charmante habitation que Bragelonne. Vous êtes homme de goût; vous devez avoir de l’eau, des bois, des fleurs.

Elle soupira de nouveau, et elle appuya sa tête charmante sur sa main coquettement recourbée et toujours admirable de forme et de blancheur.

– Madame, répliqua le comte, que disiez-vous donc tout à l’heure? Jamais je ne vous ai vue si jeune, jamais je ne vous ai vue plus belle.

La duchesse secoua la tête.

– M. de Bragelonne reste-t-il à Paris? dit-elle.

– Qu’en pensez-vous? demanda Athos.

– Laissez-le-moi, reprit la duchesse.

– Non pas, madame, si vous avez oublié l’histoire d’Oedipe, moi, je m’en souviens.

– En vérité, vous êtes charmant, comte, et j’aimerais à vivre un mois à Bragelonne.

– N’avez-vous pas peur de me faire bien des envieux, duchesse? répondit galamment Athos.

– Non, j’irai incognito, comte, sous le nom de Marie Michon.

– Vous êtes adorable, madame.

– Mais Raoul, ne le laissez pas près de vous.

– Pourquoi cela?

– Parce qu’il est amoureux.

– Lui, un enfant!

– Aussi est-ce une enfant qu’il aime!

Athos devint rêveur.

– Vous avez raison, duchesse, cet amour singulier pour une enfant de sept ans peut le rendre bien malheureux un jour; on va se battre en Flandre, il ira.

– Puis à son tour vous me l’enverrez, je le cuirasserai contre l’amour.

– Hélas! madame, dit Athos, aujourd’hui l’amour est comme la guerre, et la cuirasse y est devenue inutile.

209
{"b":"125143","o":1}